Strasbourg : recrudescence des témoignages d'agressions sexuelles et de harcèlement de rue, la mairie réagit

Un groupe Facebook a été créé le 24 juillet pour recenser des témoignages de harcèlement de rue et d'agressions sexuelles dont ont été victimes des Strasbourgeoises. Face au déferlement, ce groupe a interpelé la nouvelle municipalité. Qui promet d'agir.

"Mon corps, c'est pas TripAdvisor : tes commentaires, tu peux te les garder." Cette citation, publiée sur le groupe Facebook Témoignages & soutien violences sexistes de rue - Strasbourg, donne le ton. Il a été créé le vendredi 24 juillet 2020 par Tiphany, une auto-entrepreneuse strasbourgeoise âgée de 25 ans. Il vise à dénoncer le harcèlement de rue et les agressions sexuelles subies dans l'espace public de l'Eurométropole. Depuis, les témoignages déferlent, rapporte le média strasbourgeois Pokaa qui a révélé l'existence du groupe. La parole semble s'être libérée.

Un phénomène loin d'être nouveau. En 2018, Caroline filme le harcèlement de rue dont elle était victime. La vidéo devient virale, son témoignage est lu partout. En 2019, Marie-Ange fonde une série de groupes Facebook afin que les femmes puissent rentrer chez elles en toute sécurité le soir. Le succès est au rendez-vous. En 2020, Emanouela créé un compte Instagram pour centraliser des témoignages, après un outrage sexiste de trop. Le tabou est brisé. Ce nouveau groupe Facebook est un énième clou planté dans le cercueil dans lequel devrait être remisés le harcèlement et le sexisme de rue.

Les témoignages reçus dans ce groupe sont récents ou anciens, concernent tous les quartiers de la ville et ce à toute heure de la journée. Ils émanent de femmes de tous âges, de toutes morphologies, qui étaient habillées de toutes les manières possibles. En clair, le phénomène semble universel et les femmes ne peuvent jamais en être jugées responsables. Une carte interactive (visible ci-dessous) centralise ces agressions sexistes et sexuelles. Les personnes qui témoignent attendent des actes de la part de la nouvelle municipalité, à commencer par la fondatrice du groupe.
 
"Situation pesante", "sentiment d'insécurité"... Depuis l'arrivée de Tiphany à Strasbourg, en 2014, son impression est que ça "s'est dégradé". Le confinement pourrait expliquer une partie du phénomène. "Ça n'a rien arrangé, même si ce n'est pas un phénomène nouveau. Ces dernières semaines, sur le groupe [Facebook] Étudiants de Strasbourg, il y avait quasiment un nouveau témoignage par jour. C'était insupportable, j'en avais ras-le-bol... On n'est pas en sécurité, et ça me crève le coeur."
 
Elle créé alors ce groupe pour mieux centraliser l'afflux de témoignages, "les mettre en lumière". Et éviter les commentaires désobligeants émanant des plaisantins qui pullulent sur le groupe étudiant. Ils lui permettent d'alimenter sa fameuse carte. "La police a peut-être une carte où indiquer chaque agression qui fait l'objet d'une plainte. Je trouve dommage qu'elle ne soit pas publique. C'est important qu'on puisse connaître les zones plus dangereuses." Ou des profils "récidivistes", associés sur cette carte à chaque lieu d'agression. Certains témoignages permettent de recouper des individus via leur mode opératoire, leur apparence physique, ou leur quartier. Des individus impunis... 

Tiphany le conçoit, elle a été quelque peu "dépassée" par cette vague de témoignages. "Ça a pris une ampleur phénoménale. Je voulais simplement leur donner un endroit où témoigner face à des personnes bienveillantes, où parler avec des gens de confiance. Je ne pensais pas qu'en une seule semaine, il y en aurait autant." 
 

On n'est pas en sécurité, et ça me crève le coeur.

Tiphany, fondatrice d'un groupe Facebook de témoignages


Résultat de cet "élan incroyable" : beaucoup d'énergie. Il faut donc veiller à ce qu'elle ne retombe pas. Tiphany et ses acolytes ont donc décidé de monter une structure associative. "Nous avons énormément de projets... Et si nous n'avons pas encore une très bonne organisation, nous avons beaucoup de volonté." 

Des idées, il y en a à foison. Un projet de lister et cartographier des établissements partenaires où se réfugier pour les victimes de harcèlement ou d'agression sexistes : ils seraient signalés par un autocollant. Des sessions de formation dans les quartiers. Des ateliers de soutien aux victimes. Des campagnes d'affichage dans la ville et les transports publics : "Vous saviez qu'une femme a le droit d'utiliser le frein d'urgence dans le tramway si ça lui arrive ? Ce n'est pas indiqué." Des idées à développer avec la municipalité. Car un rendez-vous a eu lieu à la mairie, et va être suivi d'effets : "la nouvelle maire est féministe, donc c'est remonté à ses oreilles".
 

Une situation prise au sérieux à la mairie

Christelle Wieder est la nouvelle adjointe en charge des droits des femmes de la municipalité Barseghian. Avec l'adjointe à la tranquillité publique, Nadia Zourgui, elle a reçu Tiphany ainsi que deux autres jeunes femmes très impliquées dans la thématique du harcèlement de rue. L'échange a été nourri et constructif. 

