Procès pour trafic de stupéfiants : Louis Carboni reconnaît les faits

Trois hommes, dont les cas avaient été disjoints d'un procès fin octobre, comparaissent depuis lundi devant le tribunal d’Ajaccio pour un trafic de stupéfiants. Suspecté d’occuper une place centrale, Louis Carboni a reconnu les faits tout en disculpant son fils Mickaël ainsi que Mickaël Sanna.

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Dos à une salle d'audience quasiment vide, penché sur le pupitre face au président du tribunal, Louis Carboni n'y va pas par quatre chemins. "Monsieur le président, je reconnais les faits et je ne mettrai personne en cause.

S’il admet avoir acheté et transporté de la cocaïne, il indique que c’était aussi pour financer sa consommation personnelle. 

Depuis ce lundi, l'homme originaire de Cargèse est jugé pour un trafic de stupéfiants entre la Corse et le continent. Il comparaît avec son fils Mickaël Carboni et un ami de ce dernier, Mickaël Sanna. Tous deux mis en examen en juin 2017, ils sont soupçonnés d’avoir participé à la revente des produits stupéfiants dans l’île. 

Le cas de ces trois hommes avait été disjoint le 26 octobre dernier, jour d’ouverture du premier épisode de ce procès où huit autres prévenus avaient été jugés sans la présence de leurs avocats. Cela faisait suite à un refus du président de ne pas vouloir renvoyer l’audience. La bâtonnière Julia Tiberi avait notamment frappé la barre d'interdit. Ce jour-là, le procureur Alexandre Apel avait requis des peines de 18 mois à 10 ans de prison. 

"J'ai perdu ma vie"

Quasiment deux mois plus tard, Louis Carboni peut cette fois s’expliquer. Arrêté en mars 2017 près de Lyon en possession de 3,5 kilos de cocaïne (et 13.000 euros en espèces) dissimulés dans le tableau de bord de sa voiture, il serait, pour les enquêteurs, le chef d’orchestre de ce trafic. Ces derniers s’appuient sur de nombreuses écoutes et filatures. 

Des trois prévenus, il est le premier à se présenter devant le président du tribunal. Il est aussi le plus âgé et le seul à être jugé derrière le box vitré. En récidive légale, il encourt 20 ans de réclusion. 

Actuellement détenu à la maison d’arrêt de Draguinan, il y purge une peine de 4 ans ferme pour détention et transport non-autorisé d’arme.  

Vêtu d’un pull zippé gris dont la couleur rappelle celle de ses cheveux, l’homme de 65 ans au lourd passé judiciaire paraît fatigué. Derrière son masque, il tousse par quintes.

Le président l'invite à quitter sa cage de verre pour venir à la barre. Fiché au grand banditisme, Louis Carboni fait part de sa lassitude des salles d'audience. "J’ai perdu ma vie en cherchant à passer à travers les mailles de la justice, regrette-t-il, en se traitant "d’idiot ayant mis beaucoup de temps à prendre conscience des choses simples de la vie".

"On se retrouve dans une situation ubuesque."

Me Vinier-Orsetti

Condamné à 18 reprises dans son existence, soit un total de 51 ans de prison dont 20 pour trafic de drogue, il s’était notamment évadé en hélicoptère de la prison de Borgo en 2001. 

Dans ce procès en deux épisodes (le premier ayant eu lieu fin octobre), il y a aussi deux procédures distinctes : une partie concerne le continent et l’international (et est jugée à part), l’autre la vente en Corse, examinée ici séparément. Au grand dam de l’avocat de Louis Carboni qui a déposé une demande de nullité de l’ordonnance de renvoi. "On se retrouve dans une situation ubuesque, explique Me Antoine Vinier-Orsetti, soutenu dans sa démarche par Mes Charlotte Cesari et Jérôme Susini. Louis Carboni comparaît pour l’ensemble des faits qui lui sont reprochés (trafic de produits stupéfiants, association de malfaiteurs et importation) alors même que ces faits d’importation et d’association de malfaiteurs ont fait l’objet d’une disjonction (en janvier 2019) et qu’ils sont aujourd’hui instruits devant un juge d’instruction ajaccien. Ce qui revient à dire que M. Carboni pourrait être condamné deux fois pour les mêmes faits. C’est interdit par la loi. On nous parle de faits qui font actuellement l'objet d’une information judiciaire à laquelle nous n’avons pas accès. Le tribunal a joint l'incident au fond. Il videra son délibéré à la fois sur la procédure et sur le fond normalement ce vendredi." Soit le même jour que le délibéré du premier procès du 26 octobre. 

