Disparition de Lina. "On est devenus méfiants" : deux mois après, le village de Plaine reste marqué

Le 23 septembre, la jeune Lina disparaissait sur le chemin entre Plaine et la gare de Saint-Blaise-La-Roche dans le Bas-Rhin. Deux mois après, nous sommes allés à la rencontre des habitants du secteur ,où plane encore l'inquiétude face à une affaire non élucidée.

Que disent les silences ? Dans le cas d’une petite commune nichée au creux des Vosges, située à plus de 50 minutes de Strasbourg, ils ne sont pas si surprenants. À Plaine, on rencontre peu de monde dans les rues en semaine : ici une dame qui vient jeter ses débris de verre, là une jeune fille qui se balade portable à la main, plus loin deux hommes qui se promènent à cheval. Tranquillité traditionnelle pour un bourg d’à peine 1 000 habitants. Pourtant, certains signes perturbent cette apparente sérénité. Comme cette feuille A4, hâtivement accrochée à la porte de la salle polyvalente : "En cas de besoin, vous pouvez contacter la cellule de soutien psychologique au…" Ou ces silences d’une tout autre nature, opposés par un certain nombre d’habitants aux journalistes qui les abordent pourtant de manière bienveillante : "Ah non, on n’a rien à dire aux journalistes, retournez d’où vous venez."

Derrière les silences de Plaine se cache en réalité une communauté qui sort à peine d’un tourbillon dans lequel elle n’aurait jamais imaginé être plongée un jour. Perchée à 900m d’altitude (à son point culminant), couverte sur 80% de sa superficie par la forêt, Plaine se sentait un peu protégée des affres du monde. Jusqu’à ce 23 septembre 2023, jour de la disparition de Lina, 15 ans. La jeune fille se dirigeait à pied depuis Plaine vers la gare de Saint-Blaise-La-Roche, où elle n’est jamais arrivée.

L’enquête est toujours en cours, et si Le Parisien a révélé ce 22 novembre qu'une nouvelle perquisition avait été réalisée chez un habitant "dans le secteur des faits" (information confirmée par Franceinfo), le parquet de Strasbourg n’a pas donné suite à nos sollicitations pour un point précis sur l'avancée de l'enquête. Les jours et les semaines suivantes n'ont pas été de tout repos pour les habitants, bousculés par la présence quotidienne des journalistes locaux et nationaux, et éprouvés par le mystère de la disparition. Lina a-t-elle été kidnappée ? Et si oui, s’agit-il d’un habitant du secteur ? Cette personne rôde-t-elle encore parmi eux ? 

Des parents qui ne laissent plus leurs enfants seuls

Armelle Bachelet s’affaire dans l’arrière-cuisine de la maison de retraite du village. Balai à la main, elle revient sur ces dernières semaines si particulières. "Oh, moi, je trouve que ça a tout changé, lance-t-elle. Les gens sont méfiants de tout dans le village. Moi-même, je ne laisse plus mon garçon sortir seul. Il avait l’habitude d’aller à vélo voir une dame plus bas dans le village, il ne le fait plus. Heureusement, il est casanier comme moi, donc ça ne le dérange pas trop… Et ça l’angoisse aussi, de toute façon." Armelle Bachelet a même mis en place une méthode avec ses enfants dès qu'elle sort. "S'ils sont seuls à la maison, je leur dis de fermer la porte à clé de l'intérieur. Je leur envoie un message avant de rentrer, qu'ils sachent que c'est bien moi et qu'ils peuvent ouvrir la porte."

Armelle fait d'autant plus attention qu'elle entend l'inquiétude et l'angoisse croître autour d'elle. L'autre jour, elle croisait dans la rue un homme, "une connaissance du village", qui lui disait à quel point il avait changé. "Lui qui sortait tout le temps son chien et ses enfants ne le fait plus du tout aujourd'hui." Voilà qui confirme ce qu'elle craignait. Si les autres aussi se barricadent, c'est que le danger est bien là, et qu'il faut protéger ses enfants.

