Au quatrième jour du procès en appel de Jean-Marc Reiser, assassin présumé de Sophie Le Tan, la famille de l'étudiante de 20 ans a témoigné à la barre. Un an après le procès en première instance, elle a replongé dans l'horreur.
La mère de Sophie Le Tan pensait que tout était fini, ce 5 juillet 2022, quand Jean-Marc Reiser, 61 ans, a été reconnu coupable par la cour d'assises du Bas-Rhin de l'assassinat de sa fille en 2018. Près d'un an plus tard, elle et les autres membres de la famille se sont exprimés une nouvelle fois devant une cour d'assises, pour le procès en appel du natif d'Ingwiller.
La ville a changé, le cadre aussi. Les ventilateurs de Colmar ont remplacé la climatisation de Strasbourg. Mais l'exercice est le même pour la famille Le Tan. Celui du procès et de la douleur ravivée. Pour les parents de Sophie Le Tan, arrivés en France à la fin du siècle dernier en fuyant le régime communiste vietnamien, la notion d'appel n'est pas évidente à comprendre. "Pour eux, c'était fini, ils allaient pouvoir commencer une nouvelle vie. Mais, là, elle se demande à quoi le premier procès a servi", témoignait Laurent Tran Van Mang, le porte-parole de la famille, à l'annonce des dates du procès en appel.
Déjà le premier jour de ce procès, la maman de Sophie avait quitté la salle d'audience, l'épreuve étant trop difficile pour elle. Elle n'est revenue que ce 23 juin dans l'après-midi parce que son nom figure au planning. Voilà près de cinq ans qu'elle vit sans sa fille, sans savoir ce qu'il s'est passé ce 7 septembre 2018, au 6ᵉ étage du 1 rue Perle, à Schiltigheim.
Une après-midi remplie d'émotion
Le père et le frère de Sophie sont présents depuis le début du procès en appel. La veille, ils ont quitté un long moment la cour d'assises pour ne pas voir les ossements de Sophie et les vidéos de la reconstitution du meurtre et de la découpe du corps de la jeune femme. Ce dernier épisode a d'ailleurs été évoqué dans la matinée de ce quatrième jour de procès, en présence de la famille Le Tan.
Avant de prendre la parole, les membres de la famille de Sophie assistent au témoignage de Mélanie (prénom modifié), qui, comme l'étudiante en économie-gestion, avait contacté Jean-Marc Reiser à la fin de l'été 2018 pour visiter son appartement de Schiltigheim. C'est ensuite au tour de Sylvie, la sœur de Sophie. Cette dernière fond en larmes au moment de commencer à parler.
Levez votre nez de vos notes !
La présidente Christine SchlumbergerA Jean-Marc Reiser
Sa mère la rejoint alors pour l'épauler, tout comme Laurent Tran Van Mang. Pendant une minute, Sylvie sanglote. Dans le box, Reiser ne regarde pas la scène. La présidente l'interpelle. "Levez votre nez de vos notes, il se passe des choses dans la salle d'audience !"
Sylvie retrouve des forces. "Sophie, c'est une super personne, très affective et protectrice. Elle voulait profiter de la vie à fond. C'est quelqu'un qui avait beaucoup d'ambition. Mes parents lui ont laissé beaucoup de liberté et ont fait beaucoup de sacrifices pour qu'elle puisse accomplir ses rêves."
Ce qui fait mal, c'est la façon dont elle est décédée.
Sylvie Le TanSœur de Sophie
Au sujet de la disparition de sa sœur, avec qui elle était très proche, Sylvie dit avoir compris très vite que quelque chose de grave se passait quand tout d'un coup, elle n'a plus de nouvelles ce matin du 7 septembre 2018. "Elle nous prévenait toujours de tout. On devait se retrouver pour fêter son anniversaire à Mulhouse. Ce qui fait mal, c'est la façon dont elle est décédée. Je suis sûre que ce n'est pas la seule et qu'il y en a eu d'autres. C'est pour ça que je ne lui pardonnerai jamais."
Dans la salle d'audience, entre deux phrases de Sylvie, ne résonnent que les hélices des ventilateurs qui tournent à très grande vitesse. Le frère de Sylvie et Sophie, Philippe, regarde le sol, assis à quelques mètres de là.
Huong Le Tan, la mère de Sophie, reste à la barre. "Vous sentez-vous capable de témoigner ?", lui demande la présidente, particulièrement délicate avec la famille Le Tan. "Oui", lui répond la femme de 51 ans, d'une voix fluette.
Assistée d'un interprète, elle explique en vietnamien qui était sa fille. "Elle voulait être indépendante et ne pas être une charge pour ses parents. Nous ne maîtrisons pas le français alors Sophie nous aidait beaucoup. Mais, elle a disparu et son corps n'était pas entier quand il a été retrouvé. C'est une souffrance énorme pour moi." À l'écoute de ces mots qui résonnent dans les haut-parleurs, personne ne réagit dans la salle. Beaucoup de paires d'yeux rougissent.
