L'un pratique la médecine traditionnelle chinoise, près de Langres, l'autre est maquilleur effets spéciaux à Reims. Ces deux auto-entrepreneurs sont inquiets. Depuis les mesures de confinement du gouvernement pour enrayer le Covid-19, ils ne peuvent plus travailler et n'ont plus de revenus.
Nicolas Fournelle est auto-entrepreneur, à Reims, depuis dix ans. Un statut qui lui convient bien "on paye des charges uniquement sur ce que l'on gagne. Comme mes sources de revenus sont variables, ce système est tout à fait adapté à ma situation. C'est plus facile à gérer" nous explique ce trentenaire. Maquilleur effets spéciaux et accessoiriste, il travaille aussi régulièrement pour les plateaux de télévision. C'est lui qui maquille les présentateurs et présentatrices de France 3 Champagne-Ardenne, depuis huit ans et demi, maintenant. Mais aujourd'hui, il s'inquiète pour son avenir.
"Je travaille une semaine sur deux, à France 3. Et depuis ce lundi 23 mars, avec les mesures de confinement, mes contrats sont en suspens. Sans compter que depuis une semaine, tous mes tournages de prévus ont été annulés, mes conventions (salons) reportées ou annulées". Un manque à gagner estimé à 2.000 euros pour le mois d'avril. "Cette année, c'était exceptionnel, j'avais beaucoup de commandes".
Si on me décèle le Covid-19, les assurances me versent un salaire. En revanche, si l'entreprise pour laquelle je travaille ferme, je n'ai le droit à rien. Si je suis en réanimation, ça fonctionnera, mais si j'ai tous les symptômes, chez moi, sans avoir été testé positif, comment prouver que je suis bien porteur du coronavirus ?
- Nicolas Fournelle, auto-entrepreneur
Heureusement, Nicolas a quelques économies. "Pour le mois de mars, c'est bon, on peut payer le crédit de la maison. Je vais toucher 900 euros ce mois-ci, au lieu de 1.500. On va se serrer la ceinture." En avril aussi, il tiendra le coup mais après ? "Si en mai, j'ai aucun revenu, ça va devenir difficile. Pour l'instant, on peut prévoir jusqu'en avril." Mais avec trois enfants à charge, il va falloir tenir la distance. "Avec l'unique salaire de ma compagne, on a calculé, il nous manquera 200 euros, tous les mois, pour payer le crédit et toutes les factures". "Ma copine est surveillante de nuit dans un EHPAD (Etablissement d'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes), on lui demande de travailler 92 heures en 10 jours, soit 12 heures par nuit, travailler plus mais sans être augmentée", constate, amer, Nicolas.
Cet auto-entrepreneur a aussi contacté ses assurances. "Si on me décèle le Covid-19, on me verse un salaire. En revanche, si l'entreprise pour laquelle je travaille, mon prestataire de service, ferme, je n'ai le droit à rien". En résumé, pour toucher un revenu, Nicolas doit être malade. Encore faut-il être testé. "Si je suis en réanimation, ça fonctionnera, mais si j'ai tous les symptômes, chez moi, sans avoir été testé positif, comment prouver que je suis bien porteur du coronavirus ?"
Nicolas est plutôt fataliste. "La semaine dernière, j'étais très stressé. Maintenant, j'ai appris à l'accepter. J'espère qu'on reprendra vite le maquillage sur les plateaux télé. Je suis un écureuil, je mets de côté. J'ai toujours fait attention, c'est ce qui me sauve, aujourd'hui."
Vidéo. Inspiré par beaucoup de films et de livres en tout genre, c'est le "Seigneur des anneaux" qui a donné envie à Nicolas de faire ce métier "maquilleur effets spéciaux". Rencontre.
Quid de l'aide de 1.500 euros de l'Etat ?
L'Etat a annoncé qu'une aide allait être débloquée pour les auto-entrepreneurs. Elle est plafonnée à 1.500 euros. Pour cela, il faut que leur activité s'arrête pour raison sanitaire et que leur chiffre d'affaires ait baissé de plus de 70% entre la déclaration de mars 2019 et celle de mars 2020. Une mesure qui fait bondir Franck Pinel.
