Ce mercredi 29 juin 2022, le troisième jour du procès de Jean-Marc Reiser, accusé du meurtre de l'étudiante Sophie Le Tan en septembre 2018, était consacré à la personnalité de la victime. Ses proches la décrivent comme un pilier du foyer, qui faisait attention à ses fréquentations.
Sophie Le Tan était au cœur de la troisième journée du procès de Jean-Marc Reiser, accusé d'avoir tué l'étudiante originaire de Cernay (Haut-Rhin) le 7 septembre 2018 à Schiltigheim, au nord de Strasbourg. Des membres de la famille et des proches ont souligné l'aide que portait Sophie à sa famille, et sa méfiance envers les personnes qu'elle ne connaissait pas.
La famille de Sophie Le Tan est venue en nombre ce mercredi 29 juin 2022 aux assises du Bas-Rhin. Ses parents sont présents, tout comme son frère, sa sœur, et un ami. Une cousine, une tante et deux oncles les accompagnent. Tous écoutent l'enquêtrice de personnalité, venue détailler qui était la jeune Sophie Le Tan, disparue le jour de ses 20 ans.
Fille de parents vietnamiens qui ont fui le régime communiste, Sophie Le Tan avait un grand frère, et une sœur. Elle jouait le rôle d'interprète avec ses parents, eux qui parlent très peu français. Elle les aidait à faire leurs démarches administratives, et était très proche d'eux : "Elle faisait tout pour soulager nos parents, qui s'occupaient de nous. Elle était très respectueuse, n'aimait pas déranger. Sophie était timide et n'allait pas vers les gens qu'elle ne connaissait pas", a expliqué sa sœur Sylvie à l'enquêtrice de personnalité.
Dès les premiers mots de l'enquêtrice, un ami de Sophie assis sur le banc des parties civiles craque et sort en pleurs. L'enquêtrice relate ensuite ce que lui a dit Laurent, un cousin du père de Sophie : "Elle était joyeuse, bien dans sa peau. Sophie était très respectueuse des personnes et bien éduquée. Elle avait des valeurs et était très proche de ses parents. Elle savait prendre ses responsabilités et ne se reposait pas sur les autres. C'était une personne ressource de la famille. Discrète mais ouverte et souriante avec ceux qui ont gagné sa confiance."
La famille Le Tan vit à Cernay, dans le Haut-Rhin, à plus d'une heure de Strasbourg. Sophie ne voulait pas déranger ses parents, alors c'est seule qu'elle commence à chercher un appartement en 2018. Les parents ne faisait pas les visites, eux qui se repéraient très mal dans la capitale alsacienne.
Sophie voulait toujours soulager ses parents
Sophie cherchait cet appartement pour être indépendante et soulager ses parents, elle qui étudiait l'économie à l'université de Strasbourg. Pour payer ses études, elle occupait un poste de réceptionniste de nuit dans un hôtel strasbourgeois.
A la fin de sa déposition, l'enquêtrice se laisse quelque peu déborder par l'émotion. Elle doit se reprendre dans la lecture de ses notes à plusieurs reprises. Me Welzer, avocat des parties civiles lui fait remarquer qu'aucun adjectif négatif n'a été utilisé pour décrire l'étudiante. Sur le banc de la famille, son frère Philippe écoute en regardant ses pieds, un masque FFP2 sur le visage.
Avant de parler, les membres de la famille Le Tan se retrouvent dans le couloir pour déterminer dans quel ordre ils témoigneront : "On espère que tout le monde va parler, glisse un proche de la famille. Surtout sa sœur, la personne avec laquelle Sophie était la plus proche. On aimerait aussi que sa mère parle. En tout cas, ça va être une matinée difficile" La mère de Sophie s'était évanouie le premier jour à la vue de Jean-Marc Reiser et avait du être évacuée. Sa présence ce mercredi restait incertaine.
