Témoignage. Attentat à Arras. "On ne veut pas que la fatalité s'installe" : rentrée lourde pour un professeur d'histoire

Publié le Écrit par Toky Nirhy-Lanto
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Ce lundi 16 octobre marque le retour des élèves en classe, après l'attentat terroriste dans un lycée d'Arras. Un professeur a trouvé la mort dans cette attaque. Trois jours après, le choc reste intense, notamment pour un de ses collègues de la Marne, que nous avons interviewé.

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Trois jours après l'attaque terroriste à Arras (Pas-de-Calais) qui a fait un mort et quatre blessés, les élèves et leurs professeurs sont revenus en classe ce lundi 16 octobre. Une rentrée sur fond d'hommages, tout au long de cette journée.

Une minute de silence a été observée dans tous les établissements scolaires de France. Elle est dédiée à la mémoire de Samuel Paty et de Dominique Bernard. Deux professeurs tués dans les mêmes conditions, à trois ans d'intervalle : par des terroristes islamistes.

Des professeurs qui restent encore marqués par ce double assassinat terroriste. C'est le cas de Thibaut Poirot, professeur d'Histoire-Géographie, dans la Marne. Il nous livre son témoignage. Le cœur lourd, mais avec la volonté de montrer coûte que coûte que le terrorisme ne peut affaiblir l'École.

Une rentrée teintée de colère

"Parmi beaucoup de collègues que j'ai pu voir ce matin, on a passé l'étape de la sidération, parce que ce n’est pas un acte de violence terroriste inédit contre un enseignant, malheureusement", déplore Thibaut Poirot. Il y a d'abord un sentiment d'"immense lassitude", mais aussi de la "colère" : "Je pense qu’on est plus dans la colère, à l'égard des événements, à l’égard de la possibilité que ça puisse arriver. On est dans une forme de vrai sentiment d’impuissance. C’est ce contre quoi on essaye de lutter, depuis vendredi : on ne veut pas que la fatalité s'installe. On ne veut pas que ça soit considéré comme normal, que ça devienne banal."

Cet agrégé d’Histoire-Géographie ne s’estime pas menacé spécifiquement, bien que marqué par ce qui vient de se produire : "Tout le monde dans la profession, et parmi les collègues d'histoire-géo, a été marqué par une partie des témoignages de vendredi qui laisseraient entendre que l’auteur cherchait un professeur d'Histoire-Géographie."

Au cours de l'attaque terroriste du 13 octobre, plusieurs personnes ont été visées. Ce que rappelle Thibaut Poirot : "Le déroulement des faits montre que, de toute façon, il s'en est pris à un des enseignants, à des agents, à des adultes. Ce risque, nous le partageons avec l’ensemble des concitoyens. On ne peut pas oublier non plus que des attaques terroristes ont pu viser des passants, qu’elles ont pu être ‘à l’aveugle’. Le mode opératoire du terrorisme de nos jours, c'est que nous pouvons potentiellement être tous concernés."

Parler de "cible dans le dos" n’est pas bon. Psychologiquement, je ne peux pas me dire tous les matins que je vais faire un métier exposé. Je pense qu’on est tous à égalité face à ce risque.

Thibaut Poirot

Professeur d'Histoire-Géographie, dans un lycée de la Marne

Pour autant, il a tout de même une attente urgente : "J'espère que les pouvoirs publics reconnaîtront cette exposition, au sens où on est plus exposé peut-être que d'autres professions. Je n'attends pas que l'on fasse une câlinothérapie pour dire que 'ça ne va pas' et que 'ça ne va pas être facile de se lever tous les jours'. Ce que je veux, c'est que cette situation ne perdure pas, et qu'on revienne à une forme de sécurité, de normalité dans l'exercice des fonctions d'enseignant."

