Selon nos informations, la commission locale de la centrale de Poissy a émis un avis défavorable concernant la levée du statut de "détenu particulièrement signalé" d’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri. Une première depuis 2017 de la part de cette commission-là.

Alain Ferrandi et Pierre Alessandri vont-ils rester emprisonnés un an de plus sur le continent ?

Vendredi 18 février, la commission locale de la centrale de Poissy (Yvelines) a émis un avis défavorable concernant la levée du statut de "détenu particulièrement signalé" (DPS) des deux hommes.

Depuis 2017 et la fin de leur période de sûreté, c'est la première fois que cette commission rend un avis négatif les concernant.

"Je suis scandalisée par ce maintien en détention qui est anti-démocratique au possible et qui traduit vraiment une vengeance d'État, a réagi Me Françoise Davideau, avocate d'Alain Ferrandi. Il y a une volonté farouche de ne pas libérer ces détenus. Pour l'instant, c'est quasiment une peine de mort annoncée en prison."

"La motivation reprend intégralement les motifs toujours opposés par le ministère à savoir la gravité des faits et la nature de la victime, le trouble à l’ordre public, la forte médiatisation de l'affaire et le risque d’évasion, explique Marie-Josée Bellagamba, avocate de Pierre Alessandri avec Eric Barbolosi. Le trouble à l’ordre public et l'extrême médiatisation de l’affaire sont les deux motifs récurrents. Ces mêmes motifs invoqués lors des précédentes décisions par les représentants du parquet n’avaient cependant pas empêché certains (membres de la commission) de se prononcer pour la radiation.

7 sur 10

Selon nos informations, au sein de la commission locale, sept personnes sur dix ont voté en faveur du maintien du statut de DPS des deux détenus corses. À l'inverse, les trois voix qui se sont prononcées pour leur radiation émaneraeint du représentant du Service pénitentiare d'insertion et de probation (SPIP) et des deux vice-présidents de l'application des peines près le tribunal de Paris et de Versailles. Tous les autres représentants de l’administration en général, du ministère de l’Intérieur et du parquet ont voté pour le maintien du statut de DPS.

Ci-dessous, les dix membres qui composent la commission locale DPS : 

  • le chef d’établissement pénitentiaire ou son représentant (qui préside)
  • le procureur de la République, ou son représentant
  • le préfet ou son représentant, en cas de nécessité
  • le directeur inter-régional des services pénitentiaires ou son représentant,
  • un représentant de chacun des services de police exerçant leurs activités dans le ressort du tribunal
  • le commandant du groupement de gendarmerie départemental ou son représentant
  • le délégué local du renseignement pénitentiaire
  • le juge d’instruction, s’agissant des personnes prévenues
  • le juge de l’application des peines, s’agissant des personnes condamnées
  • le juge de l’application des peines de Paris en charge des condamnés pour affaires de terrorisme ainsi que le parquet de l’exécution des peines de Paris s’agissant des personnes détenues pour des faits de nature terroriste

Pour rappel, en 2018, cette même commission avait rendu un avis unanimement favorable à la levée du statut de DPS des deux hommes. En 2019, ses dix membres n'avaient pu se départager mais le représentant du ministre de l’Intérieur y était favorable. En 2020, 8 voix sur 10 s'étaient prononcées pour. L'an passé, cette commission locale n'était pas parvenue à se réunir pour statuer sur le cas de Pierre Alesandri et Alain Ferrandi.

Avis consultatif

Pour autant, son avis reste consultatif. En effet, c'est le gouvernement qui doit, au final, statuer sur les DPS. Depuis quatre ans, ce dernier n'a jamais suivi les conclusions de la commission locale pénitentiaire au sujet des deux prisonniers.

Par conséquent, leur maintien sur ce registre constitue un frein à leur rapprochement au centre pénitentiaire de Borgo. 

"Une énième fois, c'est l'incompréhension qui demeure, confie Simon'Paulu Ferrandi, fils d'Alain Ferrandi. Les dernières années, cette commission s'était toujours prononcée en faveur de la levée de leur statut. On ne sait pas comment elle motive son choix, mais il n'y a aucun élément à charge contre eux qui pourrait expliquer cet avis défavorable. Il semble y avoir la volonté du politique de s'immiscer dans la justice."

"Pas un bon signal"

Cette décision de la commission locale intervient un mois après la visite de plusieurs parlementaires corses et continentaux dans les centrales de Poissy et d’Arles. Ils y avaient d'abord rencontré Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, puis Yvan Colonna, tous trois condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité pour l'assassinat du préfet Erignac.

Député LREM de l'Eure, Bruno Questel faisait notamment partie de la délégation reçue à la maison centrale de Poissy. Pour lui, cette décision de la commission locale "n'est pas un bon signal" : " Si l'on se réfère aux décisions des années précédentes, j'ai l'impression de reculer de plusieurs années dans les motivations qui ont pu justifier celle-ci. Je veux toujours rappeler l'horreur de l'acte, cet assassinat insupportable et lâche. Mais je veux souligner que dans notre pays le droit doit s'appliquer à tous. Ce statut de DPS est un frein considérable à tout aménagement de peine et à tout rapprochement des trois personnes concernées, et des deux qui se sont vues notifier cette décision ce matin. Je ne pense pas que ce soit la bonne approche pour construire une Corse apaisée pour les années futures."

