Après sept ans d’enquête, la magistrate chargée de l’enquête sur Joël Le Scouarnec a terminé ses investigations et l’a fait savoir à l’accusé et aux parties civiles révèle France Info. C’est désormais au procureur, puis à la juge d’instruction de se prononcer sur la tenue d’un procès à l’encontre du médecin soupçonné de viols et d’agressions sexuelles sur près de 300 enfants dans les hôpitaux de Vannes, Quimperlé, Lorient, mais aussi en Charente-Maritime et en Indre-et-Loire.
"C’est beaucoup trop long, soupire Maury Vinet, beaucoup trop long."
Un jour, son petit-fils, Mathis, a été hospitalisé à Quimperlé. Il avait 12 ans. Il a été reçu par le docteur Le Scouarnec. "Il nous a mis en confiance, on a demandé si on pouvait rester, il a répondu que ce n’était pas la peine, poursuit Roland Vinet. Il avait de la viande fraîche !"
Près de 300 victimes
Mathis et ses grands-parents n’ont appris ce qui s’était passé au bloc opératoire que des années plus tard, quand les policiers sont venus voir le jeune garçon.
Joël Le Scouarnec notait tous ces agissements dans des carnets noirs. Au moment de son arrestation (pour une autre affaire de viols et d'agressions sexuelles sur une petite voisine, deux de ses nièces et une ancienne patiente), les enquêteurs ont découvert des milliers de pages et quelque 200 prénoms et noms d’enfants. Entre 1991 et 2014, le chirurgien guettait les instants où il était seul avec les enfants anesthésiés pour abuser d’eux. 293 personnes ont pu se porter parties civiles.
Dans ces carnets, le praticien notait tous les détails de ce qu’il faisait subir aux enfants mais aussi, les dates, les noms, les lieux… Cela a permis aux enquêteurs de retrouver les victimes entre 1991 et 2014.
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Des viols et des agressions sexuelles pendant 23 ans
"L’histoire de Mathis est celle de la plupart des victimes, explique Marc Dumont, avocat de sept d’entre elles. "Elles étaient endormies ou très jeunes. Ce sont des policiers qui leur ont annoncé qu’elles avaient été violées ou agressées sexuellement. Ça a été très difficile mais pour beaucoup, cela leur a permis de comprendre beaucoup de choses, de souffrances qu’elles vivaient au quotidien sans savoir pourquoi. Pour toutes ces victimes-là, c’est important que l’enquête soit enfin arrivée au bout. On attendait cela depuis longtemps", continue l’avocat.
Pour les victimes, il le sait, cela demeure un élément de procédure, ce qu’elles attendent, c’est le procès, "elles ont envie de voir, de comprendre."
Joël Le Scouarnec a exercé à Loches en Indre-et-Loire entre 1983 et 1994, puis il est arrivé à Vannes où il est resté jusqu’en 2003, avant de partir pour Quimperlé et Lorient, jusqu’en 2008. Il a terminé sa carrière à Jonzac en 2017.
"Aujourd’hui, les enfants dont il a abusé ont entre 30 et 40 ans décrit Marc Dumont, et cette histoire est en toile de fond de leurs vies. Elles ont besoin de ce procès."
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Un procès sans Mathis
Mathis, lui, n’en pouvait plus d’attendre. Il s’est donné la mort en 2021, il avait 24 ans. Ses grands-parents seront au procès, pour lui." Il faut qu’on y soit tous les deux, insiste Maury, qu’on soit présents pour Mathis. Il est parti trop jeune, il avait plein de choses à vivre. Il l’a tué !"
Je veux voir sa tête et je veux le regarder en face pour lui dire toute ma haine !
Maury Vinet, grand-mère de Mathis
Ils se sont constitués parties civiles et ont donc eu accès au dossier. Ils ont tout lu, même le pire. En 2004, dans son carnet noir, le chirurgien écrit : "Tout en fumant ma cigarette du matin, j'ai réfléchi au fait que je suis un grand pervers. Je suis à la fois exhibitionniste (...), voyeur (...), sadique (...), masochiste (...) scatologique (...), fétichiste (....), pédophile (...). Et j'en suis très heureux".
"C’est un malade" conclut Maury Vinet, "un malade ! Je veux voir sa tête et je veux le regarder en face pour lui dire toute ma haine !"
Âgé de 73 ans, Joël Le Scouarnec est actuellement en prison. En décembre 2020, la cour d’assises de Saintes l’a condamné à 15 ans de réclusion pour viols et agressions sexuelles. Les victimes espèrent que le nouveau procès aura lieu dans les mois qui viennent.
Des absents sur le banc des accusés ?
Frédéric Benoist, avocat de l’association La voix de l’enfant qui s’est constituée partie civile, se réjouit de voir le dossier avancer, mais se désole de voir que tous les responsables dans cette affaire ne sont pas poursuivis.
180 victimes auraient pu être évitées
Frédéric Benoist, avocat La Voix de l'enfant
"En 2005, rappelle l’avocat, Joël Le Scouarnec a été condamné par le tribunal de Vannes à 4 mois de prison avec sursis pour détention d’images pédopornographiques. Le FBI l’avait signalé aux autorités, raconte Frédéric Benoist. Et là, première erreur : quand vous avez identifié un pédophile, le B A- BA, c’est de ne pas lui envoyer une convocation, mais c’est ce qui a été fait ! Résultat, il a fait le ménage dans son ordinateur, supprimé tous les fichiers compromettants et quand les enquêteurs ont regardé, il n’y avait plus rien ! "
"Le médecin leur a expliqué que c’était un mauvais passage et là, deuxième erreur, ils ne sont pas allés regarder son ordinateur à l’hôpital… ils auraient sans doute alors retrouvé ses carnets noirs…"
"Mais il y a pire, continue l’avocat, quand le tribunal l’a condamné, il aurait dû alerter les autorités de santé, cela, n’a pas été fait ! Grâce à cela, Joël Le Scouarnec a pu continuer à commettre ses actes, 180 victimes auraient pu être évitées", déplore Frédéric Benoist.
Il a déposé plainte contre les autorités judiciaires, le ministère de la Santé et l’Etat pour mise en danger de la vie d’autrui. "Le procès de Le Scouarnec est important pour que les victimes puissent faire entendre leurs voix" conclut l’avocat, "notre rôle, à nous, association, c’est aussi de signaler les dysfonctionnements pour que ce genre de drame ne puisse plus jamais se reproduire."