La fièvre catarrhale ovine a décimé certains troupeaux de brebis en Alsace, en août et septembre. Plus de 80% des éleveurs sont concernés dans la région. Ils sont inquiets pour leur avenir et préviennent : ils n'auront pas assez d'agneaux pour satisfaire la demande à Pâques.
Ils cauchemardent encore de ces images lorsque chaque jour pendant plusieurs semaines, ils découvraient des brebis mortes, victimes les unes après les autres de la fièvre catarrhale ovine. Les éleveurs ovins lâchent le mot : "traumatisme". Preuve que les séquelles vont les poursuivre, longtemps.
"Le soir, les brebis allaient bien et le matin, on les ramassait comme des champignons, crevées. Moralement, c'est dur", confie Stéphane Huchot, éleveur à Preuschdorf (Bas-Rhin). La maladie est arrivée en Alsace au mois d'août. Elle a touché 160 éleveurs dans la région, soit plus de 80 % d'entre eux.
"C’est un moucheron qui pique et véhicule une saloperie. Dans de nombreux cas, la piqûre était fatale. Pourtant, une brebis, c’est 80 kilos", poursuit-il. Il en a perdu 75 sur 1300 environ. Ses bêtes paissant à plusieurs kilomètres de la bergerie, il n'a pas pu les rentrer pour les protéger. Et il a parfois fallu attendre de longues journées, voire plus d'une semaine, avant que les services d'équarrissage, débordés, n'évacuent les cadavres.
Un peu plus loin à Mietesheim, Théo Heim, lui, a pu mettre ses brebis à l'abri en catastrophe et isoler les béliers, mais "quand on a reçu les vaccins, c'était déjà trop tard, les bêtes étaient malades. Heureusement, quand les vaccins ont commencé à faire effet, au bout de trois semaines, ça s'est calmé". Sur les près de 70 brebis - soit 10 % du troupeau - qui ont développé des symptômes, 38 ont succombé.
Brebis qui ne portent pas, agneaux mort-nés, béliers stériles
Trois mois plus tard, certaines développent encore la maladie, mais rien à voir avec l'hécatombe d'août et septembre. Ce qui n'empêche pas les éleveurs d'être très inquiets. Concernant la reproduction pour commencer.
"Les brebis sont des reproductrices, donc en les perdant, on a aussi perdu les agneaux, explique Stéphane Huchot, l'un des rares dans la région à valoriser non seulement la viande, mais aussi le lait. En plus de ça, pour Noël, 600 brebis devaient mettre bas après cinq mois de gestation, mais d’après les échographies, à peine 240 sont gestantes. À cause du virus, on avait dû mettre les béliers en bergerie, alors qu'on était en pleine période de lutte. Ces agneaux devaient être prêts pour Pâques, on ne les aura pas."
Un coup dur, d'autant qu'il indique ne pas savoir si les brebis pourront à nouveau porter un jour. Une incertitude totale, un grand flou, c'est le sentiment qui anime tous les éleveurs. Certains ont fait tester leurs béliers en prélevant leur sperme et par endroits, 90 % sont stériles. A priori, l'infertilité ne serait que passagère, mais personne ne sait combien de temps elle va durer.
En général, on vend 80 agneaux la semaine de Pâques, contre 15 le reste du temps. Là, je ne sais pas si on arrivera à en faire quelques-uns.
Théo HeimÉleveur ovin à Mietesheim
Et parmi les agneaux nés au moment même où la fièvre catarrhale ovine est arrivée, plusieurs souffrent de malformations ou sont mort-nés. "On en a perdu entre 15 et 20 de cette manière", regrette Théo Heim. Pas de quoi réellement perturber les ventes pour Noël, mais lui aussi s'apprête à tirer un trait sur celles de Pâques, la plus grosse période de l'année. "En général, on vend 80 agneaux la semaine de Pâques, contre 15 le reste du temps. Là, je ne sais pas si on arrivera à en faire quelques-uns."
Les éleveurs en colère contre des indemnités pas à la hauteur
De quoi causer des problèmes de trésorerie en 2025. Les agriculteurs de la filière n'ont pas encore touché les avances sur les aides annoncées par l'Etat. Certains n'y sont même carrément pas éligibles. "Je n'ai pas perdu assez de brebis dans la période qu’eux ont déterminée. Chez moi, la fièvre est arrivée un peu plus tard", peste Hervé Wendling, installé à Gries, qui a engagé 1600 euros de frais vétérinaires.
On est en train de se faire entuber.
Stéphane HuchotÉleveur ovin à Preuschdorf
Le syndicat ovin du Bas-Rhin est particulièrement en colère à propos de ces indemnités : "On est en train de se faire entuber, estime Stéphane Huchot. On nous a promis 330 euros par brebis morte en août et en septembre. Sauf que sur ces deux mois, ils veulent déduire le pourcentage de mortalité naturelle qu’on subit sur une année entière. Autrement dit, au lieu des 330 euros, il ne restera plus que 180 euros par brebis". Soit pour lui, environ 13 500 euros au total, contre les près de 25 000 espérés.
L'éleveur lance désormais un appel aux consommateurs : le grand public et surtout les distributeurs, engagés dans la marque "agneau terroir d’Alsace". Il redoute que faute d'agneaux locaux et face à une probable hausse des prix, ils ne s’approvisionnent ailleurs. Or, comme ses collègues, il a plus que jamais besoin d'être soutenu pour assurer la pérennité de la filière viande ovine.