"Dépasser les clivages dans l'intérêt du territoire", entretien avec Marlène Schiappa

La ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur et chargée de la Citoyenneté pose ses valises en Corse pour 2 jours. Une visite éclair qui visera notamment à appuyer la stratégie vaccinale du gouvernement face au Covid-19. Elle a accordé un entretien à France 3 Corse ViaStella.

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"Retour aux sources" express pour Marlène Schiappa, qui n’a jamais fait de ses origines insulaires un secret : la ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur en charge de la Citoyenneté est en déplacement en Corse pour deux jours, jeudi 8 et vendredi 9 avril. Un voyage qui visera notament à mettre en valeur l'effort vaccinal de la région, championne de France dans le domaine. [Programme à retrouver en bas de papier]

Entretien avec Marlène Schiappa, ministre déléguée en charge de la Citoyenneté

Pourquoi avoir choisi de venir en Corse maintenant ?

Je viens régulièrement en Corse. Au-delà de mes voyages personnels, je m'y déplace plusieurs fois par an, parce qu'il est important de maintenir un lien entre l'Etat et la région, en plus des liens entretenus par Jacqueline Gourault, la ministre chef de file sur ces dossiers.

La Corse-du-Sud est de plus championne de France de la vaccination [contre le Covid-19, en nombre de personnes vaccinées rapporté à l'ensemble de la population, ndrl]. On a pu le lire dans plusieurs articles, et voir plusieurs médias saluer la mobilisation des personnes sur le terrain. Donc si on vient, c'est aussi pour saluer le travail mené par les soignants, les pompiers, et tous les acteurs locaux, et pour continuer à faire passer des messages de prévention et d'importance de poursuivre dans cette lignée.

Vous avez justement prévu de visiter deux centres de vaccination, celui de Baléone et celui de Porto-Vecchio. Des sources laissent entendre que vous avez oeuvré en coulisses pour assurer un approvisionnement suffisant de doses vaccinales en Corse, vous confirmez ?

Je n’ai fait que mon travail. Des soignants, des personnes comme Michel Mozziconacci, président de l’Ordre régional des médecins, m'ont alertée en janvier qu’il fallait davantage de doses en Corse. Ce sont des messages que j'ai transmis aux autorités compétentes, pour faire en sorte que l'île soit suffisamment protégée. 

L'ensemble du territoire métropolitain est reconfiné depuis le 3 avril pour un minimum de quatre semaines. Sur la semaine du 22 au 28 mars, le taux d'incidence [le nombre de cas positifs pour 100.000 habitants] était de 130 en Haute-Corse, et 180 en Corse, contre 384 pour la moyenne nationale. Certains départements d'Outre-mer non-concernés par ces nouvelles mesures de restriction recensaient eux des taux d'incidence encore plus élevés : 467 pour 100.000 habitants à Saint-Barthélemy. Fallait-il vraiment reconfiner la Corse ?

Le parti qui a été pris a été de prendre les mesures les plus drastiques, parce qu'on sait que la vérité d'un jour n'est pas forcément la vérité du lendemain. On l'a bien vu avec le cluster à Ajaccio : les choses peuvent bouger très vite.

Ce qui est aujourd'hui important de répéter, c'est que le vaccin, c'est la lumière au bout du tunnel, et ce qui nous permettra de sortir de cette situation. 

Votre visite en Corse s'inscrit dans un contexte politique incertain, en grande partie dû à la pandémie de Covid. Les élections territoriales de mars dernier ont déjà été repoussées à juin, et l'hypothèse d'un nouveau report est encore sur la table des discussions. Si le Premier ministre a récemment indiqué que leur maintien reste à ce stade le scénario privilégié, on sent le gouvernement et le Président encore hésitants sur ce point... 

À titre personnel, je souhaite que les élections se tiennent au mois de juin. Il s'agit d'un rendez-vous démocratique important, et je suis très attachée au respect de la démocratie. Les Corses le sont aussi. La première constitution a d'ailleurs été écrite en Corse. [La Constitution corse, adoptée  le 18 novembre 1755, est considérée par certains historiens comme la première consitution démocratique de l'histoire moderne, ndlr]

Au ministère de l'Intérieur, nous sommes préparés à ce que le scrutin se déroule dans le respect des mesures sanitaires. Nous avons mis en place plusieurs mesures, comme la désignation en l'absence d'assesseur de l'électeur le plus jeune, par défaut, plutôt que le plus âgé, des procurations que l'on peut faire en ligne en moins de dix minutes et la double-procuration, qui permet à une personne de réprésenter deux électeurs à la fois.

Nous nous tenons également disponibles à accompagner les collectivités et les maires pour faire en sorte que le vote se déroule dans les meilleures conditions.

À titre personnel, je souhaite que les élections se tiennent au mois de juin. Il s'agit d'un rendez-vous démocratique important, et je suis très attachée au respect de la démocratie.

