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INSOLITE. "S'il y avait la guerre, il pourrait servir" : cet abri antiaérien allemand au cœur de Strasbourg est toujours en parfait état

Au centre de Strasbourg (Bas-Rhin), sous un ancien hôtel particulier devant lequel les habitants passent régulièrement, se trouve le dernier abri antiaérien de la Seconde Guerre mondiale en état de fonctionnement. Le site, quasi secret, est incroyablement bien conservé et opérationnel. Il peut accueillir 200 personnes.

C'est l'Alsace insolite ! Avez-vous déjà remarqué, en plein cœur de Strasbourg, au 4 quai de Paris, sur le bord de l'Ill, la forme étrange que prend l'ancien hôtel particulier de Neuwiller, datant de 1755 ?

Le bâtiment qui accueille aujourd’hui le siège régional de Voies navigables de France (VNF) a un soubassement fortement incliné qui sert de contrefort aux murs du bâtiment.

Cette excroissance architecturale a une vocation particulière. Protéger la cave du bâtiment des bombardements aériens. Car, c’est sous cette vieille bâtisse bourgeoise que l’administration nazie décide, dès l’annexion de l'Alsace par la France en 1940, de construire un immense abri antiaérien, l'un des plus grands de la ville.

L'objectif était de protéger la population civile des raids particulièrement destructeurs des bombardiers. Strasbourg avait été déclarée "ville menacée de premier ordre" par les Allemands. Les nazis pensaient que la récupération de la capitale de l'Alsace serait un enjeu prioritaire pour la France et ses Alliés.

Nous avons juste voulu préserver ce patrimoine qui raconte une histoire tragique de l’Alsace

Bernard Matter

Ancien directeur d'Habitation moderne

Cet abri a aujourd'hui une particularité : c'est le dernier de la capitale européenne en parfait état de fonctionnement. Toutes les pompes, les filtres, les portes blindées ont été entretenus. "S’il y avait la guerre demain, cet abri pourrait encore servir", explique amusé Bernard Matter, l'ancien directeur d'Habitation moderne, opérateur HLM. En 1990, c'est lui, avec ses équipes et le concours de la ville de Strasbourg, propriétaire du bâtiment, qui a décidé de sauver le site et de réhabiliter la cave.

Sauvé par l'ancien directeur d'Habitation moderne

"Il ne s'agissait pas d'une rénovation, nous avons juste voulu entretenir le lieu : nettoyer, repeindre, huiler les pompes. Tout ce que vous voyez ici est d'origine. Nous avons juste voulu préserver ce patrimoine qui raconte une histoire tragique de l'Alsace".

L'abri, qui sert aujourd’hui d'archives papiers aux VNF, est impressionnant. Un dédale de pièces protégées par des portes blindées étanches. "Les nombreuses portes compartimentaient l'abri. En cas d'effondrement, il était possible de se replier dans d’autres pièces qui n'avaient pas été touchées", explique Bernard Matter. Sur les portes en acier, à hauteur d’homme, un œilleton signé Nik. Bleimling Heidelberg permet d'observer ce qui se passe dans chaque salle et l'étendue des dégâts, s'il y en a.

"En tout, cela fait 200 m². La norme dans un abri anti-aérien c’est 1 m² par personne. L'abri peut donc accueillir 200 personnes". Toutes les commodités sont présentes pour souffrir un long siège : des sanitaires, l'électricité, le téléphone, l'eau. Le plus important étant les pompes à air qui permettent de s'oxygéner ou de se protéger des attaques au gaz.

Les deux pompes d'origine, fabriquées par la Maschinenfabrik Rheinwerk (usine de machines Rheinwerk) de Wuppertal-Oberbarmen (Allemagne), sont toujours là. Seul moyen de les faire fonctionner : l'huile de coude. Une manivelle entraine un mécanisme de filtration ingénieux. Dans un vacarme hoqueté produit par un engrenage dentelé, le souffle passe à travers plusieurs filtres et s'engouffre dans des gaines qui irriguent tous les plafonds. Des bouches à clapet finissent la conduite. "Sous terre, c'était le seul moyen de respirer. Les hommes devaient se relayer pour tourner le plus longtemps possible la manivelle".

Un abri allemand

Cloué sur un mur, le mode d’emploi de l’époque en allemand est toujours là. N'importe qui devait pouvoir faire fonctionner les pompes le plus rapidement possible. Ce qui surprend le visiteur, c'est l'état de conservation du lieu et qui explique la raison d'y entreposer des archives papiers : aucune humidité, aucun champignon, l'air est parfaitement sec. Seules quelques petites grilles d'aération ajoutées après-guerre laissent entrevoir la lumière du jour. Résultat, tout est parfaitement conservé, y compris ces instructions cartonnées. Même les plaques d'immatriculations des machines ne sont pas touchées par la corrosion. Elles indiquent toujours fièrement la date de fabrication, 1941.

En suivant le réseau en porcelaine du téléphone, on arrive dans une petite pièce protégée par deux portes blindées qui se succèdent. "Ici devait se trouver un officier supérieur. Il devait pouvoir recevoir, même dans les pires moments d’attaque aérienne, tous les ordres".

L'ancien directeur reprend : "selon les archives municipales, Strasbourg possédait, en 1944, près de 350 abris, caves et souterrains aménagés. Ils pouvaient accueillir environ 45 000 personnes sur une population d’environ 170 000 personnes". Cet abri faisait partie du réseau de "défense passive" qui comprenait également un poste sanitaire de l'autre côte de l'Ill, sous le centre commercial des Halles. France 3 avait déjà pu accéder à ce site interdit en 1984.

Le dernier abri antiaérien de Strasbourg en état de fonctionnement ne se visite pas, hélas, puisque c'est un lieu privé. Mais malgré les plus de 80 ans de l'abri, le visiteur chanceux ne peut être saisi que par le sentiment prégnant d’enfermement et d’écrasement sous terre que devaient ressentir les personnes qui s'y abritaient.

La façade de l'hôtel particulier de Neuwiller n'a jamais été bombardée et le secret de son abri antiaérien a ainsi été toujours bien conservé.

Vous connaissez un endroit ou un personnage insolite en Alsace et vous voulez le faire connaître ? Contactez l'Alsace insolite par courriel à l'adresse : eric.vial@francetv.fr. L'Alsace insolite, une collection de reportages à découvrir sur france.tv.

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