Depuis la fin de ses études, il y a quatre ans, François Beiner travaille avec ses parents dans leur ferme familiale à Bourgheim (Bas-Rhin). Toute leur production est labellisée bio depuis plus de dix ans, mais le jeune agriculteur ajoute sa touche personnelle et fourmille d'idées.
L'activité principale du domaine Beiner, situé dans le Piémont des Vosges alsacien, reste la vigne. Sur 13 hectares, entièrement bio. Une culture commencée dès 1972 par le grand-père, Ernest. Mais à l'époque, celui-ci élève aussi des vaches et des porcs, et cultive du tabac. Puis, dans les années 1980, quand son fils Pierre s'associe à lui, ils développent la viticulture et arrêtent peu à peu l'élevage.
Dès 2013, Pierre Beiner entame la conversion en bio de l'ensemble de son exploitation. "Mon père aurait eu du mal avec ça, reconnaît-il. Moi aussi, avant, j'épandais des produits chimiques, je sais ce que c'est. Si la nappe phréatique est polluée, je suis coresponsable, ça prend des années pour disparaître."
Persuadé, aujourd'hui, qu'il "faudrait absolument arrêter d'empoisonner le sol, car c'est un bien tellement précieux", il avoue pourtant que lorsqu'il était jeune, "si quelqu'un (lui) avait tenu ce discours, (il) aurait pensé qu'il est maboul." Il se sent d'autant plus heureux de sentir que ses propres enfants partagent ses convictions.
Du vin en bouteilles depuis 2020
Et parmi eux, François qui, BTS agricole en productions végétales, licence en sciences de la vigne et diplôme national d'œnologue en poche, a rejoint l'exploitation familiale en 2020. Avec quelques idées dans sa besace pour faire évoluer les choses. "Je me suis dit que je pouvais apporter un plus à l'entreprise familiale", raconte-t-il.
"Mes parents ont toujours cultivé la vigne, et travaillaient déjà en bio, mais ils vendaient tout leur vin en vrac. Je trouvais dommage de se donner tant de peine dans les vignes, sans écouler notre vin nous-mêmes. J'ai donc lancé la vente en bouteilles."
Désormais, 15% de la production est proposée en bouteilles, sous l'appellation "Prélude des Beiner". Un nom de domaine poétique, qui marque l'idée d'un démarrage et joue la carte de l'originalité. Originalité aussi pour la forme ronde des étiquettes, et leur graphisme, de délicates silhouettes d'oiseaux réalisées par une amie dessinatrice.
François Beiner fait les présentations : "Nous avons des vins spéciaux, nature, élevés dans des fûts en bois. Des vins alsaciens plus classiques, également du crémant. Et du rouge, un Pinot noir, dont je suis très fier."
Une production diversifiée
Même si la viticulture reste leur activité principale, les Beiner, père et fils, cultivent aussi "plein d'autres choses : pas mal de blé et d'épeautre, tout ce qui est nécessaire à la fabrication du pain, détaille François Beiner. Nous cultivons aussi du tournesol, du chanvre, du colza… Aussi du soja, prisé en Alsace pour la fabrication du tofu."
Cette diversification est indispensable pour maintenir le label bio de l'exploitation. "Il faut des productions variées, sinon on risque d'avoir des problèmes avec de la vermine, et des maladies, explique le jeune agriculteur. La rotation et l'alternance de nos cultures sont donc indispensables."
"A l'époque, au lycée, on me disait : 'Il faut te spécialiser, sinon tu ne pourras pas payer toutes tes machines', sourit son père. Or, quand François était au lycée agricole, on lui a dit : 'Tu dois te diversifier, sinon tu n'y arriveras pas.' C'est drôle, les choses sont cycliques, rien ne change vraiment."
Pour François Beiner, cette diversification est aussi l'occasion de tester des nouveautés. "L'an dernier, on a essayé les lentilles, mais ça n'a pas très bien marché. On va tenter d'autres choses, peut-être de la moutarde. On verra."
Ces tests évitent toute monotonie dans le travail, mais ils comportent aussi des risques. Afin d'éviter trop de pertes, François Beiner fait ses premiers essais sur de petites surfaces. Et en parallèle, dès le départ, il doit déjà réfléchir à leur rentabilité, et à la manière de les écouler.
