Strasbourg : en déclin depuis 15 ans, la Foire européenne a-t-elle toujours sa place ?

La Foire européenne de Strasbourg veut profiter de son déménagement hors du Wacken pour se rebâtir. Depuis quinze ans, la fréquentation est en baisse, 163.000 visiteurs à peine en 2018. Des chiffres qui remettent en question l'existence même de l'événement et imposent un changement de stratégie.

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"C'est une vraie chance d'avoir une page blanche à écrire". Voilà comment Strasbourg Evénements tentait de positiver, fin septembre 2018, après avoir annoncé une baisse de la fréquentation de la Foire européenne de Strasbourg. L'organisateur faisait alors référence au déménagement de la manifestation sur la plateforme Kieffer, hors du quartier du Wacken où elle était historiquement installée. Un changement qui doit permettre à la Foire, espère-t-il, de redevenir attrayante, après des années de déclin. En 2018, elle n'a attiré que 163.000 visiteurs, soit 8% de moins qu'en 2017.
 

Le déclin s'accentue depuis quinze ans

La perte de vitesse de la Foire européenne de Strasbourg, qui connaît en 2019 sa 87e édition, ne date pas d'hier. Elle remonte même à plusieurs années, mais la baisse de fréquentation ne cesse de s'amplifier et la barre des 200.000 visiteurs n'est plus qu'un lointain souvenir. L'édition 2018 n'a fait qu'enfoncer le couteau dans la plaie : en trois ans, par rapport à l'édition 2015 qui avait fait se déplacer 194.000 personnes, la Foire a perdu 31.000 visiteurs. 

Les chiffres n'ont plus rien à voir avec ceux de la grande époque de la manifestation lorsqu'elle attirait un million de visiteurs dans les années 1960. La Foire européenne de Strasbourg était alors un rendez-vous incontournable pour les Alsaciens.

Elle a pris son essor dans les années 1950, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le moment où les Français s'équipent en électroménager et en téléviseurs dernier cri, et où les exposants présentent leurs nouveautés, comme le réfrigérateur et la machine à laver. Chaque jour pendant un mois (la durée n'est plus que de dix jours aujourd'hui), 45.000 visiteurs déambulaient dans les allées et consommaient. 

Il faut dire que l'offre était elle aussi plus conséquente : 200.000 m² pour 3.285 exposants en 1956 contre 17.350 m² et 900 exposants aujourd'hui. 
 

Un mal qui touche l'ensemble des foires généralistes

Les foires généralistes dans leur globalité connaissent des difficultés, et celle de Strasbourg peut au moins se targuer d'être toujours là. Car d'autres ont tout simplement disparu, comme la foire de Bourg-en-Bresse qui a vu sa fréquentation baisser d'un quart en dix ans et a donc tiré sa révérence après 81 éditions, en 2017.

"Même celle de Paris n'est pas épargnée, et les autres - Marseille, Bordeaux par exemple - sont dans la même situation. Strasbourg fait encore partie des grosses foires nationales et c'est l'une de celles qui ont le mieux résisté", affirme Albane Pillaire, directrice générale de Strasbourg événements. Si la manifestation strasbourgeoise reste l'une des plus grandes de France, elle arrive néanmoins très loin derrière la Foire de Paris (467.000 visiteurs), la Foire Internationale de Marseille (340.000 visiteurs) et la Foire de Tours (250.000 visiteurs).

A l'étranger aussi, la tendance s'observe. Ainsi, à Bâle, la MUBA, la plus ancienne et plus grande foire généraliste de Suisse aussi appelée la foire aux échantillons, a fermé définitivement ses portes en février 2019. Elle a existé pendant 103 ans. 

A noter que la Foire aux vins de Colmar, elle, fait plutôt bonne figure : elle vient de battre son record de fréquentation, en 2019.
 

Concurrence des achats en ligne et des centres commerciaux

La tendance à la baisse en ce qui concerne la fréquentation s'explique notamment par le développement des achats en ligne et des centres commerciaux. La Foire n'est plus le lieu de l'innovation, l'endroit où les Français découvraient les nouveaux robots parfois des mois après leur lancement. Fini le temps des catalogues, aujourd'hui la nouveauté s'obtient immédiatement en ligne. 

