Il porte depuis 2013 le combat médiatique et judiciaire en faveur de l'arrêt des traitements de Vincent Lambert, son oncle de seulement quatre ans son ainé. Rencontre avec François Lambert, devenu malgré lui le neveu le plus célèbre de France.
Des cernes sous les yeux et une barbe de trois jours. A 38 ans, dont six passés entre les juridictions et les salles de rédaction, François Lambert est marqué. Sur son visage, bien qu'il s'en défende, une fatigue évidente, impressionnante. Les traces du combat de sa vie, pour la mort de son oncle.
Pourtant, rien ne prédestinait cet élève-avocat, passionné d'audiovisuel et auteur de plusieurs courts et longs-métrages restés confidentiels, à revêtir un jour la célèbre robe noire. Rien. Sauf l'affaire Vincent Lambert. Un engagement, presque une obsession. Quelle qu'en soit l'issue, la trajectoire de son oncle l'a d'ores et déjà façonné, lui, le neveu.
Tout commence en mai 2013. Vincent Lambert est depuis presque cinq ans en état de conscience minimale à suite d'un accident de la route. Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ordonne la reprise de ses traitements, stoppés par le CHU dans le cadre d'un protocole de fin de vie. Un coup. Le premier d'une longue série pour François Lambert et tous les membres de la famille favorables à cet arrêt, dont sa mère Marie-Geneviève, la demi-sœur de Vincent. Pour François, c'est le déclic :
J'ai peut-être surréagi mais tout le monde était tétanisé… En tant que neveu, je n'étais pas directement concerné mais c'était impossible de rester passif et de laisser les parents de Vincent, mon grand-père Pierre et sa femme Viviane, s'épancher dans les médias en racontant des contre-vérités.
- François Lambert, neveu de Vincent Lambert.
Dans la foulée, il contre-attaque, multiplie les mails et les coups de fil aux journalistes, puis débute ses études de droit par correspondance, à 32 ans. En 2017, il décroche le barreau à Paris.
François Lambert, cerclé de vert, sur cet arbre généalogique, est favorable à l'arrêt des traitements de son oncle, Vincent.
Rock indépendant et humour noir
Car pour François, fils unique, Vincent Lambert n’est pas qu'un oncle parmi d'autres dans cette immense famille, marquée par sa proximité avec la Fraternité Saint-Pie X, une mouvance catholique intégriste excommuniée par le Vatican dans les années 1970. Séparés de seulement quatre ans, très tôt, les deux hommes vont se rapprocher. Chacun à leur manière, en retenue pour Vincent, frontalement pour François, ils prennent leur distance avec cet environnement familial.
Quand j'étais petit, j'étais plus proche de Joseph, le petit frère de Vincent, mon autre oncle qui lui n'a qu'un an de moins que moi. Mais à l'adolescence et plus tard, on s'est découvert avec Vincent un goût commun pour le rock indépendant et le même humour noir, désabusé. Je passais un peu pour le rebel. Vincent, lui, était tout en contrôle, tout en apparence… Mais on avait la même lucidité sur notre famille. A la fin des repas, on finissait toujours ensemble, à rire des convives et de leur dogme religieux.
- François Lambert, neveu de Vincent Lambert.
Exception au sein de sa famille, François, aujourd'hui athée mais baptisé et élevé dans la religion jusqu'à sa confirmation, passe son enfance à Paris, partiellement dans des établissements scolaires privés "classiques". Vincent, lui, est éduqué dans le sud de la France dans des pensionnats de la Fraternité, des établissements hors contrat où trônent parfois des photos du maréchal Pétain à l'entrée des classes.
"Par rapport à la religion, Vincent avait envie mais n'arrivait plus à y croire, explique François. Sans doute à cause des abus sexuels dont il fut victime durant sa scolarité de la part d'un prêtre, chef scout, couvert par sa hiérarchie et finalement muté dans un autre pensionnat, en toute discrétion. Vincent respectait les traditions, le baptême de sa fille, née deux mois avant son accident. Mais avant de se marier dans une église 'normale', il s'est pacsé avec Rachel. Une manière de montrer qu'il avait tourné la page de la Fraternité…"
Le silence plus apaisant que les mots
François devient vite fasciné par cet oncle pudique et renfermé, ébahi notamment par son apparente indépendance vis-à-vis de ses parents, Pierre et Viviane, et qu'il lui envie. "Au début, c'était comme un fantôme pour moi. Il était tellement autonome et solitaire. Et j'ai compris un jour que c'était mon grand-père et sa femme qui avaient maintenu Vincent, consciemment ou pas, dans un état de fragilité permanent. Ses parents étaient tous les deux mariés chacun de leur côté lors de sa naissance…Vincent leur a toujours rappelé leur 'péché originel' et leur adultère."