Mais cette décision ne peut pas être prise seulement par l'exécutif. Le Premier ministre a lancé une consultation des partis politiques au Parlement et des associations d'élus locaux sur ce point. Si l'ensemble des élus appelle à un report, il faudra dans ce cas discuter de la suite à prendre. 

Les contraintes sanitaires rendent la campagne électorale presque impossible pour les candidats. Si le scrutin est maintenu, ne-va-t-on pas au devant d'un problème démocratique ?

Nous avons débattu à l'Assemblée Nationale et au Sénat avec les parlementaires sur ce point, et nous avons adopté un certain nombre de règles pour permettre de faire campagne dans le respect des mesures sanitaires, par voie numérique, par téléphone...

Ce ne sera pas une campagne comme les autres parce qu'il est bien évidemment difficile de se réunir. Mais nous avons toujours espoir qu'en juin, la situation s'améliore et offre plus de libertés.

En juin, il sera presque déjà l'heure de voter...

C'est pour cela que l'on sollicite aujourd'hui l'opinion des partis politiques représentés au Parlement, pour arriver à une décision commune, en écoutant les avis de chacun.

Repousser à nouveau les élections, nous l'avons fait une première fois par le vote d'une loi, ce n'est pas anodin. Nous sommes hélas aujourd'hui face à des situations qui sont particulièrement difficiles, et pour lesquelles il nous faut trouver des solutions. Si l'on repoussait éternellement les élections, on irait au-devant d'un problème démocratique.

Une grande partie des électeurs semble encore ignorer la tenue prochaine d'élections. D'autres ont déjà acté leur intention de ne pas voter, par crainte de contamination au Covid. Il y a le risque d'une abstention massive, comme celle relevée en mars 2020, au premier tour des élections municipales. Quelle peut être la légitimité d'une Assemblée élue avec 30% des électeurs inscrits, voire moins ? 

La question de la mobilisation des électeurs est fondamentale, en période Covid comme en période hors-Covid-19. En Corse, il y a de plus un enjeu territorial particulier.

De manière générale, en regardant les chiffres des dernières élections régionales, on voit que la participation est difficile. Les Français disposent d’un intérêt très fort pour le débat politique qui ne se retrouve pas forcément dans le pourcentage de votants. C’est aujourd’hui une vraie question globale de démocratie, qui se pose en France, mais également dans d’autres pays confrontés aux mêmes difficultés.

Comment peut-on remédier à ce problème ?

Des mesures comme la procuration en ligne et la double-procuration visent aussi à élargir la participation. Mais derrière cela, il appartient aux partis politiques et aux candidats de se renouveler au moment de la campagne pour former leur réseau et remobiliser autour d'eux la population.

La République en Marche est née de cette idée de raccrocher des personnes qui se sont éloignées de la politique.

La République en Marche ne dispose justement que de peu de représentants en Corse. Sur quels soutiens Emmanuel Macron peut-il aujourd'hui s'appuyer pour mener sa politique sur l'île ? 

Le mouvement En Marche est jeune, à peine cinq ans. Mais j'observe que déjà en 2017, beaucoup de maires en Corse avaient parainé Emmanuel Macron au moment de la campagne présidentielle, et j’espère qu’ils lui renouvelleront leur soutien.

Nous avons un chef de file, Jean-Charles Orsucci, le maire de Bonifacio, et il lui appartient de structurer autour de lui une équipe. Nous avons aussi des personnes très investies, comme notre référente régionale, Marie Luccioni, et des soutiens comme le maire d’Olmeto, José-Pierre Mozziconacci.

D'autres élus qui ne sont pas forcément encartés soutiennent aussi La République en Marche, et au-delà des élus, nous avons aussi des soutiens au sein de la population.

Les rapports entre l'Etat et la majorité nationaliste insulaire sont conflictuels depuis l'élection d'Emmanuel Macron. Mais la situation s'est dégradée depuis l'arrivée en juillet 2020 de Pascal Lelarge au poste de Préfet de Corse.

On assiste depuis plusieurs mois à une escalade des tensions : on peut citer la polémique née autour de la motion de soutien au peuple Arménienle plan Salvezza, ou encore la demande de levée du staut de DPS pour Alain Ferrandi et Pierre Alessandri... Comment sortir de cette situation ?

Je suis très attachée à la démocratie et au dialogue, ainsi qu'à respecter la légitimité des élus que les citoyens ont choisi. Je discute avec beaucoup d’élus quand je viens en Corse, je m’entretiens aussi avec Gilles Simeoni. Et je sais que la Corse a aujourd'hui beaucoup d’interlocuteurs qui font le lien entre l’île et le continent.  

Nous souhaitons que le dialogue se poursuive. Il est nécessaire et incontournable, et il faut écouter tous les bords politiques.

