Pour les fêtes, l'émission Rund Um propose un conte de Noël. Mais le making-of de ce reportage pas comme les autres est, à lui seul, une belle histoire, rendue possible grâce à l'engagement de nombreuses personnes. Une histoire que le héros du conte, un petit oiseau, nous raconte.
Une fois n'est pas coutume, c'est moi qui vais prendre la plume. Pardon, le jeu de mots est un peu facile, mais je n'ai pas trop l'habitude de manier l'humour. Je suis juste un petit oiseau en laine bouillie un peu frileux, qui garde été comme hiver son bonnet à pompon et son écharpe.
Je mène depuis des années une petite vie de patachon, choyé et chouchouté par Pascale, ma maîtresse. Mais il y a quelques semaines, mon existence a pris un tournant inattendu. J'ai passé un casting ! Mes deux seuls concurrents ont été rapidement éliminés, et il paraît que ma petite bouille innocente a immédiatement fait chavirer les cœurs. D'objet décoratif, soudain, j'ai été promu acteur.
Depuis, j'ai passé de longues journées auprès de journalistes de France 3 Alsace. L'air de rien, j'ai pu capter des bribes de leurs conversations, et comprendre comment tout ça s'est goupillé. Au départ, c'était juste une "Schnàpsidee" (une idée schnaps, un peu loufoque) de l'équipe de l'émission dialectale Rund Um : réaliser pour Noël un reportage pas comme les autres, et offrir aux téléspectateurs un conte illustré.
La première étape était de trouver quelqu'un capable de bien raconter. De fil en aiguille (de sapin, hi hi hi), l'équipe a entendu parler de l'association des Amis de la bibliothèque de Colmar, qui réunit un groupe de conteuses. Elle a aussi envoyé un mail, et dès le lendemain matin, Claire Spieser s'est manifestée, pour dire qu'elle et deux de ses amies, Gaby Hirsch et Odile Ehrhart, parlaient l'alsacien et étaient prêtes à participer.
Elles proposaient une histoire à raconter ensemble. Je vous la résume : un petit oiseau blessé parle à des arbres. Il les supplie de l'abriter, mais eux le rejettent. Pour finir, il trouve refuge dans les branches d'un gentil sapin, que l'esprit de la forêt va récompenser pour sa bonne action.
Mais si j'ai bien compris, les journalistes estimaient que ce conte était un peu compliqué à illustrer. "Difficile de trouver une mésange compatissante qui va accepter de se laisser filmer en train de dialoguer avec des arbres" m'a-t-on expliqué. Le plan B a donc été de trouver un oiseau-objet à animer devant un fond vert. Ce fond vert, moi je sais ce que c'est, j'y étais ! C'est une chambre avec un grand mur tout vert, où on vous installe, face à une caméra ou un appareil photo. Et on vous immortalise sous toutes les coutures.
L'une des conteuses avait une jolie mésange en métal, mais ses couleurs semblaient un peu ternes. Une journaliste a apporté un petit oiseau en céramique rouge. Il a eu droit à une longue séance de shooting, mais il brillait trop sous les feux des projecteurs. L'équipe a donc eu l'idée d'un acteur en laine feutrée.
L'une des journalistes se souvenait en avoir vu quelque part, sur un stand, fabriqués par une artiste de la région. Elle ne savait plus où, et pensait que c'était lors d'une exposition à Hoenheim. Elle a réussi à retrouver le nom de l'organisatrice, et lui a envoyé un mail. "Du vrai journalisme d'investigation" m'a-t-elle raconté en rigolant.
Et, croyez-le ou non, cette organisatrice, c'était… ma maîtresse. Elle a répondu qu'elle ne connaissait pas cette artiste créatrice d'oiseaux, mais a immédiatement envoyé ma photo. En précisant que je vis avec elle depuis longtemps, que je suis adorable et obéissant, et qu'elle serait extrêmement flattée et heureuse si je pouvais faire l'affaire. Et voilà !
Dès le lendemain, la journaliste est venue me chercher. J'étais un peu inquiet de quitter mon chez-moi, mais surtout très excité de découvrir le vaste monde. Au final, j'ai passé presque un mois loin de mon foyer, mais c'était trop génial. Tout le monde était gentil avec moi. J'ai entendu plusieurs personnes dire : "Il est craquant", "trop mignon" ou "parfait pour le rôle". Certains venaient même me faire un câlin. Et jamais un mot de travers, ni d'heures supplémentaires.
Quand je n'avais rien à faire, je regardais et j'écoutais. A plusieurs reprises, j'ai pu partir avec une équipe de tournage. "C'est pour t'habituer à la caméra", m'a-t-on expliqué. A Windstein, dans le nord de l'Alsace, j'ai fait ma première rencontre avec de vrais arbres, et on m'a photographié, blotti dans un sapin. Une autre fois, j'ai découvert le secteur de Saverne. Et régulièrement, l'équipe envoyait quelques photos à ma maîtresse pour la rassurer et lui donner de mes nouvelles.
Ensuite, j'ai eu droit à trois séances dans la chambre au mur vert. Installé sur un cube, tout vert lui aussi, j'ai été filmé puis photographié de face, de dos, de profil, de par-dessous, de par-dessus. J'étais très sage, et gardais tranquillement la pose. On m'a aussi filmé suspendu par mon pompon à un fil de nylon, pour me faire tressauter, comme si je tremblottais de froid. Si vous regardez le reportage, vous comprendrez à quoi ça a servi.