Les années passent. Et bien que n'habitant pas dans la même ville, François et son oncle ne se perdent pas de vue. Après son baccalauréat, accompagné de Joseph, François part un an et demi à Londres pour travailler, notamment à l'accueil d'un hôpital privé. Vincent vient les voir quelques jours. Le taiseux, d'ordinaire casanier, laisse libre cours à son sens de la fête et à son goût pour l'alcool. Les soirées dans les pubs finissent parfois en bagarre avec des clients ou des videurs. "Par moments, toute la violence qu'il avait étouffée et cachée en lui explosait, mais toujours de manière très 'cadrée'", précise François.
Devenu étudiant-infirmier, tout comme sa future épouse Rachel, Vincent réalise un jour un stage dans un service de réanimation. Sa première confrontation avec la problématique de la fin de vie. Dans son appréciation de stage, les médecins critiquent son manque de dialogue avec les patients réanimés. "C'est juste que pour Vincent, ils étaient déjà partis, explique François. Je sais qu'il en avait clairement parlé à Rachel et Joseph. Un jour il m'a dit que sa hantise était de finir comme un 'légume'."
"Je sortais épuisé de ces visites"
Pourquoi n'a-t-il pas formulé de directives anticipées, prévues par la loi Léonetti, afin d'exprimer sa volonté s'il devait un jour se retrouver dans pareil cas de figure ? A l'époque, très peu de gens connaissent ces directives et la démarche reste marginale. "Et puis ce n'est pas quelqu'un de l'écrit. Ce n'était pas son truc de faire des choses officielles comme cela", explique François.
Fin 2008, après l'accident de son oncle, François vient le voir chaque semaine dans sa chambre d'hôpital. "Je n'arrêtais pas de lui parler pour essayer de le stimuler, et bien sûr j'essayais d'interpréter la moindre de ses réactions. Je sortais épuisé de ces visites. Aujourd'hui, même si ça reste douloureux à chaque fois, je ne vais plus le voir que tous les trois mois et je ne parle plus. Juste 'bonjour' et 'au revoir'. Et un long silence, beaucoup plus apaisant. Quelques fois, poursuit-il, je lui fais écouter de la musique, du rock indépendant, le groupe Archive. Des compilations qu'on écoutait tous les deux avant." Même si le visage est plus gonflé et que le corps s'est amaigri, physiquement, Vincent n'a pas tellement changé en bientôt onze ans d'hospitalisation.
S'il avait une conscience, il se demanderait sûrement pourquoi je m'investis autant pour lui. Je lui ai expliqué un jour que je ferai de mon mieux, avec ma méthode.
- François Lambert, neveu de Vincent Lambert.
Canaliser ses émotions
Une méthode faite d'obstination judiciaire que François Lambert applique au quotidien chez son avocat rémois Gérard Chemla. Un ténor dont il est aussi devenu pour six mois le stagiaire avec une répartition des rôles bien précise. A François la rédaction des mémoires avant chaque audience. A son avocat la relecture, indispensable. "C'est salutaire. Je peux parfois manquer de recul, mais j'espère canaliser au maximum mes émotions et me concentrer sur le juridique", confesse-t-il. "C'est mon client avant d'être mon stagiaire, précise Gérard Chemla. Un très bon technicien, opiniâtre et doté d'une très grande capacité de travail."
Un combat juridique qui lui a valu plusieurs coups de fils anonymes et le piratage de sa boîte mail. Mais jamais de menace de mort. "J'essaye de tirer le positif de cette affaire, analyse François Lambert. J'ai vaincu ma timidité à force de côtoyer les médias. Je crois assez à la résilience."
Côté financier, actuellement résident dans un logement social à Reims où il s'est installé, François bénéficie de l'aide juridictionnelle. Pas de quoi lutter sur ce plan avec les parents de Vincent Lambert, soutenus tous les ans à hauteur de 100.000 euros par la fondation Jérôme-Lejeune, une fondation ouvertement anti-IVG et hostile à l'euthanasie. "Ça a été un réel effort pour François de venir à Reims et de quitter Paris. J'aime beaucoup les gens qui ont des parcours atypiques", reconnaît Gérard Chemla, qui n'exclut pas de prolonger leur collaboration au sein de son cabinet à l'issue du stage.
S'il n'a jamais été démarché par des partis politiques, François Lambert s'est vu proposé le soutien de l'ADMD, l'association pour le droit de mourir dans la dignité. Portée par l'ancien homme politique Jean-Luc Romero, elle milite en faveur de l'euthanasie.