Mais aussi la population, et notamment la jeunesse corse, sur des questions politiques, mais aussi sur ses aspirations du quotidien, le travail, la famille, la santé, la société…

Le dialogue semble pourtant aujourd'hui rompu entre le Préfet et la majorité nationaliste...

Ce n'est pas ce que je vis personnellement. Le fait qu’il existe un désaccord ou un rapport de force politique, c’est normal et cela fait partie de la vie démocratique. Mais quand je suis en Corse, j'échange avec beaucoup de personnes. On réussit mieux en travaillant ensemble. Le Préfet mène un travail important.

Si la Corse-du-Sud réussit aussi bien sur la question de la vaccination, c’est aussi je pense parce qu’on y arrive à dépasser les clivages politiques dans l’intérêt du territoire.

Le fait qu’il existe un désaccord ou un rapport de force politique, c’est normal et cela fait partie de la vie démocratique.

Concernant le projet de loi séparatisme, le texte est vécu par certains, en Corse comme sur le continent, comme attentatoire aux particularismes. Le drapeau et la langue corses sont-ils possiblement menacés par ce texte ?

En aucun cas, jamais. Je me suis exprimée à ce sujet à l’Assemblée Nationale. J’ai rappelé mon attachement à la langue corse, qui doit être mieux comprise, mieux transmise et apprise aux enfants. L'Education Nationale verse d'ailleurs des financements dans ce but.

En ce qui concerne le drapeau, je me suis récemment élevée contre un amendement déposé au Sénat [par le sénateur azuréen LR Henri Leroy, ndlr] qui veut interdire les drapeaux étrangers lors des mariages civils. J'ai pris l'exemple de la Corse pour exprimer mon désaccord (même si bien sûr il n'était pas concerné) pour laquelle le drapeau est aussi un rappel de la fierté de sa culture [L'amendement a été voté le 31 mars, ndlr].

Moi, je me porte garante que chacun en Corse puisse porter ses valeurs et ce qui le représente, sa culture et son patrimoine sans qu’on l’en empêche.

Le mouvement #Iwas avait semblé provoquer une véritable onde de choc au sein de la population insulaire. 10 mois après les premiers rassemblements en Corse, avez-vous le sentiment de progrès au sein de la société insulaire sur la question des violences sexistes et sexuelles ?

Je l’espère ! Il y a des progrès dans toute la société. On ne peut pas dire que partout dans le monde il y aurait une libération de la parole de la femme, sauf en Corse.

On sait qu’en Corse, on a très peu de violences de rues contre les femmes, le harcèlement de rue est très rare. Quand on compare la Porte de la Chapelle à Paris et le cour Napoléon à Ajaccio, on voit qu'il y a un plus grand respect des femmes sur l'île.

Quand on compare la Porte de la Chapelle à Paris et le cour Napoléon à Ajaccio, on voit qu'il y a un plus grand respect des femmes sur l'île.

En revanche, il existe des violences intraconjugales, et ça il faut le prendre en compte. J’ai décidé de former l’ensemble des policiers à la prise en charge des victimes de violences conjugales. C’est quelque chose que j’avais annoncé lors de ma dernière venue et qui est désormais fait.

Nous avons aussi financé la mise en place d’un intervenant social au commissariat d’Ajaccio, qui s’occupe de la prise en charge et l’accueil de ces victimes. Car il n’est pas simple pour elles de témoigner de leurs violences, dans une île où tout le monde se connaît.

Avec le confinement ces violences conjugales ont de plus augmenté. Les victimes peuvent notamment se signaler sur la plateforme arretonslesviolences.gouv.fr que nous avons mis en place [en automne 2018]. Nous avons enregistré une hausse de 60% des appels de victimes pendant le deuxième confinement. Elle était de 40% au printemps dernier. 20% des saisies que nous y avons sont faites par des mineurs qui alertent de violences sur leur mère. Nous n’avons pas de chiffres précis pour la Corse, mais ce sont des saisies qui se font sur tout le territoire.

Programme chargé

Déplacement éclair pour la ministre, mais planning serré :

  • Le 8 avril, elle entamera sa tournée par une visite du centre de vaccination de Baléone, avant de rejoindre la gendarmerie maritime d'Aspretto, où sera abordée la question de la protection de l'environnement dans la région. En fin de journée, elle se rendra à Olmeto, et signera avec le maire de la commune, son ami Michel Mozziconacci, une convention sur la tranquillité publique.
  • Le 9 avril, Marlène Schiappa est attendue au centre de vaccination de Porto-Vecchio. Dernier étape de ce déplacement ministériel : Bonifacio, où elle remettra au maire étiquetté LREM, Jean-Charles Orsucci, le macaron du label "Sécuri-site". Celui-ci certifie la mise en place par ses titulaires d’un dispositif de sécurité complet sur les sites touristiques de la ville, à l’intérieur comme aux abords des établissements, et d’une collaboration étroite avec les autorités.
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