400 km par jour

Ce lundi matin, il a donc été aussi question du volet international de l’affaire. Le président a notamment souligné les "liens entre Louis Carboni et des individus d’origine étrangère présentant de gros profils et ayant déjà été interpellés avec de grosses quantités". Il s’est également attardé sur la période comprise entre 2015 et mars 2017 pendant laquelle Louis Carboni se déplace beaucoup en voiture entre le continent, la Belgique et les Pays-Bas. Il lui est reproché d’avoir ramené des produits stupéfiants sur le territoire français en s’approvisionnant dans ces pays-là. 

"Vous roulez beaucoup : 100.000 km en 10 mois, près de 400 km par jour, calcule le président. C’était pourquoi tous ces kilomètres ?" 

"Je ne veux pas minimiser, répond calmement Louis Carboni, mais, en Belgique, je n’ai pas acheté que des stupéfiants, j’ai aussi acheté des voitures." 

Le président veut connaître l’ampleur des achats de drogue : "ce qui vous est reproché n’est pas un petit trafic de stupéfiants. On ne parle pas que de votre consommation personnelle…

"J’ai acheté 2-3 fois mais si j’avais été un grossiste, je n’aurais pas utilisé ma voiture, répond le prévenu.  Je ne minimise rien, le délit est là et il est grave."

"Vous alliez en Hollande pour votre consommation ou dans un but lucratif ?", demande le président. "Pour les deux, car il fallait que je paie ma consommation." 

"Je croyais que vous n’étiez plus consommateur ?" 

"Je l’ai été toute ma vie", répond Louis Carboni :   

Le procureur pointe lui des "explications pas très convaincantes". "Vous nous avez dit que c’était pour financer votre consommation. Mais il y avait un caratère lucratif derrière ?

"Oui, répond Louis Carboni. Il y en a toujours un. Mais le problème, c’est qu’il ne faut pas consommer comme moi."

 Le magistrat du parquet l’interrgoge sur l’argent pour acheter les 3,5 kilos de cocaïne trouvés en sa possession. "On m’a demandé de transporter la drogue." "En échange de quoi ?" "De 10.000 euros.", conclut Louis Carboni. 

Toujours au sujet du "volet continental", le président s’attire les remontrances de la défense lorsqu’il évoque un individu de l’autre procédure (celle concernant le continent et l'étranger) qui met en cause Louis Carboni. Me Vinier-Orsetti intervient : "Malheureusement, on subit. Cette personne, on en fait un témoin à charge et elle n’est pas là. Or, il aurait été bien qu’elle vienne s’expliquer ici."

"Beaucoup de contacts" 

Sur le "volet corse", le président s’est surtout intéressé aux relations entre Louis Carboni et un ami de son fils, Ange-Marie Gaffory. 10 ans de prison et 90.000 euros ont été requis contre ce dernier lors du premier procès fin octobre. Le procureur était déjà le même. Il avait alors comparé "son rôle à celui d’un directeur général". 

Selon les enquêteurs, il faisait passer l’argent à Louis Carboni pour acheter la drogue à l'étranger. En mai 2015, l’enquête démarre d’ailleurs à partir d’Ange-Marie Gaffory. À la suite d’un renseignement anonyme l'accusant d'organiser un trafic, son téléphone avait été placé sur écoute.  

En mars dernier, il avait d’ailleurs été acquitté avec Mickaël Sanna et Mickaël Carboni pour l’assassinat de Jean-Michel German. Le parquet a fait appel de la décision

"M. Carboni, on vous reproche des liens étroits, pas ceux avec votre fils car il est normal que vous ayez des liens avec lui, mais il y a beaucoup de contacts avec Ange-Marie Gaffory que l’on n’explique pas forcément de façon objective", souligne le président. 

