Strasbourg accueille ce jeudi et ce vendredi des universitaires du monde entier pour un colloque international sur la prévention de la radicalisation. L'Alsace est-elle particulièrement exposée au risque terroriste? Quels sont les leviers pour lutter contre le phénomène? Eléments de réponse.
En marge du colloque international sur la prévention de la radicalisation, voici quelques éléments clés sur la nature de ce phénomène en Alsace, et les moyens mis en œuvre pour le combattre.
L'Alsace face au risque terroriste…
En dehors de Paris et de l’Ile-de-France, l’Alsace, par le biais notamment via ses grandes villes comme Strasbourg et Mulhouse, fait partie des régions de France les plus exposées à la radicalisation islamiste. Ces dernières années, plusieurs épisodes l’ont rappelé :- 11 décembre 2018: l’attentat du marché de Noël, perpétré par Cherif Chekatt à Strasbourg, est l’évènement tragique qui hante encore toutes les têtes. Ce soir-là, vers 19h50, l’individu de 29 ans ouvre le feu en plein Christkindelsmärik au centre-ville, faisant cinq morts et onze blessés.
- 22 Janvier 2019: la sœur, la demi-sœur et la mère de Foued Mohamed-Aggad, l’un des kamikazes du Bataclan, sont interpellés à Wissembourg, dans le cadre de l’enquête sur les attentats de Paris.
- 16 novembre 2018: Quatre Mulhousiens, âgés de 19 à 21 ans, sont condamnés de six à quatre ans de prison ferme pour avoir, au printemps 2016, fomenté un projet d’attentat contre la Cité de l'automobile, un cinéma, le tram, un centre commercial ou une boîte de nuit.
- 12 mai 2018: Khamzat Asimov, un Tchétchène de 20 ans qui a grandi à Strasbourg, est l’auteur d’une attaque au couteau Paris. Son bilan : un mort et cinq blessés. Le lendemain, une perquisition a lieu dans la capitale alsacienne chez l’un de ses amis d’enfance.
- 17 janvier 2017: trois hommes sont interpellés par la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) à Strasbourg. Ils sont soupçonnés d’avoir voulu rejoindre le groupe Etat islamique via la frontière turco-syrienne.
- Fin 2013: onze jeunes de l’agglomération de Strasbourg partent pour la Syrie. Quelques mois plus tard à leur retour, sept d’entre eux sont arrêtés. Ils sont condamnés en mai 2017 de sept à neuf ans de prison ferme par le tribunal correctionnel de Paris.
Dans le Bas-Rhin, 450 personnes suivies en 2018
A titre d'exemple, le nombre d'inscrits au fichier antiterroriste, le fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), est en baisse dans le département du Bas-Rhin depuis le début de l'année. 450 personnes faisaient l'objet d'un suivi début 2018 contre 190 début 2019.Le nombre de signalements par an est également en baisse dans le département: il a été divisé par 14 entre 2015, année du pic du nombre de signalements, et 2019.
Pour autant ces chiffres sont une indication, et pas une fin en soi: "La menace est toujours aussi prégnante. Ce ne sont pas les chiffres qui guident notre action, précise Chantal Cutajar, adjointe au maire chargée des questions de radicalisation à la ville de Strasbourg. A Strasbourg, il existe différents formes de radicalisation, dangereux pour la sécurité de tous mais qui mettent aussi en péril le lien social. Aujourd’hui, notre territoire reste particulièrement exposé." La diminution des personnes inscrites au FSPRT peut aussi s'expliquer par un meilleur filtrage des services de l'Etat.