La petite sœur de Sophie, Sylvie, prend la parole en premier. Elle avoue au président être stressée et demande à avoir des notes. Le président lui répond qu'elle ne peut pas. Sylvie, 21 ans, débute son témoignage : "C'était quelqu'un de génial, elle apportait beaucoup de bien à son entourage, sa famille et amis. On sait qu'on a perdu quelqu'un d'important, et on ne comprend pas pourquoi ça a pu arriver, c'était quelqu'un de prudent. Elle prenait soin d'elle et faisait attention à ses fréquentations."
Qu’elle ne nous prévienne pas, c’était bizarre, impensable. Elle nous disait toujours où elle était.
Sylvie Le Tan, au sujet de sa sœur Sophie
Sylvie se souvient des derniers moments qu'elle a vécu en compagnie de sa grande sœur : "Le 7 septembre, j'attendais de la voir pour lui souhaiter bon anniversaire. On avait programmé de se voir à son retour à Mulhouse après la visite de l'appartement. Elle devait prendre le bus pour revenir à 11h et devait me chercher à l'école. Son dernier signe de vie, c'est un snap où elle me montre le paysage, comme elle le faisait souvent. Qu’elle ne nous prévienne pas, c’était bizarre, impensable. Elle nous disait toujours où elle était."
Après son témoignage, Me Welzer, l'avocat de la famille, lui demande comment vit la famille depuis ce jour tragique : "L’ambiance dans la famille a vraiment changé, il n’y a plus de joie, aucun moyen d’être heureux. Je ne sais pas comment l’expliquer." Son grand frère Philippe, très intimidé d'être à la barre, confirme ces propos quelques minutes plus tard : "Sophie avait un rôle clef dans la famille. Depuis sa disparition, nous avançons vraiment lentement. On vit au ralenti."
Une mère dévastée, à bout de forces
Le moment le plus fort de cette matinée a été sans surprise le témoignage de la mère de Sophie Le Tan, âgée de 50 ans. D'un filet de voix, elle s'exprime en vietnamien. Une interprète traduit ses propos : "Je ne sais plus quoi dire, je suis au fond, commence-t-elle. Maintenant, c’est le travail du tribunal de juger la personne qui a enlevé la vie de ma fille. Même les bêtes s’aiment entre elles, alors comment l'accusé peut faire cette chose ?" Elle ne prononce jamais le nom de Jean-Marc Reiser.
Avant de sangloter : "J’aime beaucoup ma fille. Je veux qu’elle revienne, mais comment? Je n’ai plus d’avenir, ce n’est plus comme avant. Sophie, c'était la personne principale de la famille, maintenant elle n’est plus là."
Sophie me parlait de tout, ne me cachait rien.
La mère de Sophie Le Tan
Scène inattendue, Jean-Marc Reiser s'est montré ému depuis son box. Il passe ses doigts dans les yeux, les essuie à deux reprises avec un mouchoir, et cligne beaucoup des yeux. "De la comédie", commentera dans la salle des pas perdus un membre de la famille.
Alors que l'interprète indique au président que la mère de Sophie ne peut plus parler, cette dernière reprend : "Sophie était très gentille, toujours à côté de sa maman, elle me parlait de tout, ne me cachait rien. Chaque endroit où elle était, elle le était, elle envoie toujours un petit SMS pour dire où elle se trouvait. Elle disait bien aimer l’appartement [de Schiltigheim] car il était en hauteur, ça lui permet de voir le paysage."
Dans les jours qui ont suivi, je ne pouvais rien faire, je m’écroulais.
La mère de Sophie Le Tan
Lorsqu'elle évoque la disparition de sa fille au matin du 7 septembre 2018, elle éclate en sanglots : "J’étais très inquiète. Je n’ai pas arrêté de lui envoyer des messages, mais toujours rien. Dans les jours qui ont suivi, je ne pouvais rien faire, je m’écroulais. Heureusement qu’on nous a aidé."
