Alsace : la taille des vignes, le travail d'hiver des viticulteurs

Rund Um. La période après les vendanges n'est pas un temps de relâche pour les viticulteurs, bien au contraire. Car l'hiver, malgré une météo souvent peu clémente, il faut tailler chaque pied de vigne pour préparer la prochaine récolte, et même celle d'après.

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Autrefois, on l'appelait la "taille de mars" ("Märzeschnìtt"). En effet, comme les vignobles étaient plus petits, la taille pouvait s'effectuer assez rapidement, à la toute fin de l'hiver, juste avant la remontée de la sève.  

Mais depuis que les domaines se sont étendus, le travail de taille commence dès la mi-novembre, et se prolonge tout l'hiver. En effet, si l'on compte environ 5.000 pieds de vigne par hectare, chaque viticulteur se retrouve devant des dizaines de milliers de plants, à tailler manuellement.   

Un travail minutieux, généralement solitaire, qui demande beaucoup de connaissances et de concentration. Car c'est de lui que dépend la qualité du futur raisin – et donc du prochain millésime.

Jacques Stentz de Wettolsheim : "Si on ne taille pas, il y a de moins en moins de raisins."  

Jacques Stentz de Wettolsheim a transmis son domaine viticole à son fils. Mais ce jeune retraité est heureux de revenir donner des coups de main très réguliers.    

A cette période de l'année, il est dehors presque tous les jours. Une aide appréciée, pour arriver à bout des 29 hectares de vigne. Et Jacques Stentz aime particulièrement ce travail au grand air, sous bonne garde des trois châteaux d'Eguisheim ("d'Drei Exe").  

"J'ai grandi dans la nature, et tout jeune, j'aidais déjà" raconte-t-il. "En sortant de l'école primaire, on allait rejoindre les parents dans les vignes, pour attendre qu'ils nous ramènent à la maison."  

Un rapide coup d'œil pour évaluer le pied, et quelques coups de sécateur. Il coupe la plupart des sarments pour n'en laisser que deux, les baguettes ("zwei Gerte"). Il préserve également un courson ("Zàpfe") d'une dizaine de centimètres, comprenant deux yeux, sur lequel pousseront les baguettes pour 2024.  

La vigne est une liane. Si on ne fait rien, elle continue de pousser.

Jacques Stentz, viticulteur retraité

Il explique : "La vigne est une liane. Si on ne fait rien, elle continue de pousser, comme les lianes en forêt. Ça donnerait encore des raisins pendant deux ou trois ans, mais de plus en plus petits."

Son travail consiste à observer, choisir et couper. Par la suite, les salariés du domaine viendront arracher le bois, coupé mais encore attaché au fil de fer, le jeter au sol et le broyer.  

Sa tâche est répétitive, mais jamais ennuyeuse. "Pour chaque pied, la taille est différente. Il faut rester concentré. Et les idées vont et viennent." Plus jeune, Jacques Stentz faisait du théâtre alsacien à Wettolsheim. "Et tout en taillant, je passais les pièces en revue et j'apprenais mes rôles. On peut aussi méditer, si on est seul."

Muriel Gueth de Gueberschwihr : "Autrefois ce n'était pas un travail de femme."  

A Gueberschwihr, Muriel Gueth taille sa vigne avec l'aide de sa mère, Bernadette. Cette vigneronne indépendante a repris le domaine familial dans les années 1990. "J'aime tout faire, le travail à l'extérieur, le travail dans la cave et la vente. C'est un métier complet" sourit-elle.    

Traditionnellement, la taille est un travail d'hommes. Avant l'apparition des sécateurs électriques, ou pneumatiques, elle nécessitait une grande force. On la percevait comme une tâche noble, qui nécessite des choix, et va déterminer la forme future de chaque pied de vigne.  

Aux femmes, le travail moins gratifiant de faire tomber le bois coupé au sol. Que les enfants liaient ensuite en fagots qui, séchés, servaient d'allume-feux.     

Mais dans la famille Gueth, les femmes ont toujours taillé. La mère de Muriel, et avant elle, sa grand-mère, veuve très jeune. En 1995, au lycée agricole de Rouffach, Muriel a donc tout naturellement suivi la formation technique, et passé le diplôme de taille "qui était déjà ouvert aux filles."  

