Depuis le mois de décembre, le dispositif Territoire zéro chômeur longue durée a été officiellement lancé à Joinville en Haute-Marne. Il a déjà permis à 25 personnes privées durablement d'emploi de signer un CDI. Pour beaucoup d'entre eux, c'est enfin une lueur d'espoir après des années de galère.
Audrey ne semble toujours pas y croire. Elle vient d'être embauchée dans le pôle administratif de l'entreprise Les Comptoirs à Joinville en Haute-Marne. Elle participe à la comptabilité et à la gestion des ressources humaines de l'entreprise. À bientôt 38 ans, il s'agit de son premier CDI.
C'est la première fois qu'on me laisse vraiment ma chance. Avant je n'avais eu que des CDD, que de l'intérim... Ça fait du bien de voir venir un petit peu.
Audrey, nouvelle salariée des Comptoirs
Depuis plus de 15 ans, Audrey cherche un emploi dans le secteur administratif dans le bassin de Joinville. Elle a travaillé à Wassy, Montier-en-Der, Saint-Dizier mais toujours pour des contrats courts. Au fil du temps et des refus, elle a fini par se décourager. "Dans le coin, il n'y avait vraiment pas d'offres d'emplois dans ma branche. J'ai envoyé des CV mais on n'a jamais de réponse... Certains ont eu de la chance, mais ce n'était pas mon cas. Jusqu'à ce que j'entende parler de Nouvelle Équation."
Un projet lancé en 2017 à Joinville
Nouvelle Équation est une association joinvilloise consacré à l'aide au retour à l'emploi. Elle porte depuis 2017 le projet de création dans le bassin de Joinville d'un Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée. Ce dispositif expérimenté depuis 2014 en France et qui consiste à créer des Entreprises à But d'Emploi (EBE) afin d'embaucher, en CDI, des personnes écartées du monde du travail depuis longtemps.
"Au départ, nous avons fait appel aux personnes privées durablement d'emploi dans le territoire de Joinville pour qu'elles se portent candidates à notre projet, rappelle Martin Gricourt, à l'origine du projet et aujourd'hui directeur de l'entreprise Les Comptoirs. Elles sont entrées sur une liste d'attente pour être ensuite embauchées par les Entreprises à But d'Emploi. L'idée n'est pas de sélectionner les profils, on ne recherche pas les meilleurs candidats, ceux qui vont nous permettre de faire le plus de business. Il suffit simplement d'être privé durablement d'emploi."
VIDEO : les portraits de plusieurs bénéficiaires de l'opération zéro chômeurs.
Les domaines d'activités des EBE ont ensuite été déterminés en fonction des envies et compétences des salariés. L'autre impératif était de créer une activité qui n'existait pas sur le territoire, afin de ne pas faire de concurrence à des entreprises privées du secteur.
Recyclerie, maraîchage et épicerie solidaire
Joinville a obtenu sa labellisation en 2022, devenant ainsi le deuxième territoire du Grand Est à mettre en œuvre ce dispositif avec le Pays de Colombey et du Sud Toulois en Meurthe-et-Moselle. Depuis le mois de décembre, deux EBE sont ainsi nées à Joinville employant au total 25 personnes. ARIT-EBE ouvrira officiellement ses portes le 16 janvier afin de proposer une activité de recyclerie et un atelier de transformation de palettes. L'autre entreprise, Les Comptoirs, est elle aussi en pleins préparatifs.
Installée dans le quartier de la Madeleine, dans les locaux de l'ancienne école Mermoz-Diderot qui a fermé ses portes à l'été 2022, Les Comptoirs proposent plusieurs activités autour de l'agriculture avec notamment du maraîchage, l'entretien de vergers et un projet de jardins pédagogiques. Une épicerie sociale et solidaire va également ouvrir début mars en accueillant aussi un espace de convivialité. Enfin, l'objectif de l'entreprise est de répondre à des commandes de clients pour de la manutention, l'organisation d'événements ou de l'aide à domicile.
À 27 ans, Anaïs sera chargée de l'animation du pôle agriculture et s'occupera plus précisément de l'activité de maraîchage. Les premiers semis ne sont prévus que début février, mais il y a déjà beaucoup de travail. "Il y a tout le travail en amont de préparation des plans de culture, de préparation du sol, afin de définir le calendrier précis de ce qu'on doit planter et récolter. Ces produits permettront d'alimenter la cantine du collège ou d'autres collectivités ainsi que notre épicerie solidaire. Nous allons également proposer des ventes de paniers de légumes bio."
Passionnée de jardinage, Anaïs a eu beaucoup de mal à trouver du travail ces dernières années. Maman d'une petite fille et séparée du père, elle n'a pas réussi à concilier garde d'enfant et activité professionnelle. "Je n'ai pas de famille dans le secteur donc je n'avais pas de solution de garde pour ma fille. Je n'ai pas le permis de conduire, donc impossible d'aller trouver du travail loin de chez moi. Ici, à Joinville, il y a très peu d'opportunités d'emplois. J'ai réussi à travailler comme femme de chambre ou femme de ménage, mais c'est très cher de prendre une baby-sitter quand on gagne moins d'un SMIC."
Depuis, sa fille a grandi et elle est entrée à l'école. Anaïs a également entendu parler du projet de Nouvelle Équation et de son activité de maraîchage. Une solution idéale pour elle : "C'est très difficile de s'installer en maraîchage. Ceux qui s'installent ont du mal à se sortir ne serait-ce qu'un RSA. Là, je peux faire le métier que j'aime en touchant un SMIC et j'ai la sécurité d'un CDI."
"Un nouveau départ et un nouveau défi"
De son côté, Sandra est en plein travail de peinture. Avec ses collègues, elle prépare la salle qui accueillera début mars l'épicerie sociale et solidaire. Elle a commencé sa carrière comme frigoriste, mais au fil du temps, les opportunités d'emploi se sont faites beaucoup plus rares. "J'ai envoyé des CV de Langres à Saint-Dizier et je n'ai eu que des retours négatifs. Là, aujourd'hui, pour moi, c'est un nouveau départ, un nouveau défi aussi et je pense que ça en vaut vraiment la peine."
À 42 ans, elle entrevoit sa nouvelle activité aux Comptoirs avec beaucoup d'envie. "L'aspect solidarité de cette épicerie, ça m'a vraiment beaucoup intéressé. C'est quelque chose qui manque à Joinville et c'est pour ça que j'y ai toujours cru. On va aussi créer ici un petit coin café avec un ordinateur, du wifi, les journaux... Un petit coin de convivialité ouvert à tous, ça va recréer un lien social et ça déjà, c'est énorme."
Pour beaucoup de ces salariés, le dispositif Territoire zéro chômeur de longue durée permettra à la fois de retrouver un emploi mais aussi du sens à leur activité professionnelle.
Un dispositif encore expérimental
Le financement de ces entreprises est partagé entre l'Etat, le département et également les bénéfices générés par les salariés. Concrétisé par une loi de 2020, il reste encore sous un statut expérimental jusqu'en 2026. En d'autres termes, ces entreprises ont un peu plus de trois ans pour démontrer leur efficacité.
"On est vraiment dans un cadre expérimental, rappelle Martin Gricourt. On va être scrutés de près pour savoir si ces entreprises permettent de faire des économies ou au contraire si elles coûtent plus cher. D'ici là, il faut déjà qu'on ait des résultats afin de pérenniser notre activité."
Aujourd'hui, près de 300 personnes ont été identifiées comme chômeurs de longue durée dans le bassin de Joinville. Les rangs des entreprises à but d'emploi de Joinville pourraient donc grossir dans les prochains mois.