L'interprète met fin au témoignage : "Elle a trop mal, elle veut s’arrêter." La mère de Sophie manque de tomber en quittant la barre, très perturbée. Son regard est vide. "Nous nous inclinons devant cette douleur", lui transmets Me Metzger, l'un des avocats de Jean-Marc Reiser. A gauche de la salle, Sylvie pleure, une tante aussi. Tout le banc des proches de parties civiles a les yeux rouges.
Le père de Sophie Le Tan commence d'emblée son récit en soulignant que Jean-Marc Reiser n'a pas demandé le pardon, "quelque chose de très important au Vietnam", explique un membre de la famille." Depuis que Sophie n'est plus là, la famille, c’est un phœnix qui vole avec une seule aile, blessée pour toujours, témoigne son père. La grande souffrance, c’est qu’elle soit partie le jour de son anniversaire, c’est une souffrance énorme. C’est inimaginable, comme un petit feu qui brûle tout doucement, tous les jours, et ça ne s’arrête pas. Ce qu'a fait l'accusé, c'est minable."
Monsieur Reiser a détruit la famille ce 7 septembre 2018.
Laurent Tran Van Mong, cousin du père de Sophie Le Tan
Le dernier membre de la famille à s'exprimer est Laurent Tran Van Mong, le cousin du père de Sophie. Depuis le début de l'affaire, il est le porte-parole des Le Tan : "Monsieur Reiser a détruit la famille ce 7 septembre 2018. J’ai pu voir au fur et à mesure des week-ends la destruction se faire. L’atmosphère de douleur et de mort était perceptible quand je rentrais dans la maison. La douleur et la souffrance sont toujours là, quatre ans après."
A la demande de Me Stephan, avocat de la famille, deux photos de la jeune femme devaient être projetées sur l'écran principal "pour mettre un visage sur le nom de Sophie". La famille a les yeux rivés, mais les photos tardent à s'afficher. A la place, l'écran diffuse en direct le box des accusés où se trouve Jean-Marc Reiser. Beaucoup de membres de la famille tournent la tête et ne veulent pas voir ça. Les photos se seront jamais diffusées, seulement transmises au jury.
Elle m’a dit qu’elle avait un frein, la différence d’âge qu’on avait tous les deux.
Xavier à propos de Sophie Le Tan
Le dernier témoignage, celui de Xavier (le prénom a été modifié), qui fréquentait Sophie pendant l'été 2018, a lui aussi marqué la salle d'audience. Très ému au moment de décrire Sophie, il dit avoir découvert "une fille adorable, sensible et bienveillante". S'ils n'étaient pas officiellement en couple, ils se voyaient souvent, et Xavier lui avait avoué ses sentiments naissants. Sophie s'était alors longtemps montrée méfiante : "Elle m’a dit qu’elle avait un frein, la différence d’âge qu’on avait tous les deux, de 6-7 ans. Mais elle appréciait quand même passer des moments avec moi. On en discutait beaucoup, parce que je sentais qu’elle avait cette petite peur, mais qu'elle n’était pas totalement fermée."
Lui aussi est revenu en larmes sur ses derniers moments avec Sophie : "La dernière fois que je l’ai vu, c’était le 5 septembre. On avait passé la journée ensemble. J’étais toujours sur cette même impression, que je pouvais parler des heures avec elle. Je ne voyais pas le temps passer. Quand je l’ai ramenée le soir à son domicile, elle m’a demandé que je gagne sa confiance. Elle avait vraiment besoin de ça, je l’ai toujours sentie méfiante. Le dernier mot que je lui aie dit, c’est 't’inquiète pas, on prendra le temps'. On s’est pris dans les bras et c’est la dernière fois que je l’ai vue."
Xavier continue, en racontant qu'il avait envoyé un message sur Snapchat à Sophie pour son anniversaire dans la nuit : "Je lui souhaitais le meilleur. Elle me répond à 8h02, mais je travaillais. J'ouvre le message à ma pause et lui réponds." Le message n'a jamais été ouvert.