Chaque pied est différent. Le paysage change tous les jours. C'est un travail formidable.

Muriel Gueth, viticultrice indépendante

Et elle continue à se former à de nouvelles techniques, auprès d'associations. Afin d'apprendre "sans cesse quelque chose de nouveau."

Elle possède des parcelles variées, tout autour du village, sur divers types de terrains : grès, calcaire… Et pour rien au monde, elle ne renoncerait à cette partie de son travail : "Chaque pied est différent, chaque parcelle, chaque terroir est différent" précise-t-elle. "La vue, le paysage changent tous les jours. C'est formidable." 

Jeune, Bernadette Gueth n'avait pas eu l'intention d'épouser un viticulteur. Voir sa propre mère travailler dans les vignes lui avait donné un avant-goût assez dissuasif du travail à fournir. "Mais j'en ai quand même épousé un" sourit-elle. "C'est lui, et mon beau-père, qui m'ont vraiment appris à tailler. Et depuis, je le fais tous les ans." 

Pour elle aussi, le plaisir est au rendez-vous. "J'adore le faire" confie-t-elle. "Favoriser l'esthétique du pied. L'élever comme un enfant. Tous les ans, on sélectionne les plus beaux sarments, pour avoir les meilleurs raisins."  

J'adore le faire. Favoriser l'esthétique du pied. L'élever comme un enfant.

Bernadette Gueth, viticultrice retraitée

Sa fille se sent particulièrement émue en taillant des parcelles vieilles d'un demi-siècle. "Les pieds de vigne peuvent vivre très longtemps. J'adore travailler sur de vieux ceps plantés par mon grand-père. C'est historique, et sentimental."  

"Ce travail, il faut le faire avec passion" conclut-elle. "Car on le ressent ensuite dans le raisin. Et le vin."

Cédric Bastian de Nordheim : "La théorie ne suffit pas, on apprend surtout en pratiquant."

Ce même amour inconditionnel pour le métier galvanise Cédric Bastian à Nordheim (Bas-Rhin), dans la Couronne d'Or. Sur la parcelle qu'il est en train de travailler, les ceps sont encore très jeunes et fins. Rien à voir avec les ceps majestueux qui comptent plusieurs décennies.  

"Ils sont dans leur quatrième année" explique-t-il. "L'an dernier, ils ont donné leur première récolte."   

Maintenant, d'un coup de sécateur, il s'agit de leur donner leur hauteur définitive. "Pas trop bas, sinon le pied va s'incruster autour du premier fil de fer. Et pas trop haut, pour que les sarments qu'on va laisser puissent toujours être attachés pour former un bel arc."  

C'est dire si cette taille-là, la "taille de forme", est importante. Car d'ici un ou deux ans, les pieds de vigne auront bien grossi, et un coup de sécateur ne suffirait plus. Il faudrait les couper à la scie, "mais la scie abîme le bois, et provoque des maladies."  

Pour moi ce n'est pas un métier. C'est une passion, plus forte que tout.

Cédric Bastian, viticulteur

Cédric Bastian s'est lui aussi formé au lycée de Rouffach, et a fait son apprentissage chez un patron qui lui a beaucoup appris. "Il disait : 'si tu sais tailler vingt hectares, tu sais définitivement tailler.'" Une maxime qui se vérifie tous les jours.

"Chaque pied est différent. Il n'y a pas de méthode unique. Celui-ci pousse de cette manière pour l'instant, mais l'an prochain, il aura évolué. A l'école, en théorie, sur le papier, tout va bien. Mais sur le terrain, on appréhende les choses différemment."  

Ce jour-là, le jeune viticulteur a essuyé une tempête de grêle, réfugié dans sa voiture. Mais qu'importe. Le froid et les intempéries ne le freinent en rien.

"C'est une habitude à prendre. Il suffit de s'habiller en conséquence, avec une bonne veste et un bonnet de laine. Pour moi, ce n'est pas un métier. C'est une passion, plus forte que tout. La météo et le reste."

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