Malgré une hausse des inscriptions en sciences infirmières depuis la pandémie, le nombre d'abandons d'étudiants se multiplie. La forte pression et le manque d'humanité ressentis dans certains milieux hospitaliers les poussent souvent à se réorienter.
Ils sont beaucoup à s'être sentis impuissants durant la pandémie de Covid-19 et ont souhaité apporter leur pierre à l'édifice. Ils s'appellent Gaëlle, Bilal ou Manon et ont entre 19 et 32 ans. Tous souhaitent devenir infirmiers mais se voient confrontés à l'instabilité des études liées à ce métier.
D'une durée de trois ans, le cursus en sciences infirmières connaît un taux de décrochage impressionnant. Selon une enquête menée par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), ils seraient près d'un quart à abandonner le parcours avant d'être diplômés.
Face au coût élevé de la formation, le manque d'accompagnement et les désillusions professionnelles, ces étudiants ont décidé de témoigner du "mal-être" propre à leur corps de métier.
"On a perdu une dizaine de personnes depuis le début"
Tout sourire, Gaëlle, Manon et Cyrielle se préparent à passer leur examen théorique à l'IFSI Saint-Vincent de Strasbourg, l'un des nombreux instituts en soins infirmiers du pays. Issues d'horizons divers, les trois filles gardent un point commun, leur volonté de soigner les plus faibles. "Je me suis réorientée après le Covid car je me sentais un peu inutile durant cette période. J’ai compris l’importance de ce corps de métier", raconte Cyrielle. "C’est un métier humain. On est proche des gens et ça fait du bien à une époque où il y a une certaine perte de sens dans notre société", rajoute son ami Bilel, venu la rejoindre.
Mais ne vous y trompez pas, cette joie de vivre qui se lit sur le visage de ces étudiants cache une réalité bien plus préoccupante. Depuis septembre, dix de leurs camarades ont abandonné la formation de l'établissement strasbourgeois. "Il y a des redoublements mais il y a surtout beaucoup d’abandons", déplore Gaëlle.
La charge de travail est relativement importante mais n'est pas la raison principale de ce décrochage. Le prix de la formation, qui s'élève à 8 200 euros l'année, est une contrainte considérable pour les étudiants. Si la région ou Pôle emploi proposent une aide financière, cette dernière met parfois du temps à arriver, ce qui pousse certains à mettre leurs études entre parenthèses.
"Même avec cette bourse, on est confrontés à une précarité forte car le coût de la vie nous empêche de vivre confortablement, explique Cyrielle. Nous sommes payés 1 euro de l’heure en stage, imaginez, c'est très difficile à surmonter."
Des expériences professionnelles démoralisantes
Ces futurs infirmiers doivent réaliser une période de stage d'environ 6 mois. Cette étape incontournable de leur cursus est source de remises en question pour beaucoup d'entre eux. Les conditions de travail et le rapport à l'humain diffèrent grandement de leurs attentes.
On s’était fait une image magnifique de la formation
Manon, étudiante infirmière à l'IFSI Sant-Vincent de Strasbourg
Cette désillusion pousse certains à complètement se réorienter. "On s’était fait une image magnifique de la formation et quand on arrive, on se rend vite compte de la difficile réalité du métier. En stage, on constate la maltraitance faite à certains patients, c'est très dur psychologiquement."
Une partie de ces étudiants sont sujets à des pressions démesurées de la part de leurs supérieurs. Et là encore, les exemples ne manquent pas. "On nous fait comprendre qu’on est un poids pour eux. On nous délègue souvent les tâches ingrates que les autres ne veulent pas accomplir", déplore Manon. Bilel raconte, lui, l'expérience d'une de ses camarades. "C’était un cas de harcèlement gratuit. Les équipes soignantes se défoulaient sur elle comme un exutoire, elle en a beaucoup souffert."
Même son de cloche pour Cyrielle, qui relate l'expérience désastreuse d'une amie. "Elle se faisait appeler Roxanne, qui était tout simplement le nom du chien de sa supérieure. Elle a vécu ça pendant toute la durée de son stage. Ça la déshumanisait totalement, on a tous trouvé cela choquant."
Des conditions très défavorables qui aggravent la déperdition au sein de cette filière.
Une solidarité rare entre étudiants
Pour s'en sortir, les élèves ont développé une entraide importante. Contrairement à d'autres cursus, les sciences infirmières ne favorisent pas l'esprit de compétition mais plutôt la cohésion de groupe. "On essaye d’être les plus soudés possible. Cette école est reconnue pour son soutien psychologique. Tout au long de l’année, on est suivi par des référents. On voit aussi une psychologue chaque année pour parler de ses préoccupations."
Tous les étudiants vivent plus ou moins les mêmes choses
Chann Philippe, secrétaire générale relation presse FNESI
Pour aider les étudiants infirmiers en difficulté, la FNESI (Fédération Nationale des Étudiant·e·s en Sciences Infirmières) a mis à disposition une ligne téléphone et une adresse mail (vosdroits@fnesi.org). Secrétaire générale relation presse de cette association, Chann Philippe confie recevoir beaucoup d'appels d'étudiants désorientés voire abattus par leurs expériences en stage. "Tous les étudiants vivent plus ou moins les mêmes choses. La FNESI est là pour eux, il ne faut pas qu’ils se sentent seuls."
Pour rappel, une élève de l'IFSI Brumath (Bas-Rhin) avait mis fin à ses jours en mai 2023 sous la pression des études. Quelques jours avant ce dramatique événement, la FNESI avait pourtant appelé à manifester sur l'ensemble du territoire, pour dénoncer les conditions de travail des étudiants infirmiers.