Pour cette 73e Foire aux vins de Colmar, le bar à vins "Winele" fait son apparition. Derrière le comptoir, deux Alsaciens comptent faire découvrir le vin nature aux visiteurs, mais aussi aux professionnels du secteur.
C'est une première à la Foire aux vins de Colmar. Le vin nature a désormais un bar qui lui est consacré, derrière le nom "Winele" ("petit vin" en alsacien). Même s'il n'est pas évident de s'imposer au milieu de tous ces vins conventionnels, ses adeptes sont persuadés qu'ils ont leur place à la foire.
Tout commence en 2019, lorsque que Franck Langenfeld et Hervé Helfer, deux amis de Nordhouse (Bas-Rhin), viennent voir Orelsan à la FAV : "Après le concert, on voulait boire un petit verre de vin nature, mais nous n'avons rien trouvé, se souvient le premier, restaurateur-caviste au restaurant La Clé des Champs, toujours à Nordhouse. Alors on va dire qu'on a pris les choses en main."
Une pandémie de Covid plus tard, voici les quadragénaires à la FAV derrière leur bar à vins pour proposer un large choix de vins natures (ou naturels, c'est selon). Mais comment définir un vin nature ? S'il n'existe pas de label à proprement parler, on parle ainsi d'un vin qui respecte les charges de l'agriculture biologique, et auquel aucun intrant n'est ajouté pendant la vinification.
Seul le soufre est utilisé, mais en très petite dose. Certains vins n'en ont même pas du tout : "A travers la biodynamie, on agit le moins possible en cave. Et en amont, ça ne peut pas se faire sans une belle culture de la vigne", résume Franck Langenfeld.
"Quand on a demandé à la Foire aux vins si on pouvait venir, on nous a directement dit oui, se souvient son ami. Et l'ambiance ici est super, on sent qu'on est dans une famille. Le stand d'à côté, c'est des copains, eux aussi, et eux aussi", énumère-t-il en montrant du doigt les exposants à proximité.
On va voir directement les gens, leur demander s'ils ont déjà goûté du vin nature.
Franck Langenfeld
Mais le plus dur, c'est de conquérir les visiteurs : "Ce n'est pas un public acquis", reconnaît Franck Langenfeld. D'autant que le stand Winele n'est pas le mieux placé. Situés tout au bout du hall 4, les deux amis semblent un peu seuls : "Si on reste derrière le bar, il ne se passe rien. Alors on va voir directement les gens, leur demander s'ils ont déjà goûté du vin nature", expliquent-ils.
Car Franck et Hervé ont de quoi attirer les novices, qui ne connaissent pas forcément ce type de vin, quand ils n'ont pas d'a priori. Il est par exemple servi à la tireuse, depuis des fûts de 20 litres : "Forcément, ça interpelle. Après, les gens posent beaucoup de questions. Ils sont très curieux. Et donner des explications, ça fait partie de notre travail."
En bouche également, le vin nature se distingue des vins conventionnels : "Notre critère, c'est la 'buvabilité'. Ça signifie qu'on ne doit pas se dire 'il me faut deux verres d'eau après ce verre'. Quand on boit un vin nature, on est frais le lendemain, on peut bosser!", sourit Hervé Helfer.
Preuve en est avec le rappeur PLK, qui est venu avec son staff boire un verre avant son concert du 25 juillet : "Dès qu'ils ont lu 'vin nature', ils sont venus", note Franck Langenfeld, qui compare le vin nature non pas au rap, mais au rock'n'roll : "On est un peu les rebelles!"
Hervé Helfer a une autre définition du vin nature : "Pour moi, c'est plus le vin du grand-père, avant que tout soit standardisé, ou 'coca-colaïsé' dans la seconde moitié du XXe siècle. Le but de ce vin, c'est de le boire à plusieurs, et de profiter à l'instant T, car il peut être différent selon plein de facteurs. Quand tu bois tout le temps la même chose, ça s'aseptise. Là, ça invite les gens à être ensemble."
Il faut accepter le vin comme il est et non comme ce qu'il doit être.
Franck Langenfeld
Son ami poursuit : "Il faut accepter le vin comme il est et non comme ce qu'il doit être. Il y a beaucoup moins de prise de tête. C'est aussi des vins qui ne sont pas en surproduction, on ne cherche pas à vendre en grand volume."
L'acceptation par les pairs, le grand enjeu
Mais au milieu de tous ces grands noms de domaines et de négociants alsaciens, le principal défi du vin naturel est de se faire accepter. Considéré comme un effet de mode, ou un vin qui n'a pas de goût, seulement pour les écolos ou les bobs, il souffre d'un manque de notoriété vis-à-vis des vins conventionnels : "Il ne faut surtout pas nous opposer et créer un clivage. Au contraire, on élargit la palette de saveur pour emmener les gens ailleurs. Le but, ce n'est pas du tout de marcher sur les plates-bandes", juge Hervé Helfer.
Des propos qu'appuie un vigneron alsacien, venu rendre visite au duo : "On discute ensemble, c'est indispensable qu'il y ait ce bar à vins à la FAV ! Là, le vin retrouve sa place, ça ne sert à rien de nous séparer. Même si beaucoup viennent avec de l'appréhension... "
Justement, au même moment, une dizaine de membres du Conseil interprofessionnels des vins d'Alsace (CIVA) viennent goûter ces vins de la tireuse au verre, avec un petit sourire narquois non dissimulé : "Ça met un peu la pression, avoue Hervé Helfer. Mais les choses bougent, c'est bien. Les voir à notre bar, ça fait toujours plaisir."
Après cinq jours de FAV, les deux compères sont pratiquement certains de revenir en 2023 : "On espère avoir un stand mieux placé quand même", sourit Franck Langenfeld. Le restaurateur aimerait également proposer de quoi manger, toujours dans cet esprit convivial que permet le vin nature.