Pierre Cordier est le député (LR) de la deuxième circonscription des Ardennes. Homme cisgenre, il n'a jamais expérimenté la douleur des règles, de l'endométriose ou encore du syndrome des ovaires polykystiques. Un appareil électrique lui en a donné un bref aperçu, avant un vote à l'Assemblée nationale sur la mise en place d'un éventuel arrêt menstruel, pour les personnes dont les douleurs sont trop insupportables pour pouvoir travailler.
C'est ce qui s'appelle donner de sa personne. Pierre Cordier, le député (LR) de la deuxième circonscription des Ardennes, n'a jamais eu à subir de douleurs liées aux menstruations, à l'endométriose, etc. Ceci car il s'agit d'une personne née dans un corps d'homme, et qui se sent homme (on parle d'homme cisgenre).
Mais grâce aux merveilles de la technologie, un appareil à impulsions électriques lui en a donné un bref aperçu (à voir sur Twitter, renommé X). À lui et à plusieurs députés masculins allant de la gauche à la droite en passant par la majorité présidentielle. Ceci juste avant le vote, à l'Assemblée nationale, d'une proposition de loi d'origine écologiste visant à mettre en place un congé menstruel.
Une première version du texte a été rejetée le mercredi 27 mars 2024. Elle proposait treize jours d'arrêt de travail par an sous condition de certificat médical, la facilitation du télétravail au cours des périodes de douleurs, ou encore la révision des démarches relatives au temps de travail (voir l'expérimentation dans la vidéo tweetée ci-dessous).
En France, une femme sur deux souffre de règles douloureuses.
— Sébastien Peytavie (@speytavie) March 22, 2024
Ces douleurs peuvent parfois être semblables à celle d’une crise cardiaque. pic.twitter.com/Uf7AqU9fiq
Cette proposition de loi, portée par la députée Marie-Charlotte Garrin (EELV) et le député Sébastien Peytavie (EELV), n'a toutefois pas fini de faire parler. Elle sera discutée à nouveau le jeudi 04 avril.
Une expérimentation pas comme les autres
Le député Cordier a été sensibilisé à la question. Mais cette démarche ne conditionne pas son vote. Interrogé par France 3 Champagne-Ardenne le dimanche 24 mars, il raconte s'être retrouvé dans sa position quand "le député écologiste a fait le tour de l'hémicycle pour demander si des parlementaires étaient candidats pour tester, entre guillemets, ce dispositif. Avec mon collègue Maxime Minot, député de l'Oise, on a accepté de se prêter au jeu. Entre guillemets, car jeu n'est pas vraiment approprié ici..."
Il connaissait déjà un peu le sujet. "J'en entendais parler par mon épouse, de ce genre de douleurs. Mais sans concrètement, de par notre anatomie, pouvoir ressentir les choses. C'était un test intéressant, qui a le mérite d'exister, et qui permet de facilement se rendre compte des douleurs qui peuvent être celles des femmes à cette occasion. Des patches reliés à des électrodes ont été apposés sur mon aine. Par le branchement opéré, des pulsions ont été envoyées par un petit appareil."
La performance a été filmée afin de médiatiser cette grande cause. "C'est bien, ce qu'on voit sur le film qu'ils ont mis en ligne. Il y a un petit peu d'humour." Et même la célèbre Petite musique de nuit composée par Mozart, pour faciliter le partage de la vidéo. "Avoir cette approche humoristique, presque sympathique, je pense que ça peut ouvrir les yeux de certains."
Dans un premier temps, notre réaction peut faire sourire. Mais c'est sûr qu'une femme qui endosse ces douleurs pendant des heures et des heures, ça fait moins rire.
Pierre Cordier, député des Ardennes
Même si le sujet est évidemment sérieux. "Ce ne sont pas des douleurs communes pour un homme. Dans un premier temps, notre réaction peut faire sourire. Mais c'est sûr qu'une femme qui endosse ces douleurs pendant des heures et des heures, ça fait moins rire." Durant la prestation, il lâche un "ah, la vache" et a bien du mal à lire le discours qu'on lui fait lire. "Comme il y avait des pulsions plus ou moins fortes émises par l'appareil en fonction de l'intensité choisie, c'est vrai qu'en termes de concentration, c'était dur. Et on découvrait aussi cette douleur : quand c'est quelque chose de nouveau, pour être concentré et efficace au travail, ça pose des difficultés."
Il n'avait jamais ressenti quelque chose comme ça, et tient à préciser que "chacun ressent l'intensité des douleurs selon son anatomie. Qu'est-ce que cet exercice vaut par rapport à ce qu'une femme peut ressentir ? C'est un peu difficile à décrire." Mais le résultat est là. "Je dois bien dire que la pose de ces électrodes a entraîné une douleur plus ou moins intense : au-delà des premières secondes un peu risibles, c'était compliqué. Si une femme subit cela pendant des heures, ce que je ne mets pas du tout en doute, j'imagine que c'est très particulier à vivre."