Pourquoi est-il si difficile d’identifier et de suivre les personnes à risques
Plusieurs freins empêchent de prévenir au mieux la radicalisation, en particulier chez les jeunes.- Le manque de coordination entre les services de l’Etat, les forces de l’ordre et les différentes associations qui gravitent autour des personnes radicalisées: les représentants des cultes, les responsables des clubs de sport ou les services sociaux. "Il y a des barrières juridiques, déontologiques et méthodologiques qui rendent très difficile la coopération entre tous ces acteurs", pointe Chantal Cutajar, dont l’un des rôles à la ville est de parvenir à produire un état des lieux « partagé » pour éviter qu’un individu ne passe à travers les mailles du filet.
- La mutation des facteurs de radicalisation: depuis la vague d’attentats que la France a connue depuis 2015 et au vu de l’effondrement territorial des zones contrôlées par le groupe Etat islamique, on observe une mutation des facteurs de la radicalisation. Les départs pour la Syrie sont en baisse, et ce sont désormais via les réseaux sociaux ou au sein de certains quartiers que l’islamisme trouve un terreau fertile. Désormais moins institutionnalisé qu’avant, la radicalisation est devenue au fil du temps plus dure à endiguer.
Strasbourg : précurseur dans la prévention de la radicalisation
Frappée et profondément meurtrie par l’attaque du marché de Noël en décembre 2018, la ville de Strasbourg fait de la lutte contre le risque terroriste l’une de ses priorités absolues. Après Olivier Bitz, ex-membre de l’équipe municipale, c’est Chantal Cutajar, adjointe au maire, qui a été chargée des questions de radicalisation.La capitale alsacienne affiche sa volonté de devenir aujourd’hui un laboratoire dans la prévention de ce phénomène. "On est vraiment dans une démarche qui se déroule très très en amont. On n’est pas dans la surveillance d’individus jugés dangereux, l’objectif, c’est de s’attaquer à la radicalisation dès que les premiers germes apparaissent", analyse Chantal Cutajar.
Le décloisonnement, c’est l’élément central de cette démarche qui vise à davantage coordonner tous les acteurs qui, de près ou de loin, peuvent être les témoins du basculement d’un individu dans la radicalisation : les agents de la ville, les salariés des centres-culturels, les éducateurs sportifs et sociaux, les responsables d’association et les représentants des cultes religieux. Une liste qui n’est pas figée et a vocation à s’allonger.
"L’échange d’informations est primordial dans la prévention de la radicalisation. On peut parfois passer à côté de signaux précieux qui, si on les additionne, peuvent nous permettre d’identifier des profils qui sont en train de basculer. Par exemple, si un enfant connait un décrochage scolaire, a priori ça reste plutôt classique. Mais si dans le même temps il cesse subitement de fréquenter son club de sport, cela mérite qu’on s’intéresse de plus près à lui. Le dispositif que l’on souhaite mettre en place à Strasbourg s’inscrit dans une stratégie globale."
Baptisés "réseaux territoriaux", ces groupes d’acteurs auront donc un rôle de lanceur d’alerte. Les premières formations collectives débuteront ce lundi 9 septembre. "L’important, c’est d’instaurer une culture du dialogue et de faire disparaître la méfiance entre chacune des parties", conclut Chantal Cutajar.
Parvenir à une meilleure coordination à tous les étages, c’est aussi l'objectif qu’avait fixé le Premier ministre Edouard Philippe à Strasbourg, lors d’un comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, le 12 avril 2019.
Un colloque international, pour quoi faire ?
Le choix de Strasbourg pour théâtre d'un colloque ouvert au public n’est pas un hasard, la ville ayant été touchée par un attentat qui a fait cinq morts et onze blessés le 11 décembre 2018 (programme complet).L’objectif de ces discussions, qui se déroulent jusqu'à ce vendredi soir, est d’inclure le monde universitaire à la prévention sur la radicalisation. Deux axes notamment seront développés, celui de la "résilience collective", à travers les exemples de New York et du World trade center en 2001, de Boston en 2013 et de Paris en 2015. L’autre thème évoqué sera celui de la "polarisation sociale". Il s’agira en particulier d’explorer d’autres dimensions que la religion pour appréhender le processus de radicalisation.