Comment je me suis formé à la désobéissance civile pour renverser le capitalisme avec Extinction Rebellion et ANV-COP 21

Ce 10 février, à Tours, moi, journaliste à France 3 , j'ai assisté discrètement à une formation à la désobéissance civile donnée par deux associations militantes pro-décroissance et pro-climat.  

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C'est tombé sur moi. Il est 18h35 un lundi soir, et je suis déjà en retard à mon entraînement pour apprendre à "renverser le capitalisme", un "die-in" à la fois. Me voilà à errer dans une allée sombre, à la recherche du lieu où on m'a donné rendez-vous. D'autres retardataires me rejoignent, aussi perdus que moi. Enfin, une porte s'ouvre et un jeune homme nous fait de grands signes à la lueur de son téléphone portable. "Vous êtes là pour la formation ?"
  

Deux collectifs en lutte pour l'environnement

La formation dont il est question va être donnée par deux militants d'Extinction Rebellion et ANV-COP 21. Nés du constat de l'urgence climatique et du risque d'effondrement du vivant, les deux mouvements partagent une histoire et des valeurs assez proches. Depuis 2016, des activistes ont organisé des actions comme le décrochage du portrait présidentiel d'Emmanuel Macron ou le blocage de plusieurs ponts parisiens, en octobre dernier.
 
Le jour même de la formation à laquelle je participe, des militants de plusieurs mouvements dont Extinction Rebellion se sont introduit au siège parisien du gestionnaire d'actifs Blackrock pour protester contre la réforme du régime des retraites. Les activistes ont occupé les lieux pacifiquement, laissant au passage des tags comme "Notre planète, votre crime". De son côté, Blackrock a condamné "avec la plus grande fermeté" ce que l'entreprise considère comme des "actes de vandalisme" et des "tentatives d'intimidation" Bonne ambiance hein.
 
 

Appel à la Rébellion générale

Le jeune homme au téléphone portable nous fait rentrer dans la boutique déserte d'une ressourcerie. On nous fait patienter au milieu étagères remplies de vaisselles, d'ustensiles divers et de vieux dvd. "C'est un peu glauque, nan ?" lâche un membre de mon petit groupe.

Notre guide nous conduit ensuite vers une cage d'escalier, et nous débouchons au troisième étage sur une vaste salle aussi lumineuse que cosy. Il y a un tipi dans un coin. Un tipi! Autant dire que je me sens comme chez moi. Les murs sont ornés d'affiches de films et de groupes de musiques et d'appels à la "Rébellion générale". Une quinzaine de personnes est déjà là, nous nous installons donc sur les chaises et les canapés laissés libres en essayant de déranger le moins possible.
 
Un tour de table rapide nous renseigne sur la sociologie de l'audience. Outre les deux formateurs et votre serviteur, je compte 16 personnes. Une bonne moitié est constituée de jeunes actifs et d'étudiants, dont certains sont déjà des habitués des manifs et du milieu militant. Parmi les autres, on retrouve deux employées d'une quarantaine d'années, un activiste expérimenté qui a fait toutes les batailles de Greenpeace et une jeune Chartraine de 15 ans accompagnée par son père un peu dépassé par les événements.

 

"On ne peut pas rester sans rien faire"

Lorsqu'ils se présentent, tous font référence à un même déclic, une même conversion. "J'ai vu des vidéos de Pablo Servigne, je suis resté deux jours en déprime au fond de mon lit, et après j'ai décidé de me bouger", raconte Matthieu*. "Moi c'est pareil, j'ai pris conscience de l'effondrement, je me suis dit 'on peut pas rester sans rien faire'", lâche Coline*.
 

Des noms reviennent plusieurs fois, comme celui de Pablo Servigne, l'auteur et chercheur qui a importé le thème de la "collapsologie" en France. Des titres de film aussi, comme le documentaire Irrintzina, le cri de la génération climat. Toutes ces références communes ont imprimé dans les esprits la douloureuse réalité de l'urgence climatique et un sentiment d'angoisse face au risque d'effondrement des sociétés industrielles, mêlé du désir de les réinventer.
 

 

"On vit dans un système toxique"

"Aujourd'hui, on fait face à un effondrement global du vivant", résume le formateur d'Extinction Rebellion Tours, citant les chiffres issus de groupements scientifiques inter-gouvernementaux comme le GIEC et l'IPBES. "On est dans la sixième extinction de masse, la cinquième je vous rappelle que c'était les dinosaures." C'est devant ce constat et l'inaction des gouvernements, que certains mouvements écologistes ont désormais recours à la désobéissance non-violente. "On est ici parce qu'on a constaté qu'on vit dans un système toxique et dangereux.", poursuit le militant. "Certains l'appellent capitalisme, patriarcat, spécisme, vous mettez l'étiquette que vous voulez là-dessus. Maintenant la question c'est comment agir et s'organiser contre ça."

