Sous l'impulsion des autorités politiques et du CICR, la Suisse a accueilli des dizaines de milliers de blessés et grands malades de guerre dans ses montagnes. Offrant un climat et des médecins spécialisés à toutes les nationalités belligérantes.
Une façon pour les Suisses de se confronter de plus près à la guerre voisine, de compenser la désertification touristique et de jouer elle aussi un rôle dans ce conflit.
Dès le début du conflit, des millions de soldats sont faits prisonniers. Leurs conditions de vie sont effroyables, et outre leurs blessures, ils développent des maladies : tuberculose, dyphtérie, typhus… Les carences alimentaires, le manque d’hygiène et les représailles des gardiens aggravent ce mauvais état de santé. La Suisse joue le rôle de puissance protectrice, tentant de faire respecter les conventions de la Haye et Genève. Celle-ci prévoit l’échange de prisonniers gravement blessés et malades. A l’initiative du CICR, le conseil fédéral suisse organise sur son territoire des convois part train de blessés par balle à la tête, à la moelle épinière, des mutilés, amputés… A certains arrêts, les soldats ennemis se croisent et s’observent, victimes du même destin.
En 1915, le comité international de la Croix Rouge, le Vatican et le conseil fédéral lancent les premières initiatives pour l’internement des officiers, sous-officiers et soldats prisonniers, légèrement malades ou blessés. Il commence en 1916, par l’arrivée de militaires dans les stations thermales et climatériques dont la réputation n’est plus à faire pour le soin de certaines pathologies. Les nationalités seront réparties sur le sol helvétique selon le même schéma que les préférences touristiques des bourgeois en villégiature (ou en soin) avant-guerre. Un soulagement voire une aubaine pour ces régions touristiques désertées. Ce sont les Etats en guerre qui règlent la note.
Les grands hôtels, qui sont en réalité des sanatoriums, se remplissent à nouveau. Leysin accueille par exemple Leysin 1138 internés majoritairement français dans les Hôtels: Les Mélèzes, Les Sapins, Mont-FleuryHôtel de la Gare, Hôtel les chamois, Hôtel Belvédère, Grand Hôtel…Ils prennent des bains de soleil, marchent et de divertissent au grand air et dans la neige. Ils échangent avec la population locale et se lient d’amitié.
Entre 1916 et 1919, 67 000 soldats et officiers français, allemands, belges, britanniques et austro-hongrois sont internés à des fins de convalescence.
Tous ces malades ne vont pas guérir. Leysin compte ainsi l’un des plus grands cimetières français…en dehors de France. Mais les survivants sont très reconnaissants à leurs hôtes. Ils travaillent lorsqu’ils le peuvent, en fabriquant de menus objets ou aidant aux travaux des champs. Certains suivent des formations. Ils rendent surtout un grand service à leur pays hôte : ils lui permettent de se confronter de plus près à la réalité de la guerre, de la toucher du doigt et d’y jouer un rôle. Ils justifient par leur présence la neutralité du pays, une neutralité humanitaire. Beaucoup, parmi les survivants, garderont un souvenir ému et une grande reconnaissance pour les soins reçus te l’accueil chaleureux des suisses.
En témoigne cet extrait de lettre d’un interné français en 1919 à Gustave Ador, alors président du Comité International de la Croix Rouge : « Avant de quitter le sol suisse, permettez-moi de vous exprimer toute ma gratitude pour votre franche et loyale hospitalité. Jamais nous ne pourrons oublier ce que vous fîtes pour les éprouvés de la guerre et tant que notre cœur battra, il y aura une place pour la Suisse, notre seconde patrie. A nos enfants nous l’apprendrons, perpétuant ainsi la grande œuvre humanitaire poursuivie par la nation helvétique et dès que de leurs petites gorges sortira le cri de « Vive la France », vous entendrez également monter celui de « Vive la Suisse ».
Remerciements et sources archives :
- Thomas Bürgisser, Documents diplomatiques suisses
- Véronique Bernard, CAS patrimoine et tourisme Leysin
- CICR, Jean-Luc Blondel, David-Pierre Marquet
- Leysin American School
Pour aller plus loin :
- Le témoignage du jeune Victor Thys en cure de soleil à Leysin en 1917
- Sur le site du journal Le Temps, « Une suisse humanitaire qui finit par refermer ses portes »
- « L’humanité comme raison d’Etat. L’internement des prisonniers de guerre étrangers en Suisse pendant la Première Guerre mondiale », par Thomas Bürgisser dans 14/18 La Suisse et la Grande Guerre