Une femme accusée d’avoir dépouillé cinq personnes à Strasbourg, durant la liesse populaire ayant suivi la victoire des Bleus à la Coupe du monde de football, a été condamnée à une peine de six mois d’emprisonnement ce mercredi 18 juillet.
La nuit de fête de la victoire des Bleus à la Coupe du monde de football, le dimanche 15 juillet, a été émaillée de quelques délits, à Strasbourg. Leurs auteurs et autrices ont été déféré(e)s en comparution immédiate devant les juges du tribunal correctionnel. L’audience avait lieu au palais de justice de Strasbourg, mercredi 18 juillet. Parmi les prévenu(e)s, une femme accusée de cinq vols, prénommée Jamela.
La salle d’audience est pleine à craquer. Des chaises supplémentaires ont été apportées pour que tout le monde puisse s’asseoir. La police refuse l'entrée des retardataires. Beaucoup sont là aujourd'hui car l’un ou l’une de leur proche passe devant le juge ce mercredi pour des faits commis la nuit du 15 juillet. Pendant que Strasbourg fêtait la victoire des Bleus à la Coupe du monde.
Dès son entrée dans la salle, dans son box vitré, Jamela. est en larmes en apercevant ses filles: deux jeunes femmes assises sur l’un des bancs. Ses filles pleurent aussi. La juge présidant la séance comprend d’emblée que ce ne sera pas une audience facile en voyant Jamela trembler, renifler, tousser. "Je vous demande votre attention… Restez concentrée!" lui assène-t-elle alors que Jamela ne cesse de tourner la tête vers ses filles. L’huissier de l’audience réquisitionne des mouchoirs pour aller les donner à la prévenue, derrière son box vitré.
Les faits
Jamela, 45 ans, est accusée d’avoir détroussé cinq personnes. Le larcin comprend un téléphone portable, un portefeuille, trois sacs et leur contenu… et un parapluie. Et il s’agit d’un cas de récidive, Jamela ayant déjà été condamnée pour de tels faits en 2014. Le larcin aurait commencé place Kléber (alors envahie par une foule en liesse). Jamela y a été filmée par un témoin en train de plonger la main dans un sac. La juge commente les faits calmement : "On vous voit plonger la main droite dans le sac." Réponse beaucoup moins calme de la prévenue, qui s’exclame: "Mais je suis gauchère!" Cette précision laisse la juge de marbre, qui continue avec les faits survenus dans un bar, rue du Vieux Marché aux Vins. Un témoin aurait rapporté que la prévenue semblait "plus intéressée par le contenu des sacs que par la victoire des Bleus". L’exposé des faits continue. Les sacs volés auraient été retrouvés dans les toilettes du bar. Ainsi que trois téléphones sur Jamela.
À l’écoute de ces faits, Jamela finit par se laisser tomber sur son banc, comme si elle ne pouvait plus rester debout. "Restez debout!" lance la juge. Jamela reconnait "les faits", précisant avoir bien volé les téléphones, mais pas les sacs: "j’ai trouvé les téléphones sur les tables". Mais la juge ne la croit pas. "Mais madame la juge, réfléchissez!" À ces mots, on entend quelques commentaires narquois parmi les bancs du public. Jamela accuse aussi les policiers de lui avoir pris ses 800 euros ("l’argent tiré de mes revenus", précise-t-elle). Mais la juge préfère rester sur les faits reprochés à la prévenue...
Une victime "sous le choc"
Au tour d'une victime de Jamela d'être appelée à la barre: "Je suis émue de voir cette dame dans cet état, alors qu’il y a ses filles dans la salle." Elle raconte: "Le flic… euh, le policier, il avait pris ma plainte." Mais après son lapsus (qui amuse la salle, y compris l’un des policiers gardant Jamela) elle témoigne de son préjudice moral et matériel, nettement moins amusant. Même si son sac avait été retrouvé avec tout son contenu, elle ne l’a récupéré qu’au lendemain du vol. Ce soir-là, elle n’a donc pas pu rentrer chez elle, n’ayant plus ses clés. L’intervention d’un serrurier lui a coûté 150 euros. "J'étais sous le choc, madame." Elle demande des dommages et intérêts.
