En Champagne-Ardenne et dans le reste de l'Europe, l'agriculture va vivre une petite révolution : un quart des aides directes versées par l'Union européenne (via la PAC) aux agriculteurs sera conditionné à des pratiques plus vertueuses pour l'environnement. Dans la Marne, le projet fait débat.
A Vraux, près de Châlons-en-Champagne dans la Marne, l'agriculteur Romain Hannetel est en colère. Vingt ans passés entre ses cultures et son élevage de vaches charolaises. Vingt ans de travail six jours sur sept et neuf heures par jour. Mais avec la future réforme de la Politique Agricole Commune (PAC), il craint que tout cet investissement n'ait été en vain.
"La future réforme va représenter, pour mon associé et moi, une baisse de 15 à 20% de nos aides européennes. Cela représente environ 12.000 euros. Pour la pérennité de l'exploitation, ça va être compliqué. Je ne le vis pas très bien mentalement, parce que c'est une exploitation que mon grand-père a mis en place et que j'ai amélioré. Tout voir disparaître, ça me pèserait sur le coeur", soupire-t-il.
Des aides conditionnées à des pratiques plus vertes
Principal point de crispation : les "écorégimes". Dès janvier 2023, un quart des aides directes européennes devrait être conditionné à des pratiques plus vertueuses pour l'environnement, comme l'agro-foresterie ou l'agriculture biologique par exemple. Un accord trouvé par les ministres de l'agriculture de l'Union européenne le 21 octobre dernier.
L’accord obtenu est un succès car une #PAC avec des revenus garantis, des mesures environnementales ambitieuses, et surtout obligatoires pour TOUS les pays, c’est une PAC qui, enfin, lutte contre la concurrence déloyale au sein du marché commun. #QAG pic.twitter.com/jf2Wtz2bcH
— Julien Denormandie (@J_Denormandie) October 27, 2020
Selon les estimations de la FDSEA (Fédération Départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles), la moitié des agriculteurs marnais ne rentrerait pas dans la case des écorégimes. Et l'enveloppe des aides directes classiques serait moins grosse, car amputée par ces écorégimes.
Ce qu'on souhaite, c'est une politique juste et équitable pour l'ensemble des agriculteurs.
Les pertes pourraient aller de 60 à 80 euros par hectare, selon la FDSEA 51. Son président, Hervé Lapie, tempère pourtant : "nous ne sommes pas du tout opposés aux écorégimes, les agriculteurs sont prêts à faire la transition, mais par contre il faut accompagner plutôt qu'exclure".
"Ne pas faire du bio que pour les riches"
Ces craintes, Quentin Delachapelle, agriculteur à Noirlieu dans la Marne, dit les comprendre. Mais pour lui, les écorégimes sont nécessaires. "Si la PAC (Politique Agricole Commune) reste en l'état, je ne ferai pas dix ans de plus", déclare-t-il.
Quentin Delachapelle a commencé sa conversion au bio en 2017. Depuis, un tiers de sa ferme de 160 hectares y est consacré, et il compte bien ne pas s'arrêter là : "avec le bio, les rendements sont moindre, certes, mais il y a beaucoup plus de possibilités et de productions différentes, avec des prix plus stables qu'en conventionnel. Le bio représente des avantages que le conventionnel n'a plus".
Quentin Delachapelle fait partie de la plateforme "Pour une autre PAC". Elle se bat pour un changement de cap de la Politique Agricole Commune, imaginée après-guerre pour réalimenter l'Europe.
Les objectifs ont changé. Le but n'est pas comme dans les années 60 d'assurer une alimentation primaire, pour tout le monde, à bas coût. Le citoyen cherche une alimentation de qualité, qui ne soit pas réservée uniquement à ceux qui en ont les moyens.
Pour Quentin Delachapelle, ces écorégimes sont une reconnaissance des pratiques vertueuses pour l'environnement et un moyen de rassurer les agriculteurs qui voudraient passer au vert, pour proposer des produits de meilleure qualité à tous les consommateurs. Une transition verte possible grâce à la PAC et ses aides à la conversion.
Récompenser les efforts des agriculteurs
Pour Laurent Cousin, président de l'association Bio en Grand Est : "l’aide à la conversion est essentielle pour le déclic, mais cette reconnaissance via les écorégimes est aussi essentielle pour faire reconnaître les efforts des agriculteurs".
Selon lui, les agriculteurs les plus vertueux ne sont pas mieux rétribués que les autres aujourd'hui. "Il faut vraiment que ça change, clame-t-il. Il faut montrer que les politiques reconnaissent ceux qui font les efforts".
Laurent Cousin voit dans cette future réforme un premier pas vers un changement plus radical de la Politique Agricole Commune. Lui aussi la croit désuète et taillée pour une société qui n'existe plus.
Prochaine étape nécessaire, selon lui : la fin des aides à l'hectare, qui ont conduit depuis les années 60 à un agrandissement des terres. Remettre l'humain au centre de l'agriculture, mieux valoriser les petites exploitations et cesser de vouloir se faire aussi gros que les géants américains ou néozélandais : ce sera peut-être ça, l'agriculture de demain.