Témoignage. Après sa mort, il sauve 14 personnes grâce au don d'organes, sa femme raconte

Publié le Mis à jour le Écrit par Matthieu Mercier, Sébastien Valente, Daniel Samulczyk
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Dans les Ardennes, le corps d'un homme de 45 ans, victime d'un accident de la route en décembre 2021, a permis de sauver 14 personnes grâce à un don d'organes multiple. Témoignage poignant de sa veuve.

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C'était en décembre 2021, Jérôme Grémy, 45 ans, a été victime d'un accident de voiture sur une route des Ardennes. Une collision et le choc fatal contre un arbre. Un peu plus d'un mois après, sa veuve de 43 ans, Karine, nous a reçu chez elle, dans son salon à Charleville-Mézières (Ardennes), entourée de photo de son mari défunt.

Accompagnée de sa sœur, elle raconte avec fierté ces dons d'organe qu'a permis son mari. Il a ainsi sauvé 14 vies. Ces dons lui permettent de vivre ce deuil sereinement, avant un contrecoup éventuel. Voici son témoignage dans son intégralité.

Comment allez-vous aujourd'hui ?

Karine Grémy : C'est compliqué par moment, mais ça va, on est un peu plus d'un mois après l'accident.

Cela a été la période la plus difficile de votre vie ?

Oui, bien sûr, évidemment, ce n'est pas le premier décès dans la famille mais celui-là, c'est vraiment le plus horrible pour nous. Enfin, surtout pour moi et mes filles.

Vous n'imaginiez pas vivre ça un jour ?

Non, pas aussi rapidement. C'est trop rapide, c'est trop jeune. Je me doutais bien qu'un jour ou l'autre on serait séparé, mais pas maintenant. Vraiment dans quelques années, beaucoup d'années.

Comment se sent-on dans cette période ?

On est anéanti. On ne sait plus comment on va faire. Il y a tellement de choses à régler, savoir si on va réussir à rester sans lui. C'est compliqué parce qu'au départ, je me disais que je voulais partir avec lui, mais forcément j'ai trois filles avec lesquelles il faut être forte, elles-mêmes sont fortes aussi. Mais c'est vrai que c'est très compliqué, on a encore du mal à réaliser qu'il n'est pas là.

Au-delà du deuil, vous parlez de différentes démarches ?

Oui, il y a plein de démarches à faire forcément. Entre les banques, les assurances, tout ce qui était pour sa société, puisque il était en micro-entreprise, en garage à domicile. Il se déplaçait chez ses clients.

C'est vrai qu'il faut faire la cession de la société, gérer avec l'URSSAF, essayer de gérer les clients qui ont pu laisser des messages. Mais je n'ai eu accès vraiment qu'à son numéro professionnel qu'il y a deux-trois jours. Certains clients avaient déjà fait livrer des pneus chez nous que lui emmenait chez les personnes pour les monter. En fin de compte, je n'avais ni l'adresse ni le nom des personnes. Donc ça a été très compliqué pour essayer de les retrouver et les recontacter pour pouvoir leur rendre les pneus qu'ils avaient fait livrer ici.

Donc il y a plein de choses à gérer qui sont compliquées au moment où on est censé faire vraiment notre deuil. Et en fin de compte, pour le moment on est tellement dans les papiers, dans toutes les démarches administratives qu'on à du mal à se dire qu'il n'est plus là et qu'il ne sera plus avec nous.

Parmi les démarches, la première d'entre elles a sans doute été celle du don ?

Oui, on m'a dit qu'il fallait que je vienne rapidement. Je suis monté sur Reims avec un couple d'amis. Quand je suis arrivé, ils nous ont fait rentrer avec sa sœur et mon beau-frère, qui étaient déjà arrivés, dans une pièce où le médecin nous a expliqué que son cerveau n'était plus irrigué et que pour eux, il était en mort cérébrale.

Aussitôt on a dit que, si après une deuxième expertise, c'était vraiment une mort cérébrale, on voulait faire le don d'organes. C'était quelque chose qui lui tenait énormément à cœur et qu'il souhaitait faire. On en avait toujours discuté de ça au plus loin que je me souvienne. On parlait de la possibilité de faire ça un jour, s'il y avait besoin, pour pouvoir aider des personnes.

C'est vous qui avez été à l'initiative de cette démarche ?

Oui, j'en ai parlé au médecin, mais ils allaient me le proposer. Mais j'ai été la première à en parler. Si vraiment il était en mort cérébrale, qu'il n'y avait pas de possibilité du tout qu'il puisse revenir parmi nous, il fallait le faire.

Déjà, il n'aurait pas voulu rester branché à des machines, c'est quelque chose qu'il ne souhaitait pas du tout. Il ne voulait pas rester inactif dans un lit sans pouvoir faire quoi que ce soit. Donc que si les médecins étaient certains qu'il ne pourrait plus jamais se réveiller, qu'il fallait faire un don.

Comment est arrivée cette idée du don d'organes dans votre famille ?

On voyait des reportages dessus, donc on en avait déjà parlé. Lui-même, en 2000, s'est retrouvé brûlé au niveau des jambes. Il s'est retrouvé à Charleroi, au centre des grands brûlés. Il a eu une autogreffe de sa jambe gauche sur sa jambe droite. C'est là qu'il s'est dit qu'il avait eu de la chance d'avoir pu faire une autogreffe parce que quand c'est tout le corps on ne peut pas. C'est là qu'il s'est dit que s'il y avait possibilité de faire des greffes ou autre chose pour aider des personnes, il le ferait.

