Les apiculteurs français alertent depuis plusieurs mois sur la situation de la filière miel. Ils pointent notamment la concurrence à bas prix des produits venus de l'étranger.
On ne les a quasiment pas entendus. Alors que la crise des agriculteurs en colère fait la Une des journaux français depuis le mois de janvier 2024, les apiculteurs ont bien du mal à exister médiatiquement. "On est le parent pauvre de l'agriculture. À part peut-être le syndicat de la Confédération paysanne, personne ne parle de nous", regrette Patrick Chaillou, apiculteur et vice-président du syndicat des apiculteurs du Loir-et-Cher.
Pourtant, selon plusieurs syndicats de la filière, la situation est alarmante depuis plusieurs mois. Les producteurs français peinent à écouler leur stock. "Je connais un producteur qui a 30 000 tonnes de miel qui sont stockées depuis deux ans et il n'arrive pas à les vendre, raconte-t-il, il va falloir que la situation se débloque, sinon certains producteurs risquent de disparaître".
Le 28 février, le gouvernement a annoncé un plan d'urgence pour la filière et a débloqué 5 millions d’euros pour venir en aide. Une décision très insuffisante pour les syndicats des apiculteurs.
🧉🐝Après des mois de mobilisations partout en France des apiculteur·trices et de la @ConfPaysanne, le Ministre a enfin présenté un plan d'action face à la crise apicole au #SIA2024 ! Ce plan témoigne d'une prise de conscience mais encore peu ambitieuse 👇https://t.co/bR2L6IByvG pic.twitter.com/fFHwzIneYM
— Conf' Paysanne (@ConfPaysanne) March 5, 2024
Effondrement des ventes
Cette situation est le résultat d'un effondrement des ventes en particulier sur le marché au gros : "Depuis le mois d'avril 2023, on a vu un truc bizarre. Les ventes ont diminué entre -10 % et -20 %. Et c'est encore pire sur le bio où on observe des pertes jusqu'à -50 %", détaille Florent Vacher, apiculteur "depuis quatre générations" dans le Loiret et à la tête des Apiculteurs associés, le n° 2 du conditionnement de la filière miel en France.
C'est une histoire de gros sous. Certains achètent du miel d'Ukraine à deux euros le kilo
Patrick Chaillou, apiculteur et vice-président du syndicat des apiculteurs du Loir-et-Cher
Alors, à qui la faute ? Pour Patrick Chaillou, c'est avant tout la concurrence européenne à bas coût et l'appétit des conditionneurs pour acheter du miel moins cher venu l'étranger qui fragilise la filière. "C'est une histoire de gros sous. Certains achètent du miel d'Ukraine à deux euros le kilo", dénonce le syndicaliste qui rappelle que les normes sont plus souples dans certains pays étrangers : "Quand on voit que l'Espagne peut acheter du glucose de Chine, puis le mélanger avec un peu de miel espagnol pour ensuite le vendre sous l'étiquette "miel d'Espagne", il y a un problème."
En revanche, Florent Vacher y voit plutôt une explication de court terme : "Le prix du stockage a augmenté de 6 à 7 %. Donc, nous avons acheté moins de stock d'un coup, car il coûtait plus cher. Mais il va y avoir un phénomène de rattrapage dans les prochains mois", avance-t-il, estimant que la situation n'est peut-être "pas aussi alarmante que ce que l'on entend".
"Information toxique"
Autre explication avancée par le conditionneur, "l'information toxique" autour du miel qui aurait fait fuir les consommateurs. Il pointe un rapport de l'Union européenne publié en mars 2023, un mois avant l'effondrement des ventes en France.
Ce rapport indique que 46 % des miels importés en Europe sont suspectés d'être frelaté et donc frauduleux. "Ce qu'entend le consommateur, c'est "un miel sur deux est daubé". Mais la suspicion, ça ne veut rien dire. Nous avons besoin de laboratoires indépendants qui contrôlent les produits pour nous dire si c'est noir ou blanc. Si le produit est frauduleux, alors on le retire ! Et il est urgent d'avoir une harmonisation des règles européennes".
Sur ce point, Patrick Chailloux, l'apiculteur du Loir-et-Cher est d'accord : "Il serait effectivement temps que les choses avancent, car cela fait longtemps que ce n'est pas arriver", ajoute-t-il sans se faire d'illusions : "Certains pays qui exportent du miel chez nous font du commerce avec la France sur plein d'autres produits, je doute qu'on prenne le risque de se fâcher avec eux".
Ramener le consommateur à la maison
Les deux hommes s'accordent également sur la nécessité de mettre en avant les produits français. "Le consommateur, il est aussi acteur. S'il achète Français, alors la grande distribution inondera les rayons de produits français", argue-t-il. En suivant cette logique, les conditionneurs pourraient ainsi acheter plus de miel aux apiculteurs français. "C'est évidemment une bonne chose de mettre l'accent sur les produits qui sont fabriqués chez nous. La situation est difficile, mais on sait qu'il y a des solutions", abonde Patrick Chailloux.
On fait des réunions, des groupes de travail et des machins, mais ça n'avance pas
Florent Vacher, apiculteur dans le Loiret et président des Apiculteurs associés
Mais pour les mettre en œuvre, les deux hommes en appel à l'État : "On fait des réunions, des groupes de travail et des machins, mais ça n'avance pas", dénonce Florent Vacher. "On a le sentiment qu'il y a quand même une prise de conscience", tempère le syndicaliste.
Pour autant, il n'est pas très optimiste quant à l'avenir de la filière : "On risque d'avoir des problèmes de production dans les prochaines années avec le recul sur les produits phytosanitaires. Les pollinisateurs sont en train de disparaître, c'est très inquiétant".
Et l'annonce de la suspension du plan "Échophyto" par le gouvernement pour répondre à la crise des agriculteurs ne risque de ne rien arranger au problème. Quand le bonheur des uns fait la crainte des autres.