La formation commence par un petit point de théorie sur le pourquoi et le comment de l'action non-violente. Sur le fond, la tactique n'est pas nouvelle, et a été utilisée avec succès par le mouvement indépendantiste indien de Gandhi ou la lutte pour les droits civiques de Martin Luther King. "En agissant d'une façon qui n'est pas dans la légalité, mais qui est légitime, et à visage découvert, on met l'acteur de la répression face à un dilemme" explique Matthias, d'ANV-COP 21. Pour résumer, même si les militants sont réprimés et poursuivis en justice, cela permettra d'attirer l'attention sur la légitimité et les raisons de leur engagement, comme dans le cas des "décrocheurs de portraits" et des "faucheurs de chaises".

En somme, tout l'enjeu est de poser la question : si l'État est capable de protéger les banques ou les stations-services de quelques tags inoffensifs, pourquoi n'est-il pas capable d'agir pour le climat ?

 

"Pas d'ironie blessante, pas de propos méprisants"

De fait, l'organisation d'une action est aux antipodes du désordre anarchique qu'on pourrait s'imaginer en voyant certaines images de manifestation. En amont, les rôles sont distribués avec soin : il y a le pôle de coordination, les "peacekeepers" qui s'occupent du service d'ordre, les "anges gardiens" qui s'occupent du ravitaillement et des soins éventuels, le contact police, le porte-parole... Chacune et chacun est à sa place, mais les règles sont les mêmes pour tout le monde. La violence envers les personnes est proscrite, même dans les propos ou la gestuelle.

Rigoureux, les deux formateurs vont jusqu'à préciser que "l'ironie blessante" et les "propos méprisants" à l'égard des forces de l'ordre sont à bannir. Pour les partisans de la désobéissance civile, l'usage de la violence met en péril toute la stratégie basée sur le ralliement de la population et une image irréprochable. "Si vous voyez quelqu'un, un manifestant, un passant ou un policier, avoir une attitude violente près de vous, vous vous éloignez en levant les bras, pour vous désolidariser", explique doctement Matthias. Et d'ajouter : "en plus ça dégage le champ pour faire des photos."

Car la force de l'action réside presque toujours dans le symbole, dans l'image et dans sa médiatisation. Les dégradations matérielles, qu'il s'agisse de recouvrir de peinture noire la vitrine d'une station-service ou de chaparder des chaises dans une grande agence bancaire, ont un sens strictement défini. "Lors d'une action, nous avons des adversaires, mais nous n'avons pas d'ennemis", résume l'un des formateurs. Y compris parmi les forces de l'ordre : chacun est susceptible d'être interpellé et poursuivi, et tous les activistes sont informés en amont des risques juridiques et de la conduite à tenir en garde à vue.

 

L'anguille, la chenille et la tortue

Après la théorie (et une pause goûter), il est temps de se mettre aux exercices pratiques. Comment résister à une arrestation de façon non-violente ? Comment bloquer un pont ou une rue de la manière la plus efficace ? Dans un premier temps, les formateurs nous répartissent en petits groupes de trois. Me voilà avec deux dames tout à fait adorables d'une cinquantaine d'années, qui endossent le rôle des policiers les plus polis que le monde ait porté. "Bon monsieur il faut dégager le passage maintenant." "Je regrette, je continuerai à bloquer." Me voici saisi et embarqué.

Pour poser le maximum de difficulté aux forces de l'ordre dans ce genre de situation, l'idée est de jouer au poids mort, de se laisser peser de tout son poids en offrant les prises les plus molles possibles aux policiers. L'autre technique, plus avancée, est celle de l'anguille, reservée aux activistes expérimentés. Cette fois, il s'agit de commencer à jouer au poids mort, puis à "glisser" entre les mains des forces de l'ordre en se tordant sur soi-même. "Si vous ne faites pas attention, vous pouvez envoyer un pied ou un coude sur un policier sans faire exprès et là... ça peut devenir problématique".

Puis, par groupe de six, on nous apprend à faire la chenille, le tapis et la tortue, trois tactiques collectives supposées rendre immobile la plus grande masse d'activistes possible. Et rendre l'interpellation par la police à la fois malaisée et spectaculaire.

 

De nouvelles actions au printemps

En dernier recours, les activistes peuvent utiliser un "armlock", un tube de PVC à l'intérieur duquel se trouve une barre transversale. En s'attachant à la barre à l'aide d'un mousqueton, les manifestants deviennent considérablement plus difficile à déplacer, surtout si, comme à Paris, ils multiplient le dispositif et ajoutent des poids en béton, voire des dalles coulées sur place. Les anecdotes fusent aux dépens des forces de l'ordre, obligées de redoubler d'efforts pour découper les tubes à grands coups de disqueuse et libérer les bloqueurs.
 

Il est maintenant près de 23h. Comme toute action, la soirée se conclut par un débriefing de ce que chacun et chacune a retenu de ce moment finalement très convivial. Les intéressés peuvent s'inscrire à la newsletter et se rendre disponible pour participer à des actions, les autres repartent par petit groupes. Après la razzia du siège de Blackrock et la dégradation d'une trentaine d'agences de la Société générale ce week-end, les mouvements écologistes ont d'ores et déjà annoncé de nouvelles actions à partir du printemps.
 
* Les prénoms marqués d'un astérisque ont été modifiés
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