"Certains métiers se sont créés leur propre zone géographique dans des zones commerciales", explique Albane Pillaire. Une sorte de foire permanente, donc, où sont désormais rassemblés toute l'année les professionnels d'un domaine. "En plus de l'aspect économique, la Foire est un temps de loisirs, l'occasion de prendre du bon temps. Or, on a une multitude d'autres concurrents qui sont arrivés, ajoute-t-elle : les gens choisissent entre deux heures au cinéma ou deux heures à la foire, par exemple. C'est un équilibre un peu fragile." 
 

La place de la foire à Strasbourg fait débat

Face à cette concurrence de plus en plus forte, la survie des foires en général et de celle de Strasbourg en particulier, est en question. D'autant que le nouveau site choisi pour installer l'événement peine à convaincre. A l'heure où de nombreuses manifestations de ce type se sont installées plus à l'extérieur des villes, près des grands axes routiers et des sorties d'autoroute, la Foire européenne a posé ses cartons près du centre-ville.

L'accès y est compliqué : circulation saturée avec bouchons aux heures de pointe, et manque de places de parking. Un choix assumé par l'organisation, qui affirme vouloir jouer sur la complémentarité Parc des expositions-Palais des Congrès, et s'inscrire dans la politique de la ville en terme de déplacements doux à prioriser. Reste à voir si les visiteurs jouent le jeu et se montrent suffisamment patients.

Pour Strasbourg événements, la fin de la foire européenne n'est de toute façon pas envisageable : "On arrive quand même à rassembler 163.000 visiteurs, dont 90% sont des fidèles qui reviennent d'année en année. Cela veut dire qu'ils y trouvent leur compte. Et puis, il y a un vrai enjeu commercial car certains commerçants remplissent six à huit mois de leur carnet de commandes grâce aux contacts établis pendant la foire. Il y a un vrai courant d'affaires", souligne Albane Pillaire. 

Autre élément qui parle pour le rendez-vous strasbourgeois : il est synonyme chaque année de rentrée politique. Les personnalités locales se pressent dans les allées pour se faire voir et tenter de marquer des points. Le vendredi 6 septembre, jour de l'ouverture, le ministre de l'économie Bruno Le maire a inauguré la Foire. Il en a profité pour souligner qu'"au temps du numérique, les foires sont plus nécessaires que jamais pour permettre aux gens de se rencontrer. Je crois au contact physique, à l'implantation physique". 
 

La Foire européenne veut rester une foire généraliste

Lorsque les responsables des différentes foires de France se réunissent, il est souvent question de l'avenir et des moyens à mettre en place pour endiguer la baisse de la fréquentation. L'une des pistes pourrait être de passer d'une foire généraliste à une foire plus thématique comme le fait en quelque sorte la Foire aux Vins de Colmar, en mettant l'accent sur les concerts et le vin. Ce n'est pas d'actualité pour les organisateurs car cela reviendrait selon eux, à remettre en cause le sens-même de la foire. 

L'idée est plutôt de trouver les niches susceptibles d'attirer, c'est-à-dire d'organiser des petits salons à l'intérieur du grand, en suivant les tendances et les demandes du moment. Strasbourg événements a ainsi fait appel à des influenceurs capables de mobiliser tout un réseau de connaisseurs ou encore choisi de développer les services, comme une garderie pour les enfants, la gratuité après 18 heures et un espace de Food Truck ouvert tous les jours jusqu’à 22 heures.

"Tout changer, certaines foires ont essayé mais le public est perdu. Les visiteurs attendent d'être surpris, et d'un autre côté ils ont besoin de se rassurer. Il faut donc obligatoirement être dans la continuité, tout en se rajeunissant. L'enjeu est de maintenir ceux qui viennent depuis longtemps avec ce qui leur plaît et en même temps d'attirer d'autres gens", conclut Albane Pillaire, directrice générale de Strasbourg événements. 
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