Corinne Langlois a reçu des coups de couteau en 2017. Il se trouve que son agresseur est l'assassin présumé de Carène Mezino, l'infirmière tuée et poignardée au CHU de Reims. Comment a-t-elle vécu les événements de ces derniers jours ? Comment se reconstruit-elle ? Voici son témoignage.
Le souvenir est indélébile. Aujourd’hui, Corinne Langlois n’habite plus dans la Marne, elle s’est installée en Haute-Saône pour « tenter de commencer une nouvelle vie. » Mais elle ne pourra jamais oublier ce 21 juin 2017. Il était 18 heures quand son agresseur s’est jeté sur elle et sa collègue. « Ma vie a basculé ce jour-là » explique-t-elle. Tout est remonté à la surface quand elle a compris que quasiment 6 ans après, l’homme qui l’avait poignardée était le même que celui qui a retiré la vie à cette infirmière du CHU de Reims.
« Je me suis persuadée qu’elle allait s’en sortir. Elle ne pouvait pas mourir. Puis, j’ai reçu de nombreux sms de la part de mes anciens collègues dans la journée de mardi. Certains, je n’avais plus eu de nouvelles d'eux depuis plusieurs années. Ils m’apportaient leur soutien dans leurs messages. C’est alors que j’ai compris, et j’ai vraiment réalisé quand j’ai lu dans un article de presse le témoignage du maire de Meix-Tiercelin sur l’agression de l’époque. »
En 2017, Corinne Langlois travaillait dans cette petite commune de la Marne. Elle était l’une des chefs de service de l’Etablissement et Service d’Aide par le travail (Esat). « Ma collègue et moi rentrions de formation et dans le couloir, il s’est jeté sur nous. J’ai reçu deux coups dans le ventre et un dans le dos. J’ai pensé qu’il s’agissait de coups de poing. » Mais quand elle est allée chercher les secours, elle a vu ses mains, « pleines de sang ». « Il y avait du sang partout, je venais d’être poignardée … »
Un vrai choc. Corinne ne s’en est jamais remise. Trois autres de ses collègues ont été également blessés. Elle a été héliportée au CHU de Reims pour être opérée. Une opération lourde. Il y en a même eu plusieurs. « En 2019, on m’a posé un filet à la suite de l'éventration due au coup de couteau. Mon intestin est également abîmé». En septembre 2021, la médecine du travail l'a jugée inapte. "À chaque fois que je retrouvais un travail, je devais m’arrêter; j’ai alterné ces périodes de reprises et d’arrêts."
La culpabilisation d’être en vie
Comment se reconstruire quand on a subi une agression aussi effroyable? C’est toute la question. Et visiblement Corinne n’y arrive pas. « J’y pense tout le temps, je suis en hyper vigilance, j’ai peur de me faire tuer. C’est ma hantise. » Surtout, à chaque fois qu’elle voit dans les médias une affaire qui ressemble à la sienne, elle « culpabilise d’être en vie ».
« Je n’arrive pas à me reconstruire, à chaque fois que quelqu’un meurt ou est agressé, cela me replonge dans mes démons. Je passe mes journées allongée, je n’ai plus le goût de sortir, ni de rencontrer des gens », ajoute-t-elle.
Et surtout depuis 2017, elle attend que justice soit faite. « Oui, j’ai de la douleur parce que c’est long, c’est lent. Malheureusement, il n’y aura vraisemblablement jamais de procès. C’est ce qui me met en colère. Et parce qu’on a donné à cet homme la possibilité de recommencer. »
Le plus dur, c’est la culpabilisation. Cette impression, si pesante, que tout est de sa faute. «Carène serait peut-être encore en vie, si j’étais allée au bout du combat. Je voulais une expertise psychiatrique supplémentaire. J’aurais dû insister.»
Avant, Corinne Langlois travaillait dans le domaine de l’insertion au travail. Tout se passait bien et son évolution professionnelle l’a menée dans cet Esat de la Marne. Avec le recul, elle se rend compte qu’elle n’a pas été formée. «Je ne connaissais pas les gens psychotiques, je ne savais pas comment me comporter. On m’a juste dit de ne jamais me retrouver devant eux et d’éviter les coins sombres. Je ne comprends pas : il avait arrêté son traitement depuis un mois. Personne ne s’en était rendu compte. Pourquoi ? Comment est-ce possible ?»
"Pas contre les malades mais contre le système"
Vient alors le problème de la psychiatrie. Corinne évoque le manque de moyens que tous les spécialistes et les médecins dénoncent. « Je ne vocifère pas contre les malades mais contre le système. » La prise en charge. Leurs conditions de vie. Leur suivi. La prise des médicaments. Autant de questions auxquelles il faudra bien donner des réponses.
Les mots de l'équipe de psychiatrie et de sa direction, juste après l'attaque qu'elle et ses collègues ont subie, résonnent encore dans sa tête : "Cela ne devait pas arriver, mais c'est arrivé. Vous faites partie d'un faible pourcentage de personnes agressées par les schizophrènes. Généralement, ils se font du mal eux-mêmes ou leur famille proche. Nous ne sommes pas un pourcentage mais des êtres humains qui souffrent ou qui meurent et qui vivrons avec ce traumatisme toute notre vie."
Mais s’il y a une chose que Corinne Langlois ne veut pas oublier, c’est d’apporter son soutien à la famille, au mari, aux enfants, aux collègues et à tous les proches de Carène Mezino ainsi qu'à la secrétaire médicale blessée lors de l'attaque. « J’aimerais même les contacter. » Avant de finir cet entretien par cette demande : « n’oubliez pas d’écrire que j’ai également une pensée pour la mère de l’assassin présumé … » L’empathie comme thérapie.