Une nouvelle presse à huile
Pour mieux valoriser une partie de leur production, François et Pierre Beiner ont ainsi fait l'acquisition d'une presse à huile. "Si on ne transforme pas soi-même certains produits, on les vend mal", explique encore le jeune agriculteur. Faire eux-mêmes leur propre huile bio leur offre de nouveaux débouchés.
La machine, de taille assez réduite, fonctionne en relative autonomie, mais nécessite une surveillance très régulière. Les grains, préalablement triés et entreposés dans des sacs de plusieurs centaines de kilos, sont aspirés par un long tuyaux jusqu'au cœur de la machine, qui les compresse au moyen d'une vis sans fin.
Le tourteau, le déchet, sort sous forme d'un long filament, qui servira de nourriture aux porcs et aux poules. Et l'huile s'écoule tranquillement dans deux bacs. Cette pression à froid, moins rentable que si l'huile est chauffée pour davantage la liquéfier, est un gage de qualité. Trois jours sont nécessaires pour en produire 200 litres. Et il faut compter deux mois de repos avant la mise en bouteilles.
De l'huile de coude, aussi
L'exploitation Beiner propose trois sortes d'huile : du colza, du chanvre et du tournesol. Les graines de tournesol moins belles sont également vendues comme nourriture pour les oiseaux. Mais dès le mois de mars, surgit une quatrième huile – ou du moins une quatrième bouteille, avec une étiquette très particulière, affichant "huile de coude". Au printemps 2024, sur les réseaux sociaux, François Beiner a vanté le produit dans une petite vidéo humoristique, en français et en alsacien.
"Si on lit bien les petits caractères, ils précisent que c'est de l'huile de tournesol, s'amuse le jeune agriculteur. Mais il ne faut pas le dire. Je la vends en mars, pour que nos clients puissent faire des blagues pour le 1er avril. C'est une bonne manière de nous faire connaître, et ça fait beaucoup rire."
Une opération marketing, qu'il compte bien renouveler. Mais pas seulement. "Notre métier, on ne le fait pas pour de l'argent. Donc il faut savoir se faire plaisir, sinon ça n'en vaut pas la peine."
Musique et vin se ressemblent
A ses heures perdues, même si parfois elles sont rares, François Beiner se remet aussi à son trombone, un instrument qu'il a étudié durant une quinzaine d'années, aux conservatoires de Colmar, puis de Dijon. "La musique est importante pour moi, il faut que je prenne le temps de la pratiquer, explique-t-il. Parfois je n'ai absolument pas le temps pour ça, et parfois, durant l'hiver, je joue beaucoup."
Ces dernières années, il a découvert de nombreux parallèles entre la musique et le vin. "Les deux nécessitent beaucoup de temps, et de travail en coulisses. Pour la musique, il faut répéter longtemps avant de se produire en concert. Pour le vin, c'est pareil. Il n'y a pas que le temps des vendanges. Toute l'année, il faut travailler dans la vigne. Et même plusieurs années de suite avant de réaliser un bon produit."
"Mais une bonne musique, comme un bon vin, ce sont aussi des choses qui rassemblent les gens. Qui offrent des moments forts, et de belles expériences. Je pense qu'apprendre la musique m'a appris la vie. Et la valeur du travail, jusqu'à obtenir le résultat souhaité."
Une collaboration affectueuse
Si l'on demande aux Beiner, père et fils, comment ils vivent leur collaboration, les deux se mettent à rire. "Ce n'est pas simple, reconnaît François. Mais on s'apprécie beaucoup, donc ça va. On arrive à se mettre d'accord pour les choses importantes. Nos bisbilles, c'est seulement pour des broutilles."
"Avant, je travaillais avec mon père, rappelle Pierre. Et c'était la même chose que de travailler avec mon fils. Les mêmes manières d'être, les mêmes bisbilles. Ça me fait bien rire."
Les produits de la ferme Beiner sont vendus directement à la ferme, "même si les gens ne passent pas par hasard, parce qu'on n'est pas sur la route des vins, précise François. Mais il suffit de nous téléphoner pour venir pour une dégustation."
Leur huile est aussi vendue à la ferme Saint-Blaise à Valff ainsi qu'à l'épicerie Rouge Tomate à Strasbourg. Et leur vin à la ferme du Kikiriki à Goxwiller.
Et l'on peut trouver l'ensemble de leur production dans le supermarché de producteurs Kooma, quartier de la Krutenau à Strasbourg, où il est parfois possible de croiser François Beiner, qui y assure plusieurs journées de présence par mois.