Les mots justes face aux élèves

Face aux élèves, les professeurs avaient la charge de revenir sur ces événements. Pour Thibaut, pas de problème à signaler. Les élèves avaient conscience de l'événement, le jour même : "Dans la classe que j'avais vendredi à 14 heures, des élèves avaient déjà vu quelque chose. La première question, c'était 'Monsieur, il paraît que deux professeurs d'Histoire-Géographie ont été tués'. L'événement n'était pas encore bien compris, alors j'ai pris trois minutes pour expliquer ce qui s'était passé, ce que l'on savait et ce qui était en cours. Avec quelques rappels de précautions, c'est venu assez naturellement. On a des élèves de tous niveaux de tous les milieux. Il n'y a pas trop de complexité sur les termes."

En Histoire-Géographie, le programme aborde la question du terrorisme. "Ils savent comment entendre les mots compliqués qu'on peut leur donner. Le terrorisme fait partie des termes que, malheureusement aussi, on voit en cours. Maintenant, il faut arriver à leur dire qu'on est obligé de leur donner un sens à l'événement. Leur dire en gros pourquoi c'est grave, et c'est toute la difficulté de notre position : expliquer pourquoi c'est grave, tout en étant nous-même. Il faut accepter cette présentation des choses. Être à la fois ceux qui doivent savoir, et en même temps être impliqués par ce qui s'est passé, car un collègue touché une deuxième fois par le terrorisme a un retentissement énorme", explique le professeur.

Donner ces clés d'explication était une nécessité pour l'enseignant : "Les élèves, encore une fois, ne sont pas forcément dans la même temporalité. Ils n'ont pas forcément accès à la même source d'information. Ils n'ont pas forcément la maîtrise des détails et de la complexité. C'est ce qu'il faut aussi rappeler lors de cet hommage : qu'on commémore à la fois le souvenir de Samuel Paty, mais aussi ce qui vient de se passer."

La préservation d'une fragile unité

Face à l’après-attentat, Thibaut espère "évidemment qu’on va faire bloc". En apportant tout de même quelques nuances : "Il ne faut pas que ce soit des promesses vaines, et qu’on passe à autre chose la semaine prochaine. Après les appels à l’unité, on aura besoin d’un discours de vérité sur les événements, sur ce qui a été et ce qui n’a pas été. C’était la même chose, au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty : on a un besoin d’explications. Qu’est-ce qui a manqué ?"

Ce qu’il déplore en premier lieu, c’est la surenchère, politique notamment : "Le risque est énorme qu’on ne comprenne pas le caractère insupportable de la foire aux idées que l’on a depuis. En disant par exemple ‘Si l’école faisait ci, si l’école faisait ça’, on arriverait mieux à empêcher ce genre d’actes. Je suis désolé, mais ce n’est pas cela qui arrivera à empêcher une action terroriste dans un établissement scolaire. Ce n’est pas en imposant une sortie théâtre tous les mois, qu’on lutte contre le terrorisme, en fait."

Il poursuit, en colère : "En ce moment, tous les responsables publics ont quand même l'obligation de dire ce qui n'a pas été. Cela passe par arrêter ce discours permanent qui dit, c'est à l'école de faire, que L’école elle est responsable, elle devrait faire ça’. On ne peut plus supporter ce genre de discours, ni les ‘c’est parce qu'ils ont mal parlé de la laïcité ou parce qu'ils l'ont mal expliquer ou parce qu'ils n'ont pas assez fait’. Et encore moins l'idée que la responsabilité pèse seulement sur notre tête et sur nos épaules : ce qui pèse sur nos épaules, pèse plutôt sur l'ensemble de la société française."

LIRE AUSSI. Attentat à Arras : entre sidération et colère, des professeurs témoignent avant le retour en classe

Le professeur d’Histoire-Géographie redoute surtout que ses collègues et lui-même soient injustement accablés : "Si ça dérive vers un procès contre l'école en elle-même et contre les professeurs qui ne feraient ‘plus assez ceci ou plus assez’, le malentendu entre nous et le reste de la société sera complet. On passera alors de la nausée, qui nous a pris tous face à la mort de notre collègue, au dégoût : être à la fois exposé, et en même temps accusé de toutes les défaillances ou de tous les maux de la société. Et ça, ça serait lourd à porter."

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