"Je lisais dans Pokaa qu'elles avaient l'intention de monter une pétition, d'interpeller la maire. Je n'ai pas attendu et les ai contactées. Elles avaient réalisé un sondage pour connaître les pistes les plus demandées pour lutter contre ce phénomène. Le recours à la vidéosurveillance, et un meilleur accueil des plaintes figuraient en haut des résultats." 

"Il faut plus de bienveillance, éviter les remarques reprochant la tenue vestimentaire ou une heure de sortie trop tardive. La police municipale va être formée. Les victimes peuvent, et doivent savoir, que l'accès aux images de vidéosurveillance est possible si une plainte ou main courante est déposée. C'est important de le faire."

 

La police municipale va être formée.

Christelle Wieder, adjointe aux droits des femmes


Les forces de police vont donc être associées à la démarche initiée par la municipalité, et la future association émanant du groupe de Tiphany. Celle-ci va mener une enquête auprès des membres qui ont déposé plainte ou non, les conditions de l'enregistrement de la plainte ou les raisons pour lesquelles cela ne s'est pas fait, etc. Une table ronde aura lieu à la mairie avec la police, des victimes ayant porté plainte et d'autres n'ayant pas pu. 

La municipalité veut montrer qu'elle s'engage également via des campagnes de communication. "Chaque année, une à deux campagnes sur le thème de l'égalité femmes-hommes. On va pouvoir travailler là-dessus." L'adjointe cite aussi l'existence d'une "cellule genre et ville" qui "travaille sur la mixité dans l'espace public, qui permet la mise en sécurité de tous via l'aménagement urbain." En jugeant l'éclairage des rues, entre autres.

Des marches "exploratoires" (dites aussi "sensibles"), faites par des personnes missionnées en 2019, sont un moyen de constater "un sentiment de bien-être dans l'espace public". Ou au contraire, de relever une ambiance désagréable... Elles susciteront une nouvelle "réflexion" cette année au regard des violences sexistes dans les rues. Les chiffres de ces violences n'étant pas connus dans les transports, leur relevé devrait être fait. 
 

Des solutions existent

"Je suis une militante féministe depuis une dizaine d'années", poursuit Christelle Wieder. "Nous sommes toutes concernées, il y a ce chiffre effarant de 100% de femmes victimes dans les transports parisiens. Il est difficile de juger si la situation se dégrade : je ne peux pas le quantifier car c'est difficile en l'absence de plaintes. C'est malheureusement comme pour les viols. Les chiffres des plaintes ne sont pas révélateurs de leur réalité."
 

Les chiffres des plaintes ne sont pas révélateurs de la réalité.

Christelle Wieder, adjointe aux droits des femmes

"C'est pourquoi encourager à porter plainte permettra d'indiquer cette augmentation. Pour que ça devienne un sujet sérieux et pris en compte, passer du témoignage à la statistique pour que la préfecture et la police s'en saisissent. Pour que ça devienne politique : ça donne le pouvoir de changer les choses. Car ça gâche des vies."

En attendant que cette réalité se concrétise, des activistes ont pris certaines choses en main. On rappelait plus haut les groupes Facebook pour rentrer en sûreté chez soi le soir, par Marie-Ange Fuchs : elle confirme un regain d'activité dans ces groupes depuis quelques temps. Citons aussi le cocktail mademoiselle, destiné aux femmes harcelées dans les bars : une dizaine d'établissements le proposent. Ou la fameuse méthode des 5D, si l'on ose intervenir et évite de se retrouver paralysé par l'effet du témoin.
 
L'écoute n'est pas oubliée. Le Planning familial de Strasbourg propose à partir du mois de septembre des sessions de soutien aux victimes d'agressions sexuelles. Il est situé au 13 rue du 22 Novembre, et il faut s'inscrire par téléphone au 03 88 32 28 28. 

En parlant de téléphone, Pokaa révèle une autre initiative bienvenue, et saluée par l'adjointe Christelle Wieder. Il s'agit d'une application téléphonique nommée LadySafe. Elle a été développée par Jean-Christophe Adam, un conducteur de tramway strasbourgeois, et se trouve en cours de financement. Elle est présentée comme entièrement gérée par une équipe féminine, et pouvant permettre à n'importe quelle utilisatrice de donner l'alerte pour être secourue et raccompagnée en toute sûreté.
 

 

Éviter un phénomène de milices

Des initiatives plus malvenues ont aussi été proposées. Celles de groupes de citoyens vigilants devant patrouiller les rues pour tranquilliser les femmes, et éloigner les importuns. En clair, des milices, dont l'idée ne plaît guère à celles qui ne se voient pas comme des "princesses à protéger". Christelle Wieder est de celles-ci. "Je constate cette dérive : ce n'est pas la meilleure des solutions. Des gros bras qui s'organisent ainsi, ça ne me semble pas envisageable. En tant qu'enseignante, je préfère largement les solutions d'éducation, par exemple."

Même avis du côté de Tiphany, autour de laquelle se fédèrent beaucoup d'idées et de projets. "Je ne connais pas ces gens ni leurs intentions. Notre but, c'est d'agir en toute légalité avec la ville et la police, c'est de faire front commun. Je me désolidarise de ce genre d'actions. On veut sensibiliser, pas fracasser..." Espérons qu'elles soient entendues. 
 
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