Une prévenue "virulente"
Lorsque la victime retourne sur son banc, Jamela lui lance un regard noir, et marmonne quelque chose que personne ne comprend. Interrogée sur ses revenus, la prévenue déclare réaliser régulièrement des missions d’intérim de plusieurs mois. On évoque son surendettement. De même que son traitement à la méthadone, traitement de substitution à l'héroïne.
Jamela souhaite faire de son addiction un argument. "Ça arrive. […] Mais il faut pas retenir que le négatif. […] C’est difficile d’arrêter la drogue; j’ai tenu le choc, j’ai arrêté la merde." Elle se tourne vers ses filles, et dit quelque chose qui n’est pas compris. L’un des policiers encadrant Jamela prend alors la parole un peu vivement, et un dialogue de sourd commence:
"Elle insulte en arabe!...
- Quoi? Je parle à ma fille; vous parlez arabe?!
- Bah vous communiquez pas avec la salle!... Et vous vous tenez tranquille!" réplique la juge.
Un procureur mordant
La juge souligne qu’elle en a assez d’entendre la prévenue tenir des propos qu’elle ne comprend pas, mais dont elle voit qu’ils amusent une partie de la salle… Elle laisse ensuite la parole au procureur de la République, qui décrie la prévenue comme "virulente". Jamela détourne la tête quand il commence son réquisitoire. Les filles continuent de pleurer. "C’est beau de pleurer, mais c’était avant qu’il fallait le faire! […] Si on aime ses filles, on ne vole pas trois téléphones!" La prévenue tourne la tête vers lui.
"Vous n'êtes pas tellement une bonne voleuse, plutôt médiocre, car vous vous êtes fait prendre…" Jamela acquiesce silencieusement. Le procureur enchaîne en l’accusant de simuler: "Vous tentez de sauver la mise avec des pleurs… […] Une pro, ça mérite une réponse appropriée. Je demande six mois ferme, et le maintien en détention."
"J’ai pas fait le boxon, madame !"
L’avocat de Jamela prend la parole, et fait savoir au procureur qu’il n’a guère apprécié ce qu’il vient d’entendre: "La vie est moins machiavélique que vous ne la dépeignez, monsieur le procureur…" Il défend sa cliente, rejetant l’accusation qui lui est faite de simuler ses larmes pour attendrir les juges: "Ce n’est pas une comédienne. L’émotion ne se commande pas!" Il rappelle la présence de ses deux filles dans la salle d’audience, ainsi que son absence de méfait depuis quatre ans.
Jamela s’exprime à nouveau sur sa dépendance à la méthadone… et le sevrage forcé (elle n’a plus reçu de méthadone depuis son arrestation) imposé par ses trois jours de garde à vue, plus sa nuit en prison la veille de l’audience. Sevrage qui aurait pu se traduire par des actes de violence. "J’ai pas fait le boxon, madame!" Lorsque la séance s’interrompt, Jamela s’abaisse et prend la main de son avocat à travers le trou de son box vitré. Elle est visiblement inquiète.
Verdict
Lorsque la séance reprend, les juges ont pris leur décision. Et l’ambiance est électrique: les filles de Jamela veulent parler à leur mère à travers l’ouverture du box vitré, et sont repoussées par un policier qui gardait normalement l’entrée de la salle. L’avocat de la prévenue leur fait les gros yeux. Jamela, les yeux à nouveau humides, est condamnée à six mois d’emprisonnement, et est maintenue en détention. Elle devra payer 300 euros de dommages et intérêts à la victime qui a témoigné à la barre.
La prévenue, qui songe à comment payer cette somme, s’exclame: "Rendez-moi mes 800 euros!" La juge réplique immédiatement: "Pour l’instant, vous allez en détention!" Les filles s’en mêlent, parlant fort à travers la salle pour être entendues de leur mère encore dans le box. Elles lui disent de ne pas se préoccuper de ces 800 euros. Le policier s’agace et les menace d’une expulsion de la salle. Mais les exclamations continuent de part et d’autre du box entre la mère et ses filles. La juge s’agace: "Ça suffit, madame!" Et le policier escorte les filles de Jamela vers la sortie.