J'ai de bons contacts avec eux mais je veux rester indépendant et j'ai refusé leur aide. Je ne suis pas d'accord à 100 % avec leur position. Ils prônent une liberté totale dans l'euthanasie, sans suffisamment de garde fous à mon sens.
- François Lambert, neveu de Vincent Lambert.
Avec Rachel, l'épouse de Vincent Lambert, partisane comme lui d'un arrêt des traitements mais volontairement absente des médias, les rapports sont bons mais quasi inexistants. Bien que partageant le même combat, François et Rachel ne se rencontrent qu'au détour d'une visite commune au CHU de Reims. "Je ne sais pas où elle habite avec ma petite cousine. Je pense que Rachel a voulu couper tous les ponts avec la famille Lambert au sens large pour protéger sa fille. Et donc avec moi. Mais on a toujours beaucoup de plaisir à se revoir."
Pour la première fois depuis la décision surprise de la Cour d'Appel de Paris, le 20 mai dernier, ordonnant la reprise des traitements, leurs avocats respectifs se sont contactés pour travailler ensemble.
Avec les parents de Vincent Lambert, François a un temps correspondu par mail. Aujourd'hui, toute tentative de reprise de dialogue serait vaine à ses yeux. Son grand-père et Viviane Lambert, sa "belle grand-mère" comme il l'évoque dans un demi-sourire, "vivent en vase clos, persuadés que le monde extérieur est dangereux". Il poursuit : "Viviane est dans une jouissance perpétuelle d'apparaître face aux médias et de passer pour une mère modèle alors que pendant des années, elle ne venait que trois-quatre fois par an voir Vincent à l'hôpital."
Avec son grand-père Pierre, le père de Vincent, plus le moindre contact là encore. Mais une relation particulière, au-delà des simples liens de sang. C'est lui qui met au monde François et supervise l'accouchement de sa propre fille. Lui, le gynécologue. Il propose même à la mère de François, en conflit avec son conjoint, de reconnaître celui-ci comme son propre fils. Sans succès.
Dans sa tête, je pense qu'il me considère toujours un peu comme son septième enfant. Mais il n'a jamais su aimer sainement ses enfants. C'est quelqu'un qui est dans un chantage affectif constant et qui se présente comme faible et dépassé, ce qui est bien sûr faux.
-François Lambert, neveu de Vincent Lambert.
Le TGV du 24 juin
L'affaire Lambert connaîtra-t-elle un jour son épilogue ? François, lui, en est persuadé. Et dans un avenir proche. Médiatique et juridique, le combat s'est déplacé plus que jamais sur le plan politique avec le pourvoi en cassation du gouvernement afin d'annuler la décision de la Cour d'appel de Paris suspendant l'arrêt des traitements. Une décision sadique selon lui, prise par "trois juges idéologues et pro-vie". "Emmanuel Macron a plus de courage politique que François Hollande en 2015 avec la loi Claeys-Léonetti, un compromis qui n'a pas réglé la question, regrette-t-il. Et je pense que le président est plutôt libéral sur cette question de la fin de vie."
Aucune place au doute, selon François, la cour de cassation ne pourra que casser sans renvoi l'arrêt de la cour d'appel, autorisant de fait à nouveau l'arrêt des traitements. "Mon grand-père et Viviane continueront jusqu'au bout leurs pressions et leurs recours mais je suis optimiste… L'interprétation juridique de la cour d'appel est tellement erronée", soupire-t-il.
Optimiste pour le départ de Vincent, beaucoup moins sur la question de la fin de vie et sa réponse. "On va chercher à mettre la poussière sous le tapis, une fois l'affaire terminée. Peut-être y aura t-il une nouvelle loi, peut-être pas... Mais je crains le statu quo qui permettra une autre affaire Lambert dans le futur." Un jour, comme Rachel et Viviane avant lui, François Lambert écrira un livre pour expliquer le vide juridique qui a fait de son oncle le symbole d'une des plus délicates questions de société. En attendant, il ne pense qu'au 24 juin, où il prendra le TGV, direction le Palais de Justice de Paris pour l'audience de la cour de cassation. "Un dernier voyage", espère-t-il.
François Lambert en cinq dates
- 1981 : naissance à Châteauroux.- 2001 : il travaille un an à Londres, où ses deux oncles, Vincent et Joseph, viennent lui rendre visite.
- 2008 : il apprend l'accident de Vincent.
- 2013 : il entame des études de droit.
- 2017 : il décroche le barreau de Paris.