"C'est une surprise, c'est le moins que l'on puisse dire, confie de son côté Jean-Jacques Ferrara, député de la première circonscription de Corse-du-Sud lui aussi présent à Poissy le 20 janvier dernier. On a l'impression que certains souhaitent se retrancher derrière cet avis négatif de la commission pour éviter toute possibilité de rapprochement. C'est une décision surprenante dans la mesure où elle intervient après des décisions favorables. J'avais rencontré avec mes collègues les deux détenus il y a très peu de temps, en présence de la directrice de l'établissement, dans un contexte tout à fait apaisé. On n'avait ressenti aucune tension entre l'administration pénitentiaire et les deux détenus. Par conséquent, je ne vois pas ce qui a motivé cette décision que je ne comprends pas très bien. Et je ne suis pas le seul. Une telle décision nécessitera très certainement et forcément un débat contradictoire." Celui-ci devrait avoir lieu le 3 mars.

Réactions des nationalistes

Sur Twitter, Femu a Corsica a réagi à cet avis de la commission locale. "La commission jusque-là favorable à la levée du statut de DPS s'est de manière scandaleuse conformée aux injonctions de la hiérarchie politique", a écrit le parti de la majorité territoriale.

Pour Core in Fronte, cettte décision est "est politique et va servir de prétexte à l'Etat, avant la Présidentielle, pour justifier d'aucune avancée dans le dossier Erignac. La France applique la vengeance d'Etat."

Dans la lignée de la conférence de presse qu'il a tenue dimanche à Corte, Jean-Christophe Angelini a relié cet événement à la situation actuelle de l'île. "Sans débat global ni initiative politique, la situation de la Corse va continuer de s’enliser. Dangereusement.", a posté le chef de file du Partitu di a Nazione Corsa.

Timing politique

À moins de deux mois du premier tour de l’élection présidentielle, cette décision apparaît comme un nouveau signe de blocage politique autour de cette question très sensible.

"Tout le monde sait qu'à quelques semaines des élections présidentielles et législatives, il est très difficile d'obtenir des décisions prégnantes qui fassent que certaines revendications soient entendues, relève Bruno Questel. Maintenant, il ne faudrait pas que la décision de cette commission locale soit la conséquence de la mobilisation de l'ensemble des groupes parlementaires de l'Assemblée nationale. Sur tous les bancs, nous sommes très nombreux à considérer que l'approche doit être différente vis-à-vis de ces trois personnes."

"On pensait que l'on pouvait parvenir à ce rapprochement ou, en tout cas, l'envisager peut-être après les présidentielles."

Jean-Jacques Ferrara

Jean-Jacques Ferrara abonde dans le même sens. "Il y avait un espoir, note le député insulaire Les Républicains. C'est vrai que la mobilisation des parlementaires de tous bords a montré qu'il y avait une prise de conscience partagée, quelles que soient les opinions politiques. Des discussions avaient eu lieu. On pensait que l'on pouvait parvenir à ce rapprochement ou, en tout cas, l'envisager peut-être après les présidentielles ou que quelque chose allait s'ouvrir. Ce n'est pas le cas pour l'instant. Nous allons attendre les éléments dont disposeront les défenseurs des deux détenus après ce débat contradictoire, puis nous - les parlementaires de la délégation - aviserons le moment venu."

"C'est un choix politique et pas autre chose, tranche Paul-André Colombani, député nationaliste de la deuxième circonscription de Corse-du-Sud. Il y a tout un tas de dossiers qui sont en suspens sur ce quinquennat avec la Corse et celui-ci, malheureusement, en fait partie. Il y a quelques jours encore, lorsqu'on a voté la loi contra la spéculation immobilière, on avait qu'un seul adversaire dans l'hémicycle (de l'Assemblée nationale), c'était la ministre Mme Gourault. Pour des prétextes fallacieux, elle s'est débrouillée pour donner une position défavorable du gouvernement, malgré l'unaniité de l'hémicycle contre elle. Dans ce quinquennat d'Emmanuel Macron avec la Corse, on n'est pas loin d'avoir un zéro pointé. [...] On nous dit la campagne présidentielle, ce n'est pas le bon moment pour régler cette histoire, mais on a eu cinq ans pour le faire et rien n'a été fait. Malgré les signaux qu'on avait eus et que l'on pensait interpréter dans le bons sens, il n'y aura malheuruesemnt pas d'avancée."

"Boucs émissaires"

Via un communiqué, le collectif L'ora di u ritornu "s'interroge sur le fondement des décisions prises par cette commission, sur les intentions réelles du gouvernement et in fine sur les finalités recherchées." Pour l'association de soutien aux prisonniers, "Pierre Alessandri et Alain Ferrandi sont aujourd’hui, tout à la fois, les victimes d’une vengeance d’Etat qui bafoue les règles élémentaires du droit et les boucs émissaires d’une situation socio-politique qui ne les concerne qu’indirectement."

Pierre Alessandri et Alain Ferrandi sont conditionnables depuis plus de quatre ans. Jusqu'à présent, leurs différentes demandes d'aménagement de peine n'ont jamais été acceptées par la justice.

Le 24 février prochain, le tribunal d'application des peines de Paris doit d'ailleurs rendre son jugement concernant la dernière requête déposée par Alain Ferrandi. Celle-ci avait été examinée le 20 janvier, un mois avant que la commission locale de Poissy ne se prononce sur le maintien du statut de DPS des deux détenus incarcérés depuis 23 ans sur le continent.

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