Là aussi en termes de don d'organes, tout va très vite ?

Cela va vite oui. En même temps, pour nous, ça a paru long parce qu'on a su vraiment à la deuxième expertise, vers minuit et demi, que le cerveau n'était vraiment pas irrigué. On a alors commencé les démarches. Quand c'est comme ça, il faut attendre encore 6h pour refaire un scanner du cerveau et du corps complet. Et une fois que le scanner est fait, il faut demander l'accord à un procureur qui donne l'accord de don d'organes. On a eu la réponse que vers deux trois heures de l'après-midi.

Ce n'est qu'une fois qu'on a eu l'accord que la coordinatrice de don est venue nous voir dans la salle d'attente. Là, on a commencé à parler vraiment de ce qu'on voulait donner, donc on était parti à la base sur les organes de base qu'on pense possible donc cœur, foie, poumon, rein. Donc j'ai tout accepté forcément.

Après on m'a demandé si je voulais aussi donner les os, ça je ne savais pas que c'était possible. Finalement on peut donner les os, donc quand ils parlent de ça, c'est pour les fémurs. Donc on les a donnés. Il y a eu les deux cornées et l'épiderme. Ils lui ont pris la peau du dos parce qu'il faut des endroits où il n'y a pas de cicatrice. Il en avait énormément de cicatrices dues à son travail.

Après il y a eu aussi tout ce qui est vasculaire, les veines ou les artères qui peuvent aider à irriguer justement les organes quand ils sont greffés ou pour des autres greffes.

Au total, c'est une quinzaine de dons. La coordinatrice m'a dit au téléphone que tout s'était bien passé. Ils ont mis quand même plus de dix heures à faire les opérations. Elle m'a dit qu'il y a une quinzaine de personnes qui avaient pu avoir des greffes. 
Ensuite, quinze jours plus tard, je l'ai eu à nouveau au téléphone pour connaître l'évolution des greffes, parce qu'on peut demander si les opérations ont marché. Elle m'a dit qu'il n'y a qu'un seul rein qui n'avait pas fonctionné. Donc la personne est repartie en dialyse et est de nouveau sur liste de greffe.

Donc, pour le moment, il y a au moins 14 personnes qui se portent bien pour les greffes qu'il a faites. Il reste encore une partie de son épiderme du dos qui est encore en banque stérile et qui peut encore servir.

Avez-vous cherché à savoir qui en avait profité ?

Non, juste le fait de savoir que les personnes allaient bien et qu'il a pu aider à survivre, c'était vraiment bien. Surtout, on a su que les fémurs ont servi pour deux enfants. Ils vont pouvoir vivre et grandir grâce à lui. Donc ça c'est bien.

Mais je ne voudrais pas savoir qui. Peut-être justement de peur de croiser la personne, de voir la personne peut être pas s'en servir correctement. C'est peut-être bizarre à dire, mais j'espère que les personnes qui ont pu bénéficier des organes de Jérôme en prennent soin et vont pouvoir continuer à vivre longtemps. Qu'elles mesurent la chance qu'elles ont.

[En France, la loi interdit la communication de l'identité du donneur au receveur d'une greffe. Il est également impossible pour la famille du défunt de connaître l'identité du bénéficiaire d'une greffe.]

Êtes-vous fière aujourd'hui de cette démarche ?

Oui, très fière de lui. Pour nous, il est parti en héros parce que sauver 15 personnes, c'est rare, c'est énorme. Sachant qu'il a toujours eu le cœur sur la main, toujours prêt à rendre service à tout le monde. Dès que quelqu'un avait besoin de quelque chose, c'était le premier à y aller, que ce soit dans n'importe quel domaine, pas que la mécanique. Il était mécanicien, mais il a fait d'autres études avant, plein d'autres choses.

Que ce soit les amis, la famille ou même les clients, il allait les aider. Donc il a toujours été comme ça. Pour nous, il est parti de la même façon. C'est dur pour nous parce que forcément on aurait préféré le garder. On aurait préféré que qu'il soit là plutôt que l'inverse. Mais s'il a pu aider jusqu'au bout, c'est lui. 
Toutes les personnes que j'ai pu croiser me disent qu'il est parti de la même façon qu'il était, généreux et vraiment très bien.

Quel souvenir, sans doute positif, gardez-vous de Jérôme aujourd'hui ?

Un homme généreux qui a toujours été là pour tout le monde. Pour moi, pour ses filles. Pour tout faire pour qu'on puisse être heureuses et ne manquer de rien. Il a permis de sauver des gens et pour nous c'est très positif.

C'est votre héros ?

C'est notre héros et j'espère que beaucoup pourront faire pareil. C'est pour ça que je veux parler de ça. Parce que le don d'organes est pour moi quelque chose de vraiment important et qu'il n'y a pas assez souvent.

Tout le monde est donneur, c'est une nouvelle législation. Si on ne veut pas l'être, il faut s'inscrire sur un site. Mais même si on est donneur, si la famille refuse, les dons ne sont pas faits.

Je pense qu'il faut aller dans le sens de la personne qui décède et aller au bout de sa volonté. On a récupéré le corps de mon mari, et rien ne se voyait, il n'y avait aucune cicatrice, parce qu'il était habillé.

Il ne faut pas avoir peur de ne pas pouvoir revoir le corps ou ne pas pouvoir le récupérer dans l'état qu'il était. On avait l'impression qu'il dormait.

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