Comment parler à son adolescent de l'acte terroriste qui vient de se produire à Arras, vendredi 13 octobre ? La question n'est pas évidente, et mérite de prendre du temps. Nous avons posé la question à un pédopsychiatre pour pouvoir trouver les bons mots et évoquer ce drame, dans le cadre familial.
Dominique Bernard, professeur de lettres d'un lycée d'Arras (Pas-de-Calais) a été assassiné le 13 octobre dernier, au cours d'une attaque terroriste. Il s'était interposé avec plusieurs de ses collègues contre l'assaillant, pour protéger les élèves et membres du personnel.
Trois jours après cet acte terroriste, l'émotion reste vive, y compris chez les jeunes. Cette anxiété se renforce davantage à l'approche de la commémoration des 3 ans de l'assassinat de Samuel Paty, professeur tué à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), mais aussi des événements en cours en Israël et à Gaza.
La succession de ces informations anxiogènes peut déjà poser des problèmes pour les adultes. Pour les adolescents, cela peut être encore plus dur. France 3 Champagne-Ardenne a interrogé le docteur Thierry Delcourt, pédopsychiatre à Reims (Marne), pour pouvoir aborder ce qui vient de se produire.
Comment les préadolescents et les adolescents appréhendent un tel drame ?
Dr Thierry Delcourt : C'est vraiment variable. Il n'y a pas un modèle unique d'adolescent. La plupart sont choqués, traumatisés par la mort de ce professeur, mais aussi par la sphère d'insécurité de l'école. D'un autre côté, il y a toujours une petite partie des adolescents, très peu heureusement, qui se réjouissent de choses comme ça, car ils sont dans leur communauté. Dans cet âge-là, on est vite dans une radicalité, ce qui ne veut pas dire radicalisation.
La radicalisation signifie que l'adolescent est déjà dans cette mouvance, avec d'autres ou leurs parents. D'autres sont en recherche de radicalité, pour affirmer leur identité et trouver leur style, surtout que l'on est à un âge où on est dans l'opposition à l'autorité et donc aux professeurs. Je redoute qu'au moment de la minute de silence, un préadolescent ou adolescent qui est dans la provocation, dise n'importe quoi. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne souffre pas.
Comme il est dans une injonction à être dans le respect, il va manifester une opposition et se retrouver dans une situation compliquée à cause de ça. C'est ce qui s'est passé pour un adolescent que je suivais, qui a clamé 'Je n’en ai rien à foutre de Samuel Paty', au moment de la minute de silence. Il n'est ni islamiste, ni extrémiste : c'est même un gentil garçon, mais qui se met dans une situation dramatique, car il va être accusé et qu'il risque de créer un effet "boule de neige" (NDLR : que d'autres reproduisent ce même comportement).
Comment peut-on parler de cet attentat dans un lycée, à son adolescent ?
Dr Thierry Delcourt : C'est compliqué, mais la première chose est de ne pas évacuer cette question, surtout pour les 10-14 ans. Ce sont les préados, et ils sont à un âge charnière. Se dire "Il est trop petit, il ne faut pas en parler avec lui", n'est justement pas la bonne attitude. L'idée est plutôt d'arriver à leur poser doucement la question 'Comment tu ressens cela ?'
La deuxième étape consiste à vraiment les écouter. Y compris lorsqu'ils peuvent dire des choses que l'on peut considérer comme gênantes. Puis la dernière étape, c'est de cadrer la dimension civique. Leur faire respecter les autres, la laïcité, la fraternité, et avoir de l'empathie. C'est très important : pas simplement pour les autres élèves, mais aussi pour tous ceux qui souffrent ce moment.
Cette discussion que l'on peut avoir aujourd'hui, il faudra la reprendre quelque temps après : quand l'émotion est retombée et qu'il ne faut pas oublier. Au risque sinon que les élèves peuvent constituer un traumatisme. C'est même, d'ailleurs, un des motifs, qui n'est pas rare, de la "phobie scolaire".
Malgré l'écoute, mon adolescent reste encore perturbé : que faire ?
Dr Thierry Delcourt : Qu'il s'agisse de l'état de peur ou de la provocation, il ne faut pas hésiter à aller consulter un psychologue ou un pédopsychiatre. Que ce soit parce que la provocation se poursuit et que l'enfant ne montre aucune empathie, ou parce que la peur s'installe. Les premiers signes peuvent être les insomnies, les cauchemars ou encore la peur d'aller à l'école : le "mal de ventre avant d'y aller". Le second signe, c'est le blocage, la "phobie scolaire", ou l'enfant se sent en permanence angoissé.