Cinq journalistes du Bondy Blog ont passé trois jours en résidence dans le quartier Croix Rouge de Reims. Du 9 au 11 juin, ils ont enchaîné les reportages pour raconter le quotidien des habitants de ce quartier populaire de Reims.
Elle monte l’escalier d’un pas assuré. “Je voulais passer chez un ami avant mais il n’était pas là. Donc je suis venue directement. Mais je suis un peu stressée”, confie Monique Collard, 69 ans. Cette habitante du quartier Croix du Sud à Reims a rendez-vous avec Latifa Oulkhouir, directrice du Bondy Blog, média en ligne spécialisé dans la couverture des banlieues. La rédaction est basée en Seine-Saint-Denis mais pendant trois jours, cinq de ses journalistes ont posé leurs valises à la Boussole, un espace culturel en plein coeur de Croix Rouge.
“L’idée, c’est de raconter l’histoire du quartier. Et on m’a dit que vous y viviez depuis 43 ans”, explique Latifa Oulkhouir à son interlocutrice du jour. Rapidement, les souvenirs refont surface. Monique Collard est arrivée en 1978 à Croix du Sud. “Je m’en souviens bien, c’est l’année où Claude François est mort, confie-t-elle, amusée. En fait, avec mon mari, au début, on a habité quelques années dans le centre de Reims, près de la Place Luton, c’était bien. Mais on a été obligés de déménager ici et au début, ça ne m’a pas plu du tout !”
“De la violence, il y en a partout !”
La sexagénaire est née et a grandi à Rosnay, un petit village à une quinzaine de kilomètres de Reims. Lorsqu’elle emménage dans son logement HLM, c’est le choc. “J’avais pas connu grand chose à part la campagne. On était au cinquième étage, ça me faisait peur, j’osais même pas regarder par la fenêtre !”, se remémore-t-elle. “Et aujourd’hui, vous n’aimez toujours pas vivre ici ?”, poursuit Latifa Oulkhouir. La réponse ne se fait pas attendre.
Mon quartier, c’est ma vie ! Pour rien au monde je ne le quitterais !
Pendant une heure, les questions s’enchaînent. La journaliste prend quelques notes, jette parfois un œil à son dictaphone mais surtout, elle écoute. Les bons et les mauvais moments, la nostalgie de la fête foraine qui n’a plus lieu, les enfants qu’on laissait jouer sans s’inquiéter au pied des barres d’immeubles. Et puis il y a l’âme du quartier. Si difficile à décrire, à saisir, mais trop souvent déformée. “On ne parle de nous que quand il se passe un événement tragique. Je ne comprends pas pourquoi on nous a catalogués, s’étonne Monique Collard. De la violence, il y en a partout. Par exemple, l’adolescent qui s’est fait poignarder à Reims la semaine dernière, c’était en plein centre-ville !”
Aller au-delà des problèmes d'ascenseur
Ces trois jours, les journalistes du Bondy Blog les passent avec les mêmes objectifs : prendre le temps d’échanger, s’intéresser à l’humain sans s’enfermer dans des préjugés. La plupart d’entre eux ne connaissaient pas le quartier Croix Rouge avant cette immersion. “Que ce soit ici ou dans une autre banlieue, on retrouve presque toujours les mêmes dynamiques sociétales. Ce qui change, ce sont les gens. Ce qui nous intéresse, ce sont les petites histoires derrière ces problématiques. Là, le récit de Monique par exemple nous raconte l’ambition des quartiers au départ, dans les années 1970”, analyse la directrice du média en ligne.
Anissa Rami, une autre journaliste de l’équipe acquiesce : “C’est vrai qu’on retrouve les mêmes problèmes comme les ascenseurs qui ne marchent pas par exemple. Ou des histoires de violence. Mais il faut aller au-delà.” Un événement est revenu régulièrement au gré de leurs interviews : l’agression du photojournaliste Christian Lantenois en mars dernier.
“Beaucoup de gens nous en ont parlé. Cela a choqué de nombreux habitants bien sûr. Mais ils ont aussi eu le sentiment que cela n’a pas toujours été bien traité, que cela a entaché encore davantage l’image du quartier”, détaille la journaliste de 25 ans. Alors avec sa collègue Amina Lahmar, elles préparent un article sur le sujet. “Au départ, on ne savait pas comment bien en parler, donc on a décidé de se concentrer sur la parole des habitants. On va retourner voir ceux que l’on a croisés pendant ces trois jours pour collecter une série de témoignages et les retranscrire.”
“Si tu les respectes et que tu les écoutes, alors ça marche”
Au fond de la pièce qui leur sert de salle de rédaction, Margaux Dzuilka, elle, finit son article. Là encore, l’ingrédient principal reste le même : le temps. “J’ai suivi Hamidou N’Diaye, l’un des deux éducateurs spécialisés du quartier sur l’une de ses tournées. J’y ai passé trois heures, mais j’aurais pu y rester une semaine”, s’enthousiasme-t-elle. Son terrain de reportage : les lieux de retrouvailles des jeunes du quartier. En tout, elle parcourt 100 mètres, entre “le coin des 20-30 ans, à côté du Carrefour et celui des 16-18 ans, de l’autre côté de la rue.”
Au départ, les échanges sont un peu froids, hésitants, mais très vite, la glace se brise. “Si tu les respectes et que les écoutes, alors ça marche. Par exemple, moi, je ne m’en sortais pas entre ma prise de notes et mes photos. Alors je leur ai confié mon appareil. Et ils se sont pris au jeu. Ils se sont photographiés entre eux et ils ont même documenté leur quartier en faisant des clichés des bâtiments”, raconte la journaliste.
Même bilan positif du côté d’Hamidou N’Diaye, l’éducateur : “A Croix Rouge, il faut recréer un dialogue entre les jeunes et les journalistes parce que là, les gamins pensent presque tous que les médias vont mal parler d’eux.” Et c’est peut-être lui qui résume le mieux la portée de ces trois jours d’immersion. “Après une expérience comme celle-ci, j’espère une chose : que les prochains échanges avec les journalistes soient encore plus faciles !”