Il a à peine 30 ans. Il a déjà servi la reine d'Angleterre, François Hollande et d'autres palais distingués. Aujourd'hui pâtissier du restaurant gastronomique La Halle aux grains à Paris, Jean-Julien Freydt vient de décrocher la première place au concours des bûches de Noël. Portrait d'un macaron montant.
Notre conversation téléphonique aura lieu dans le métro parisien, ponctuée des portes qui clappent. Jean-Julien Freydt a un agenda de ministre, lui qui a régalé des présidents de la République. Pas le choix donc. Heureusement, le pâtissier sait faire feu de tout bois et raconte, d'une voix assurée, précise, milligrammée, sa fantastique ascension. Même 100 pas sous terre.
Merci mamie
Je m'étonne d'abord du fait que l'Alsace soit une terre si féconde pour les pâtissiers de talent. Pierre Hermé, Christophe Felder et bientôt, déjà, Jean-Julien Freydt, à peine 30 ans. "C'est vrai. Je crois qu'en Alsace, nous avons une culture gastronomique exceptionnelle, ce goût du bien-manger. Nous baignons là-dedans, ça fait presque partie de nous. Moi, depuis tout petit, j'ai été attiré par une pièce : la cuisine. J'y traînais avec mes grands-mères, je ne pouvais pas en décoller."
Ça a été un déclic. C'est un art rigoureux, technique, mais aussi plus serein.
Jean-Julien Freydt, pâtissier
Des fourneaux de mamie à Orchwiller (67), Jean-Julien part pour d'autres cuisines : celle du lycée hôtelier d'Ilkirch (67). Lors d'un stage en 2011 au Royal Monceau à Paris, il découvre Pierre Hermé et sa muse, la pâtisserie. "Ça a été un déclic. C'est un art rigoureux, technique, mais aussi plus serein. En pâtisserie, on a moins la sensation de coup de feu, on travaille en amont. On arrive à la fin du repas : avec les desserts à la carte, on a le temps de voir venir."
Il poursuit donc son cursus avec une mention complémentaire pâtisserie. Bac et BTS sous toque, major de promotion, le voilà catapulté au sommet… de l'État. Au palais de l'Élysée. Là, il servira un entremets fraise-vanille, à la reine d'Angleterre, et aura raison du régime de François Hollande. "Il aimait particulièrement le chocolat. Sous toutes ses formes." Jean-Julien n'ira pas plus loin. Secret de l'assiette oblige.
Trois ans au Fouquet's, sans doute y a-t-il régalé aussi Nicolas Sarkozy, puis Le Marignan, Le Bristol, trois macarons au guide Michelin, un passage chez Pierre Hermé, et enfin La Halle aux grains. De palace en palace, d'étoile en étoile, voilà Jean-Julien en orbite et sur sa propre planète. À la tête de sa brigade.
La Halle aux grains, pâtisseries céréalières
La Halle aux grains est le projet un peu fou de Michel Bras, l'inventeur en 1981 du coulant au chocolat, devenu grand classique de nos tables.
Là, ne cherchez pas, rien à voir avec le chocolat, Michel et Sébastien Bras inaugurent un établissement gastronomique tourné vers les céréales. Hommage à la Bourse du commerce, anciennement halle aux blés, dont ils occupent désormais les lieux. Somptueux.
Ce grain de folie séduit Jean-Julien, pourtant plus amoureux des fruits, de la framboise en particulier, que du blé tendre. Il sera leur canne à sucre. "Pour moi, c'était un véritable challenge de travailler avec les céréales, de créer de nouvelles associations de saveurs : fruits / céréales, chocolat / céréales. Ça m'a ouvert un champ des possibles incroyable, c'est un sacré challenge."
Pour la première fois de sa carrière, Jean-Julien se retrouve à la tête de sa propre brigade, treize personnes "qui me permettent, et je les en remercie, de me libérer un peu la tête, de m'évader, de créer et d'inventer."
Bûche au sarrasin et aux noisettes
Et justement, ce temps de toque disponible, n'aura pas été vain. Il sort de ce terreau fertile qu'est l'imagination une recette improbable : une bûche de Noël aux noisettes et au sarrasin.
Je vous arrête tout de suite, elle ne ressemble pas à un gros bout de bois, pour une néophyte comme moi, cela peut surprendre. Elle est ronde comme une noisette. "Oui, on appelle bûche tout entremet convivial fait avec des produits traditionnels de la fin de l'année."
Je voulais mettre en avant deux produits du terroir, d'un terroir, le Lot-et-Garonne
Jean-Julien Freydt, pâtissier
Reprenons. Un délicat velours de chocolat dissimule sarrasin soufflé comme du pop-corn, praliné de sarrasin et crumble de poudre de noisettes et farine de sarrasin. Le tout enrobé de mousse noisette. "J'ai conçu cette recette grâce, aussi, aux conseils de Michel et Sébastien Bras. Je voulais mettre en avant deux produits du terroir, d'un terroir, le Lot-et-Garonne. Le sarrasin vient de là-bas, c'est une céréale sèche qui j'ai contrebalancé avec un corps gras : la noisette pauetet qui a un taux de gras proche des 70% et qui vient d'un producteur local du Sud-Ouest qui maîtrise ses noisettes de la plantation jusqu'au broyage. Ces produits, bons, ancrés dans un territoire, ressemblent à notre cuisine."
La recette de cette bûche était, presque, une évidence pour Jean-Julien. "Avec deux produits exceptionnels comme ça, les saveurs ont été rapides à associer. Il a fallu simplement être vigilant à l'équilibre. Pas trop sucré, juste ce qu'il faut." Jean-Julien part dans des explications qui me dépassent, je l'avoue. Côté cuisine, j'ai les pieds sur terre et plutôt dans le plat. Aussi, par crainte de gâter ce juste équilibre, je préfère le taire.
Meilleure bûche de Noël
Ainsi, cette savante noisette, vient d'être élue meilleure "bûche de palace" par le magazine Fou de pâtisserie, devant 50 autres de ses semblables. Le jury composé de chefs étoilés et critiques gastronomiques a rendu son verdict lundi 4 décembre.
Une grande fierté pour celui qui en a pourtant eu d'autres. "Pour moi évidemment, mais aussi pour toute mon équipe qui me permet, je l'ai dit, de pouvoir penser à autre chose. C'est notre première bûche depuis l'ouverture du restaurant et elle nous permet de remporter ce prix."
Cette bûche est à déguster directement sur place ou bien à emporter. "Nous en prévoyons 200, peut-être plus, nous verrons jusqu'au 31 décembre. Au restaurant, nous la servons également à l'assiette et je vous rassure, là, elle a une forme de bûche." Pour les provinciaux sédentaires, ben ce ne sera que pour le plaisir des yeux.
Sauf si vous habitez Orchwiller (67). Jean-Julien y sera bénévole au marché de Noël les 7 et 8 décembre "comme tous les deux ans, pour donner un coup de main. La tradition, les racines, ça compte." Vous pourrez toujours lui demander de vous faire une fleur de… noisetier.