Si le coupable est quelqu'un d'ici, je ne comprends pas, parce qu'on se connaît tous...

Julie, habitante de Plaine

L'angoisse est encore plus prégnante chez Julie. Cette assistante maternelle était au cœur de la tempête il y a deux mois, et voyait "tous les jours" l'effet concret de la disparition de Lina sur les enfants et les jeunes parents de Plaine. "J'ai vu les parents se poser mille questions sur ce qui s'était passé et sur la sécurité de leurs propres enfants, retrace-t-elle en allumant sa cigarette électronique, debout sur son balcon. Je me souviens aussi d'une petite fille qui était effrayée et bloquée. Elle demandait à sa mère : est-ce que ça peut nous arriver à nous aussi ?"

Le fils de Julie est âgé de 10 ans. Depuis la disparition de Lina, il ne va "plus jamais" prendre le bus seul. "L'arrêt de bus est juste là, au coin de la rue, à même pas une minute à pied de la maison...Mais qui me dit qu'on ne le kidnappera pas là ? Avant, il revenait parfois à la maison l'après-midi avec des parents de copains, mais maintenant, je lui dis non, à moins que je me sois arrangée en amont avec une maman ou un papa.

Lina a beau avoir disparu depuis deux mois maintenant, Julie n'en démord pas : elle se méfie de tout le monde. "Je suis sur mes gardes : dès que je vois une voiture que je ne connais pas, je jette un œil, je me méfie." Elle s'interrompt. Parle d'une voix plus basse, moins assurée. "Et en même temps...on discute avec les autres habitants et en arrive à la même conclusion : si Lina a été kidnappée, c'est qu'elle est entrée dans la voiture de quelqu'un qu'elle connaissait. Donc probablement quelqu'un du village ou du village voisin." Le vertige est là : et si derrière un de ces sourires cordiaux, un de ces visages affables, au dernier carnaval ou au stand de la kermesse estivale, et si chez ces voisins qu'on croit si bien connaître, se cachait un prédateur ? "Si le coupable est quelqu'un d'ici, je ne comprends pas. Parce qu'on se connaît tous..."

Lutter contre la psychose

Y a-t-il une sorte de psychose collective à Plaine ? Pas si l'on en croit quelques habitants rencontrés au hasard dans la rue. Sonia, 68 ans, chemine avec énergie, armée de son bâton de marche. "Je me promène dès qu'il fait beau, enfin, en tout cas dès qu'il ne pleut pas, sourit-elle. Peur ? S'il faut s'arrêter de vivre avec tout ce qui se passe tous les jours dans le monde, on ne fait plus rien. Non, je fais bien en sorte de continuer ce que je faisais avant justement." Sonia se souvient bien, en revanche, de cette soirée d'Halloween qu'elle attendait avec impatience. "Tous les ans, les enfants du village viennent demander des bonbons, alors j'en avais préparé plein. Mais cette année, il n'y avait personne. Je crois que les parents ont peur, eux."

Guy et Marion Ganter arrivent à la même conclusion. "On n'a pas d'enfants mineurs alors, on n'a pas peur : on continue à vivre comme avant. On comprend la famille de Lina et les proches, on les connaît tous d'ailleurs d'une façon ou d'une autre, mais il ne faut pas exagérer, tout le village n'a pas besoin de cellule psychologique !"

À écouter la maire de Plaine, ce sont d'ailleurs "les médias" qui "alimentent la peur". "Il faut surtout lutter contre la psychose, on n'a pas eu de chance que cette affaire tombe sur nous, mais ce n'est pas pour autant que les habitants sont plus en danger qu'ailleurs." Selon l'édile, l'angoisse collective, réelle dans le sillage de la disparition de Lina, s'estompe avec le temps. "Aujourd'hui, je n'entends plus trop de questionnements de leur part. Ils passent à autre chose. On est une petite ville tranquille". Une petite ville tranquille, avec ses silences qui en disent tant.

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