Depuis deux ans, Franck pratique la médecine traditionnelle chinoise (comme l'acupuncture...) à Longeau-Percey, à côté de Langres, en Haute-Marne. Sur son répondeur, le ton est donné, "le cabinet est fermé jusqu'à nouvel ordre". Depuis mardi, cet auto-entrepreneur est au chômage partiel. "Je fais un métier lié au bien-être. Je suis directement en contact avec du public, alors je subis de plein fouet le confinement, mais c'est normal."
Franck a le statut d'auto-entrepreneur depuis un peu plus de deux ans. "C'est une gestion simplifiée. On a les mêmes charges qu'un salarié. Et le gros avantage, c'est que l'on fait nous-mêmes nos comptes, sur un tableur, on a, d'un côté, les rentrées d'argent, de l'autre, les dépenses, pas besoin de payer un expert-comptable" se félicite Franck. "Cet été, j'ai acheté une nouvelle table de massage à 600 euros, mais c'est fait pour les cinq années à venir, je travaille à la maison, c'est l'idéal."
C'est une injustice énorme, on travaille plus de 40 heures par semaine, on s'investit, et au final, on nous laisse sur le carreau.
- Franck Pinel, auto-entrepreneur en Haute-Marne
Sur ces six derniers mois, Franck réalise un chiffre d'affaires brut d'environ 2.300 euros, par mois. Depuis septembre, il a réussi à se stabiliser. Avec un pic à 2.800 en juillet, mais 1.800 en août avec les vacances. Marié, il est le seul salaire du foyer.
"Bruno le Maire, le ministre de l'Economie et des Finances a annoncé une prime de 1.500 euros pour toutes les entreprises et les indépendants. Mais cette somme est fonction de ce que l'on a gagné l'an passé, à la même époque. Ça vaut pour les entrepreneurs qui ont un chiffre d'affaires stable, mais pas pour nous, les auto-entrepreneurs. En mars 2019, j'avais 1.300 euros alors qu'en moyenne, ces derniers mois, je touche 2.300 euros. Ça ne reflète pas mon chiffre d'affaires actuel. Il faudrait donner ces 1.500 euros à tout le monde, sans restriction" s'insurge Franck.
"Créer sa clientèle, cela prend du temps", ajoute-t-il, "j'ai de la chance d'avoir un peu d'argent de côté mais si le confinement dure 45 jours car il va obligatoirement être prolongé, comment on fait ?" Franck Pinel va, cette année encore, faire une croix sur ses vacances pour payer son loyer. "Avec toutes les charges, sans compter la nourriture, on doit débourser 800 euros tous les mois, on est laissé de côté, on doit survivre. Les salariés payés au Smic vont toucher 100% de leur revenu, eux. C'est une injustice énorme, on travaille plus de 40 heures par semaine, on s'investit, et au final, on nous laisse sur le carreau."
Mode d'emploi de la fédération nationale des auto-entrepreneurs concernant l'aide du gouvernement.
Report des charges à une date ultérieure
"On n'a aucune visibilité, c'est terrible et je suis loin d'être le seul, sur Facebook, des centaines d'auto-entrepreneurs sont dans le même cas que moi. Que vont devenir tous ces artisans, ma coiffeuse, ces petits commerçants, tous ces gens qui ne peuvent plus travailler ?" s'inquiète Franck.
Vidéo. A quoi les auto-entrepreneurs ont-ils droit ?
Exceptionnellement, le paiement des charges est reporté pour les travailleurs indépendants. "On ne sera pas prélevé. J'ai 400 euros à verser, ils disent qu'ils régulariseront après la crise sanitaire ? Ils auraient pu nous en faire cadeau, plutôt." Franck a également fait une demande d'aide sociale exceptionnelle auprès de l'Urssaf. "J'ai fait mon dossier tout à l'heure, mais c'est pas simple. On ne nous simplifie pas la vie, on nous oublie complètement" lâche-t-il.
Si vous êtes auto-entrepreneur, il faut faire cette demande par mail nous précise la responsable régionale communication de l'Urssaf en Champagne-Ardenne, Sophie Costa-Imhaus. Pour toute autre question, rendez-vous sur www.urssaf.fr où un assistant virtuel, un chatbot, est entièrement dédié au Covid-19.