Face au mur vert, les JRI (journalistes reporters d'images) ont aussi filmé des trucs bizarres, des plantes en plastique, et des feuilles en laine ou en papier découpé, fixées sur de vraies branches. Sur le coup, je ne comprenais pas trop à quoi ça pourrait servir. Mais j'ai tout compris par la suite.
Un jour, on m'a aussi emmené dans la salle de mixage où travaille Florian, et je l'ai entendu proposer de composer de la musique spécialement pour notre conte. Je crois qu'il s'est inspiré de l'oeuvre d'un monsieur qui s'appelle Ravel, et qui a écrit une musique sur les oiseaux. Ça m'a beaucoup touché.
Pendant tous ces préparatifs, Gaby, Claire et Odile, les conteuses, se sont rencontrées plusieurs fois de leur côté pour peaufiner leur histoire. Elle voulaient trouver les mots les plus savoureux et expressifs en alsacien, et s'entraînaient à raconter ensemble le conte en moins de cinq minutes, pour coller à la durée de l'émission. Les journalistes en parlaient souvent, et j'étais impatient de faire leur connaissance.
Enfin, avec l'équipe de tournage, nous sommes allés à Colmar. On s'est installés dans un beau salon, avec un vrai sapin et des bougies. "C'est pour l'image" m'a-t-on précisé. Devant la caméra de la JRI Marleen, les trois dames se sont assises autour d'une table, et ont raconté plusieurs fois l'histoire de l'oiseau qui parle aux arbres. Marleen les a filmées de loin, de plus près et de très près.
Je n'ai pas ouvert le bec, mais c'était passionnant d'assister à tout ça. Pour la fin, elles ont été très sympas avec moi, et m'ont même permis de me mettre à table avec elles, pour que je sois à l'image quand elles disent "Joyeux Noël à tous !"
Oh, mais j'ai oublié de vous parler d'une chose absolument essentielle : le décor. Là encore, d'après les journalistes, c'est l'aboutissement d'une belle histoire. Comme le projet de ce reportage de Noël est seulement né vers la mi-novembre, il était trop tard pour filmer des arbres avec des feuilles vertes, pour illustrer la première partie du conte.
Alors, l'équipe de Rund Um a eu l'idée de solliciter l'association Patrimoine d'Ici, d'Obersteinbach. Récemment, elle avait fait là-bas un reportage sur des tableaux, miraculeusement retrouvés en 2023, du peintre allemand Franz Hein (1863-1927), qui a magnifiquement peint ce petit village d'Alsace du Nord et sa forêt. Avec l'accord de l'arrière-petite-fille du peintre, l'association a envoyé aux journalistes une centaine de photos de peintures à l'huile, mais aussi de gravures et de dessins, et leur a permis de les utiliser.
Et pour finir, le grand jour du montage est arrivé. J'ai bien sûr eu le droit d'y assister. Quand Xavier, le monteur, a commencé son travail, en incrustant certaines photos des tableaux sur les parties vertes des images, j'ai été émerveillé. Les oeuvres de Franz Hein correspondent si bien à l'ambiance de notre conte ! Il y a des sous-bois bien verts, des sentiers, des arbres isolés, un chêne magnifique, un splendide bouleau, des futaies de hêtres, des sapins, et même des troncs nus dans une forêt enneigée.
Et puis, Xavier a ajouté sa touche de magie. Il a créé des mouvements dans les peintures, de bas en haut ou de haut en bas, et des zooms vers l'avant ou vers l'arrière. Il a fait tomber des flocons de neige. Pour ajouter une illusion de 3D, il a aussi fabriqué des premiers plans, avec les images des plantes en plastique filmées sur fond vert. Il a également animé les arbres en y superposant les petites vidéos des feuilles en papier ou en laine.
Mais je n'arrive pas à vous décrire l'émoi qui m'a saisi quand je me suis vu, moi – ou plutôt les photos de moi - bouger, marcher, tomber, virevolter ou dormir dans ce décor enchanté. Une intense émotion. L'apothéose de ma carrière.
Mais, promis, mes chevilles n'ont pas enflé. Parce que même si le résultat dépasse tous mes espoirs les plus fous, je n'y suis pas pour grand-chose. A chaque étape, j'ai senti combien le rôle de chacune et chacun, conteuses, prêteurs d'images, JRIs, monteur, compositeur et mixeur, était essentiel. Sans la bonne volonté et l'enthousiasme de tous, sans cette alchimie, rien n'aurait été possible. Plus encore que le conte, c'est vraiment ça, notre belle histoire de Noël.
Allez, assez piaillé. Je vous laisse à vos bredele et vos bûches. De mon côté, j'ai retrouvé mon foyer, et ma maîtresse, immensément fière de mes prestations. J'ai même eu droit à un petit schluck de crémant !
Mais maintenant, c'est l'heure d'un gros dodo, et cette fois, ce n'est plus du cinéma. Je vais enfin pouvoir m'installer à nouveau sur mon étagère préférée, et plus sur les branches plutôt inconfortables d'un sapin. Mais avant, je vous envoie encore à tous un affectueux bécot.