"Ange-Marie Gaffory, je l’ai vu deux fois à Lyon et à Marseille, situe Louis Carboni. Avec moi, Ange-Marie Gaffory, il n’a rien fait."

Quant à Mickaël Sanna, Louis Carboni dit qu’il "ne le connaissait pas".  

"Vous ne l’aviez jamais vu avant votre incarcécartion en 2017 ?, interroge le juge. Il y a des surveillances où l’on vous voit à moins d’un mètre en avril 2016. Il y a une photo."

"Il est venu avec quelqu’un d’autre, je ne le connaissais pas. Je n’ai pas d’écoutes avec lui. Je n’ai jamais parlé avec lui, à part en prison." 

"Je joue mon avenir"

Appelé à la barre après Louis Carboni, Mickaël Sanna comparaît libre. Âgé de 36 ans, il encourt 10 ans de prison. Questionné sur ses liens avec Louis Carboni, celui que les enquêteurs présentent comme un revendeur répond : "C’est le père de mon ami."  

Le président rappelle à Mickaël Sanna que son ADN a été retrouvé sur une pile de balance dans l’appartement de Sébastien Caussin, contre lequel le procureur a requis 6 ans ferme et 15.000 euros d’amende dans ce même dossier fin octobre.   

"J’ai demandé une confrontation à la juge d’instruction avec mes accusateurs et on ne me l’a pas accordée"

"Je ne m’explique pas cette trace ADN, peut-être un transfert, estime Mickaël Sanna qui ne nie pas être allé dans l’appartement. Ce qu’il nie en bloc, en revanche, ce sont les faits qui lui sont reprochés. À l'instar de ses avocats, Me Vinier-Orsetti et Cesari, il pointe aussi "des raccourcis". "Je n’ai jamais trafiqué de drogue M. le président. Je joue mon avenir."

Le président évoque alors des écoutes et deux personnes qui affirment lui avoir acheté des produits stupéfiants. "J’ai demandé une confrontation à la juge d’instruction avec mes accusateurs et on ne me l’a pas accordée", rétorque-t-il, quelque peu agacé. 

"Je n’ai jamais trafiqué avec la Corse"

Louis Carboni, lui, est retourné suivre les débats derrière la vitre de son box, impassible et tête baissée.

Juste avant de regagner sa cage de verre (pour laisser sa place au pupitre à Mickaël Sanna), le président l’avait interrogé sur ses rapports avec son fils Mickaël Carboni. "Avec mon fils, on s’est disputé a chaque fois qu’il allait en prison, confie le Cargésien. Vous ne connaitrez pas un voyou qui veut que son fils soit voyou. Moi, c’était ma vie, c’était mon métier. Si j’ai donné des stupéfiants à mon fils, il faut me couper les mains. Pourquoi il est là ? Parce que c’est mon fils. Pourquoi il a été aux assises ? Parce que c’est mon fils. J’ai deux tares : un fils (Jean-Antoine Carboni) qu’on a tué certainement à cause de moi et un fils qui est là, qui n’a rien fait." 

Et d’ajouter sur un ton offensif : "Je n’ai jamais trafiqué de drogue avec la Corse. Je suis parti sur le continent. Vous croyez que je vais m’y mettre à plus de 60 ans ?! Trouvez-moi une seule preuve qui peut me mettre en cause dans ce dossier en Corse avec mon fils."

"Dans le dossier, répond le président,  je n’ai trouvé aucun élément qui vous mette en cause directement avec votre fils. Néanmoins, pour les enquêteurs, il y a vos rencontres et vos échanges sur le continent avec Ange-Marie Gaffory. C’est lui qui fait le lien avec vous et votre fils dont il est l’ami."

Ce mardi matin, Mickaël Carboni doit se présenter à la barre. Comme Mickaël Sanna, le fils de Louis Carboni comparaît libre. Après son audition, suivront les réquisitions du procureur et les plaidoiries des avocats. Le jugement pourrait être ensuite rendu ce vendredi, en même temps que celui du premier épisode de ce procès.

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