Pas un blanc-seing
Quelques voix un peu chagrines se sont élevées pour faire remarquer qu'il n'y avait pas grand intérêt à organiser un tel exercice où la majorité se met à la place des minorités alors qu'il suffit d'écouter et de croire ces dernières. Mais Pierre Cordier souligne qu'"évidemment, tout sera toujours critiquable. De toute façon, dans notre société, si on fait bleu, des gens disent qu'il faut faire jaune, et inversement. Ici, il ne s'agit pas d'un manque de confiance envers la parole des femmes. Nous sommes assez grands pour savoir que des femmes qui subissent ces douleurs ne font pas la comédie. Je pense que ce test renforce la conviction d'un homme sur ce qu'une femme peut subir. Et surtout s'en rendre compte avant, peut-être" d'apporter son soutien au texte porté par les écologistes.
Je ne voudrais pas non plus que ce soit un phénomène discriminatoire et que des femmes puissent ne pas être recrutées, car susceptibles de prendre davantage d'arrêts de travail par rapport à cela.
Pierre Cordier, député des Ardennes
Lui-même ne l'avait pas encore lu au moment de l'entretien. Mais il voulait faire preuve de prudence. "J'ai émis quelques réserves quant au vote. Je ne voudrais pas non plus que ce soit un phénomène discriminatoire et que des femmes puissent ne pas être recrutées, car susceptibles de prendre davantage d'arrêts de travail par rapport à cela. C'est un vrai sujet sur lequel il faut réfléchir, et pas bêtement se dire : elles ont mal, donnons-leur des arrêts et au revoir bonne journée."
"Je pense que derrière ce texte de loi, il faut être prudent. Le mieux étant l'ennemi du bien, il faut faire attention à ce que ça ne leur retombe pas dessus, entre guillemets, quand quelqu'un va préférer recruter un homme plutôt qu'une femme. Vous savez, je discute parfois avec des chefs d'entreprise, des gens qui recrutent dans la fonction publique. Et ils me disent qu'ils ont besoin de quelqu'un" qui soit là pour travailler. La question se pose aussi parfois vis-à-vis d'un éventuel congé maternité, qui peut rendre frileux certains employeurs au moment du recrutement.
Liberté de vote et sujets transpartisans
Quel que soit son choix lors de la prochaine séance du 04 avril, Pierre Cordier aura le sien. "Les Républicains, c'est un des seuls groupes parlementaires où la liberté de vote est totale. Et c'est appréciable. Par exemple, sur les sujets de société comme la fin de vie ou l'IVG, notre président de groupe, Olivier Marleix, ou celui de notre parti, Éric Ciotti, nous le garantissent. J'ai aussi voté contre le texte des retraites alors que mon groupe était pour. Nous sommes durs sur le régalien, la sécurité, l'immigration. Sur des sujets de société, contrairement à ce qu'on pourrait croire parfois, la droite peut être très ouverte."
Quoiqu'il en soit, il est favorable au vote transpartisan sur ce type de sujets. "Je peux être très véhément auprès de la minorité majoritaire qui bloque beaucoup de choses. Mais les communistes, écologistes, socialistes aussi un peu, ils ont le mérite de mettre sur la table des sujets dont les autres groupes ne veulent pas s'emparer un peu par principe. Je trouve que c'est toujours intéressant d'aborder ces sujets."
Je trouve que c'est toujours intéressant d'aborder ces sujets.
Pierre Cordier, député des Ardennes
"Après qu'on soit d'accord ou non", c'est une autre histoire. Il pointe notamment "les modalités de mise en oeuvre, le fait que ça peut coûter beaucoup d'argent", ce qui peut être précisément le cas dans le cas de ce texte sur l'arrêt de travail menstruel. "Il faut aborder les sujets. C'est après qu'on tranche. Si un texte comprend dix articles, que vous êtes d'accord avec quatre et pas d'accord avec six autres, le vote basculera sur non, et vice-versa. Un texte n'est jamais entièrement bien ou pas bien, pour être familier. Ce n'est pas facile de voter, souvent c'est 'oui, mais'. Sauf que quand on vote, il n'y a pas de mais. C'est oui, non, ou abstention. Une lecture au Sénat peut rectifier des choses, de même qu'une deuxième lecture à l'Assemblée. Rien n'est jamais blanc ou noir : la vérité est au milieu."
Outre les douleurs dans le bas-ventre, les personnes concernées (femmes cisgenres comme hommes transgenres, pour ceux qui n'ont pas procédé à une ablation de leur utérus) peuvent en avoir dans le dos et les jambes. Elles sont aussi susceptibles de souffrir de migraines, nausées, vomissements, vertiges...
Ces troubles peuvent être dus aux règles, mais aussi à certaines pathologies. On retrouve parmi elles l'endométriose, le syndrome des ovaires polykystiques, ou encore le fibrome. Pour les personnes qui en sont atteintes, cette possibilité de prendre des arrêts ou d'avoir un télétravail facilité serait extrêmement bénéfique.