Néonicotinoïdes : le projet de loi du gouvernement va-t-il enterrer les abeilles ?

Un projet de loi présenté au Conseil des ministres ce 2 septembre rendra possible des dérogations pour l'usage des néonicotinoïdes dans l'agriculture. Une mesure controversée puisque ces insecticides très puissants font partie des facteurs de la disparition des abeilles.

Les néonicotinoïdes sont-ils sur le point de revenir ? Suite à la dérogation accordée à la filière betteravière cet été, le gouvernement prévoit d'allonger jusqu'à 2023 le recours à un régime dérogatoire pour tous les types de cultures, en garantissant dans le même temps un strict encadrement de ces insecticides extrêmement puissants.
 

Une mesure "d'urgence absolue" pour les betteraviers

"L'usage des néonicotinoïdes est critique pour la filière", défend Guillaume Kasbarian, député LREM d'Eure-et-Loir, l'un des territoires les plus touchés par la crise de la betterave cet été. "La dérogation actuelle a été extrêmement cadrée, avec notamment l'interdiction de planter, dans l'année qui suit, des cultures susceptibles de donner des fleurs", indique l'élu, qui évoque "l'urgence absolue" à laquelle font face les agriculteurs de sa région et l'absence d'alternatives face au néonicotinoïdes.

Cependant, pour ne pas créer une rupture d'égalité qui serait retoquée par le Conseil d'État, le projet de loi ne précise pas de ciblage sur une filière en particulier, ce qui rend théoriquement possible des dérogations par décret en faveur de n'importe quelle filière et met de fait en péril l'interdiction des néonicotinoïdes imposée par la loi depuis 2018.
 


"Pas d'alternative"

"Il n'y a tout simplement pas d'alternative aux néonicotinoïdes", tranche Guillaume Kasbarian. "On ne peut pas se permettre d'être dans une écologie dogmatique", assène le député, "qui sacrifie les agriculteurs" pour une vision "idéologique" de l'environnement. D'après l'élu, qui n'exclut pas un débat juridique sur les termes du projet de loi, le risque de "pente glissante" en faveur d'autres filières est faible et il "ne voit pas le gouvernement faire d'extensions incontrôlées."

Quant à la filière betteravière, l'esprit du législateur est de trouver une forme de compromis entre l'enjeu environnemental et la survie des betteraviers à court terme. En effet, la crise de la betteraves, qui a touché les producteurs y compris dans certaines exploitations bio, a remis en question la cultivation de cette plante par des agriculteurs déjà fragilisés. "La question", insiste Guillaume Kasbarian, "c'est comment peut-on minimiser l'impact sur l'environnement de l'agriculture et en même temps continuer à consommer du sucre français, et à nourrir la population ?"
 

Je ne suis pas de ceux qui disent qu'il faut jeter un voile pudique sur l'usage des pesticides chez nous, qu'il faut les interdire, et par la suite se fournir à l'étranger avec un sucre dont on ne maîtrise pas les conditions de production. On ne peut pas faire des manifestations pour l'Amazonie et en même temps tuer l'agriculture française qui évolue déjà dans un cadre strict.

Guillaume Kasbarian, député LREM de l'Eure-et-Loir


Depuis le mois de juillet, les betteraviers peuvent utiliser des néonicotinoïdes en traitement par enrobage des semences, plutôt que par pulvérisation. L'insecticides est ainsi "infusé" dans la plante plutôt que dissipé dans l'air. La betterave ne présentant pas de floraison avant d'être récolté, les syndicats agricoles estiment que le risque pour les abeilles est faible "J'ai fait beaucoup de marchés et je n'ai jamais vu de miel de betterave. Il faut sortir de l'idéologie : l'écologie, c'est de la science.

Le rôle des néonicotinoïdes démontré dans la mortalité des insectes

Mais la science, de son côté, ne peut que rappeler une nouvelle fois l'effet délétère de ces pesticides sur l'environnement. Même dans un usage cadré et présents à des taux très faible, les néonicotinoïdes présentent un danger attesté depuis plusieurs années pour les populations d'insectes, en particulier les pollinisateurs.

"Plusieurs études ont démontré que ces molécules, même à des doses infimes, perturbent les capacités mnésiques des abeilles de l'espèce Apis mellifera", explique le professeur Steeve Thany, qui dirige l'équipe "Entomologie et biologie intégrée" au sein du Laboratoire de biologie des ligneux et grandes cultures(LBLGC) de l'Université d'Orléans. "En gros, la mémoire et la capacité d'apprentissage de l'abeille est perturbée, et elles ne parviennent plus à retrouver leurs ruches", ce qui rend d'autant plus difficile, pour les apiculteurs, la mesure de la mortalité effectivement due à ces insecticides.

"Ce qu'on voit, c'est que ces molécules se retrouvent dans le sol et dans les eaux, et ont un impact également sur la faune aquatique", poursuit Steeve Thany. Même sans fleurissement, les néonicotinoïdes présents dans un traitement par enrobage peuvent se retrouver non seulement dans le sol, mais également dans les parcelles avoisinantes, confirme le scientifique.
 

L'extinction des abeilles, un phénomène "multifactoriel"

Le problème est d'autant plus épineux que l'extinction des abeilles est un phénomène "multifactoriel". "Elles vivent dans un environnement massivement cultivé, où il y a beaucoup de monoculture et très peu de biodiversité, où la pression de sélection est très forte", déplore le professeur Thany. "Les insectes cibles deviennent plus résistants, ce qui pousse les industriels à augmenter sans cesse les produits insecticides." Des produits qui, à l'heure actuelle, ne présentent aucune alternative pesticide sans effets secondaires.

Sans modifier profondément les modes de production, l'agriculture est donc contrainte à une surenchère constante dans les produits phytosanitaires, ou à subir des crises sanitaires toujours plus importantes. Lors de sa visite dans le Loiret le 2 septembre, le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, a affirmé "qu'une transition ça prend du temps, c'est complexe, il faut la faire avec beaucoup de détermination". Les abeilles, une fois de plus, sont priées de patienter.
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