Témoigner une nouvelle fois, une épreuve
La présidente aura un mot pour chacun des proches de Sophie. "Aucune mère ne peut imaginer perdre sa fille dans ces conditions et ne même pas pouvoir l'enterrer dans des conditions dignes. Nous vous trouvons extrêmement courageuse de vous présenter une nouvelle fois devant nous et nous mesurons à quel point c'est difficile", déclare-t-elle calmement à la mère de famille.
Cette dernière reprend la parole. "Ce crime est atroce et inhumain. Je demande au tribunal de le garder en prison jusqu'à la fin de sa vie. Il est un danger pour la société. Je demande une peine aussi sévère qu'en première instance. Je crois en la justice."
Je ne pensais pas que ce jour allait être un cauchemar.
Philippe Le TanFrère de Sophie
Jusqu'ici timide, presque renfermé, Philippe, le grand frère de Sophie, s'approche dans un stress évident. "Le 7 septembre 2018, quand j'ai envoyé un message de joyeux anniversaire à Sophie, je ne pensais pas que ce jour allait être un cauchemar", se souvient-il en s'accrochant fermement à la barre.
"Les premiers jours qui ont suivi la disparition de ma sœur, je n'allais plus en cours. J'y suis finalement retourné parce que je ne pouvais plus supporter l'ambiance à la maison. Ma sœur et ma mère étaient abattues. La disparition de Sophie, c'est comme si l'on avait enlevé un pilier de la famille", termine-t-il en tremblant.
Le père de Sophie, Tri Le Tan, est également aidé par un interprète. "Je voudrais dire les douleurs de ce nouveau procès. C'est une blessure profonde, nous essayons d'aller de l'avant. Ce procès remue dans notre blessure. Nous sommes toujours dans le chagrin. Nous ne vivons plus, nous survivons. Les circonstances atroces dans lesquelles ma fille a été assassinée hantent mon esprit", énonce-t-il.
"Cet homme utilise sa grande intelligence pour faire du mal. Il a un recours à la ruse pour développer des stratagèmes et pour faire du mal à la société. Son casier judiciaire le prouve." Comme sa femme, Tri Le Tan demande à ce que la même peine qu'en première instance soit prononcée. "J'ai du mal à croire cette personne quand elle raconte ce qu'il s'est passé chez lui. Je pense qu'il s'est passé autre chose, je tenais à vous le dire."
J'ai pu constater la dégradation de la cohésion de la famille.
Laurent Tran Van MangPorte-parole de la famille Le Tan
Un dernier homme est invité à témoigner. Cousin du père de Sophie, Laurent Tran Van Mang épaule la famille depuis le début de l'affaire, quand bien même il n'est pas de la région. La veille encore, il avouait ne pas savoir s'il voulait parler à la barre. Il livrera finalement, très ému, un discours poignant. "Quand Sophie a disparu, je me suis immédiatement rendu chez la famille à Cernay. En arrivant, ce n'était pas le tableau de famille que j'avais l'habitude de voir : un tableau sombre, triste. Le désarroi et l'incompréhension étaient palpables."
La tête baissée, les bras sur la barre, l'homme continue. "J'ai pu constater la dégradation de la cohésion de la famille au fur et à mesure que l'enquête dévoilait des preuves : quand on a interpellé M. Reiser, on avait encore l'espoir de retrouver Sophie. Puis il y a eu le sang retrouvé, la scie, puis la découverte du corps... Là, c'était une chute vertigineuse vers le désespoir, sans fond. Je sentais dans la famille cette maison sans vie, sans âme."
La parole de Laurent Tran Van Mang est vibrante et interpelle l'audience. "Avec toutes les compagnes qui ont subi les violences de M. Reiser, il a toujours su faire mal et se maîtriser. Pourquoi s'est-il acharné puis donné la mort à Sophie ? Elle aurait pu être là, avec nous, peut-être en train de témoigner contre lui."
Avant de s'adresser directement à l'accusé. "Ne me regardez pas, regardez la famille que vous avez anéantie ! Regardez la douleur qui ressort de ce tribunal. Tout ça pour quoi ? Parce que Sophie vous a repoussé ?" Reiser reste impassible avant de baisser les yeux. La dernière phrase de tous ces puissants témoignages résonne dans la salle d'audience : "La dignité est le dernier refuge de l'humanité. Vous n'avez aucune dignité, aucune."
La séance est levée après ce dernier témoignage. Les avocats des parties civiles vont réconforter la famille de Sophie. Plus tôt, Gérard Welzer avait aidé Philippe à terminer son témoignage. Suite à une question de l'avocat, le frère de Sophie finira par dire à la cour qu'il travaille aujourd'hui comme réceptionniste de nuit dans un hôtel. Le même métier que sa sœur. C'est après son service de la nuit du 6 au 7 septembre 2018 qu'elle se rend à Schiltigheim à un rendez-vous avec Jean-Marc Reiser, qui lui ôtera la vie dans son appartement.