1000 kilomètres à pieds… en autonomie totale. Serge Rohmer, enseignant-chercheur, à l’Université de Technologie de Troyes, est parti le 21 juin dernier pour un périple à la rencontre des agriculteurs de 25 fermes du réseau français "Fermes d’Avenir".
Vendredi 25 juin, 15 h, Serge Rohmer est dans le village d’Ampilli-les-Bordes en Côte-d’Or. Il a passé sa matinée à travers bois sur des chemins pour le moins encombrés, sans doute par les derniers orages. Pas mécontent de faire une pause pour répondre à nos questions.
L’enseignant-chercheur de l’Université de Technologie de Troyes a donc quitté la Champagne-Ardenne, mais avant, il a rencontré les acteurs de deux structures agricoles auboises. "Je ne voulais pas attendre 8 mois pour monter en compétences en agriculture bio", explique Serge Rohmer. Le projet "1000 km à la rencontre des agriculteurs du futur" est, en effet, intimement lié au projet au Togo qui a débuté en 2020 avec les étudiants de l’université de Troyes. Cette première mission (le projet se décline sur 3 ans) a permis d’installer un atelier de maintenance dans le village de Kpékpéta. Le voyage d’octobre prochain permettra la mise à disposition du matériel acheté par les agriculteurs togolais (motoculteurs et moto de brousse), leur apprentissage sur les engins et l’appréhension de la maintenance. Les autres objectifs étant de mutualiser ce matériel pour ainsi améliorer les conditions des travaux agricoles et tendre, à terme, vers une culture biologique. "Nous devions partir en février dernier avec les étudiants de l’UTT. Le voyage a été repoussé en octobre. Même si le terroir togolais n’est pas du tout le même que le nôtre, il y a des mécanismes que nous pourrons décliner avec eux. Mon souhait est de réussir à capter le plus d’informations possibles qui pourraient aussi bénéficier à l’agriculture togolaise et à sa transition vers une agriculture biologique".
Double objectif
Alors, pour pouvoir assouvir son besoin et son envie de "monter en compétences" et ainsi battre la campagne, Serge Rohmer a répondu à l’appel à projet lancé par l’Université de Technologie de Troyes. "1000 km à la rencontre des agriculteurs du futur" est un projet pilote qui a pour vocation à "développer une vision expérimentale et exploratrice de la science au service de l’homme en bousculant les protocoles scientifiques grâce à une approche immersive et novatrice", explique l’enseignant-chercheur. "En langage plus clair, sourit-il, j’ai décidé d’aller à la rencontre des agriculteurs français pour comprendre comment ils fonctionnent en ce moment. Comment ils résistent à la Covid. Leurs problèmes sont-ils amplifiés ou pas ?"
Et les premières rencontres ont été intéressantes. "Au début, nous parlons simplement de leurs exploitations et puis ils m’amènent naturellement vers la PAC (Politique Agricole Commune), le changement climatique et l’impact sur leurs cultures. Certains m’ont déjà fait part, aussi, de l’aide ponctuelle qu’ils avaient reçu en plein confinement, ou encore de la perte de leurs clientèles liée à la fermeture des restaurants… qui a entraîné une solidarité permettant la mise en place de plate-forme de « click and collect". Le cumul de toutes ces informations sera mis à la disposition de l’université technologique de Troyes et permettra de mieux appréhender les modes de résilience mis en place par les agriculteurs pour faire face à cette pandémie.
Immersion et autonomie totales
L’aspect très important de ce périple agricole et scientifique est aussi de se mettre au plus près et dans la peau des agriculteurs. Serge Rohmer a donc décidé de parcourir à pied les 1000 kilomètres, d’une ferme à l’autre, "d’une exploitation avec de très grandes parcelles en monoculture, aux petites structures comme le maraîchage en permaculture par exemple", explique-t-il encore. Mais aussi d’être en autonomie totale et de ne faire aucune pause dans son trajet (même si celui-ci se déroulera en deux périodes).
L’idée est de n’imposer aucune contrainte supplémentaire aux agriculteurs, de vivre dans les mêmes conditions climatiques qu’eux et sans un jour où je fais une pause pour faire du tourisme.
Sa tente, son panneau solaire pliable pour alimenter les batteries nécessaires à son matériel scientifique l’accompagnent donc dans "un gros sac à main chargé aussi de mon matériel vidéo, de mon bivouac. Le tout transporté dans un chariot à roulettes, précise encore Serge Rohmer. Je ne voulais pas avoir d’impact environnemental pour les agriculteurs qui tentent de le réduire au maximum. L’idée étant de minimiser l’impact carbone de ce projet, il sera d’ailleurs calculé à la fin de mon séjour".
La solidarité sur les chemins de campagne
Serge Rohmer a prévu de parcourir 25 à 40 kilomètres en moyenne chaque jour pour ainsi rallier les 25 fermes qu’il a contactées en amont. Il est parti de Troyes et ralliera les Pyrénées. "Dans la dernière, dans le village de Labastide d’Anjou, je vais rencontrer un jeune agriculteur formé dans un établissement agricole de l’Aube ", se réjouit Serge Rohmer. La boucle sera alors bouclée. Même si son parcours se déroule en deux périodes, 21 juin au 8 juillet puis du 16 août au 7 septembre, Serge Rohmer vivra pleinement cette immersion.
"Je démarre à 6 heures le matin pour éviter les grosses chaleurs. Dès mon 3e jour de marche j’ai dû faire plus de kilomètres que la moyenne prévue. Les fermes sont parfois plus éloignées. Mais 84 kilomètres en 2 jours… j’étais rincé ! Heureusement, quand les gens me voient arriver avec mon chariot, ça les intriguent et ils viennent à ma rencontre ". Des moments d’échanges porteurs d’informations importantes, qui permettent à l’enseignant-chercheur de compléter sa liste de structures agricoles à visiter. Mais aussi tout simplement de mesurer le degré de solidarité… "Ce matin j’ai eu un problème de roue sur mon charriot et je me suis arrêté à la première ferme rencontrée. Jean-Marc et sa femme m’ont aidé à réparer et j’ai pu repartir".
Se rapprocher des gens et entrer en contact est plus facile qu’on ne le pense.
Ces 1000 kilomètres à pieds… et ces milliers d’informations collectées auprès des agriculteurs du futur permettront non seulement de servir la science, mais aussi de faire avancer l’agriculture africaine.
Une expérience, une exploration à double sens… sans compter toutes ces rencontres, au hasard des chemins.