Témoignage. Covid-19 : David De Arujo, cadre infirmier en réanimation raconte ces 18 mois dans son service

Publié le Mis à jour le Écrit par Rachida Bettioui

David De Araujo, cadre infirmier en réanimation, travaille à la Polyclinique Reims-Bezannes. Il raconte ces 18 derniers mois. Tout ce qui fait son quotidien, comme celui des équipes soignantes. Il témoigne avec quelques-uns de ses collègues.

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David De Araujo a 36 ans. Cadre infirmier en réanimation à la Polyclinique Reims-Bezannes, ces 15 derniers mois resteront marqués dans sa mémoire, aussi bien d'un point de vue professionnel que personnel. "La première vague a particulièrement épuisé les équipes, avance-t-il. Les vagues suivantes ont apporté une fatigue et une lassitude, qui ont parfois miné le moral, même si dans l'ensemble, nous sommes une équipe professionnelle très unie en réanimation." 

David obtient son diplôme d'infirmier en réanimation en novembre 2009. Natif de l'Aisne, il fait ses études à l'école d'infirmier à Reims. Une fois son diplôme obtenu et un stage de deux mois à la clinique de Saint-André à Reims, il choisit la réanimation. C'est le stage qui l'a le plus marqué. "J'ai adoré évoluer avec ce personnel et j'ai beaucoup aimé la relation que les soignants de ce service entretenaient avec leurs patients, se remémore David. S'occuper des patients, leur parler malgré le fait qu'ils ne peuvent pas nous répondre, être à l'écoute des proches aussi." Depuis, l'Axonnais évolue au sein de ce service. Il connaît le déménagement de la polyclinique à Bezannes et encadre 18 infirmiers en réanimation,18 en unité de soins continus, ainsi que 18 aides-soignantes dont 8 en réanimation et 10 en unité de soins continus. 

 

Des plannings chamboulés 


Outre les patients, en tant que chef d'équipe, David doit également gérer son personnel. Et particulièrement leur planning. "Une tâche parfois difficile", reconnaît-il. Surtout durant la première vague. "Je me suis un peu arraché les cheveux par moment pour faire en sorte que le suivi des patients puisse se faire dans les bonnes conditions", se rappelle le cadre hospitalier. "Tous les plannings ont été chamboulés", admet de son côté Artus De Saint-Pern, le directeur de la polyclinique Reims-Bezannes. Pendant la période, les besoins d'effectifs sont revus à la hausse. "Les ratios soignant/patient étaient plus important en période de crise. Il fallait une infirmière pour deux patients contre une infirmière pour 2,5 en service de réanimation normal, détaille le directeur. En hospitalisation, c’est une infirmière pour dix patients", rappelle-t-il. Un besoin qui a pesé sur les équipes.

Et ce, sans compter les arrêts maladie. Car les soignants eux-mêmes n'ont pas été épargnés par la crise, diagnostiqués comme cas contacts. "Nous avons travaillé soudés. Que ce soit avec les médecins réanimateurs, les infirmiers, les aides-soignantes, mais aussi le personnel administratif", précise David De Aurjo. "Nous avons eu effectivement plus d'arrêts liés à la covid et aux cas contacts, auquel il fallait rajouter l'absentéisme ordinaire, explique le directeur. C'est surtout à la 2ème et à la 3ème vague que toutes nos équipes ont été touchées." 

 

C'est une usure naturelle, un épuisement professionnel car il est difficile de tenir psychologiquement et physiquement au bout de 18 mois.

Artus De Saint-Pern, le directeur de la polyclinique Reims-Bezannes

Mais le directeur tient à souligner l'effort de tous : "Ils ont été exceptionnels, volontaires. À la première vague, il est vrai que nos équipes se sont senties investies avec un élan de motivation. Mais au fur et à mesure, elles ont fatigué", reconnaît-il.

Cette crise a permis aux équipes d'avoir une réelle reconnaissance de la part du grand public et "cela les a énormément motivées et touchées" explique le directeur. "Par ailleurs, il était primordial, pour moi en tant que directeur, d’être présent sur le terrain pour motiver les troupes et de tout faire pour surmonter les difficultés. Il y a des sujets qu’on a travaillés en 24 heures, alors qu'en temps normal, on les travaille en deux mois." 

 

S'adapter en permanence dans l'urgence 

David a traversé la crise avec sa conjointe Perrine. Ensemble dans la vie comme au travail, ils ont vécu 24 h / 24, la crise sanitaire. Perrine est la gestionnaire des plannings dans le groupe Bezannes. "Elle a apporté un précieux renfort", souligne David. Pour Perrine, comme pour tout le personnel, la première vague a été intense. Au début, elle était en télétravail, mais très vite sa présence sur site est devenue indispensable. " Au début, c'était compliqué. Notre " grande " fille était en grande section maternelle et notre deuxième petite fille était encore à la crèche, alors être à la maison tout en travaillant et devant répondre à l'urgence de la situation sanitaire, il a fallu que je revienne, car c'était devenu très difficile à gérer " se souvient Perrine. Le couple se retrouve à déposer les deux fillettes sur deux sites de garderie différents Ville-Dommange pour la maternelle et Villers-aux-Nœuds pour la crèche. "Même s'il fallait se déplacer sur deux sites, l'avantage, c'est qu'on était serein ensuite pour travailler, car on savait que nos filles étaient très bien encadrées " reconnaît Perrine. 

"Nos petites filles l'ont bien vécu, même si elles ne voyaient pas beaucoup maman et papa. Elles ont pu bénéficier d'un mode de garde très rassurant. Parfois, elles n'étaient que toutes les deux en classes, mais elles connaissaient leurs encadrants." Perrine a un avantage de taille, elle est infirmière de formation. Elle a exercé huit ans en salle de surveillance post-interventionnelle. Aussi comprendre ses collègues infirmières, les accompagner dans leur planification chamboulée, tout en tenant compte de leur situation familiale, elle a su gérer. "J'ai arrête de m'occuper de la gestion des plannings de soins pour ne me consacrer qu'aux plannings des infirmiers, aides-soignants, para-médicaux des services de médecine, chirurgie, urgences et pole lourd" énumère-t-elle. "La première vague c'était l'inconnue, tout le monde voulait participer" se rappelle-t-elle.

 
Autre chance, le couple n'a pas été impacté par la fermeture des classes. Pour David, c'est surtout la première vague qui a épuisé les équipes. En revanche, la fatigue a pris le dessus sur l'engouement et il a été plus difficile de convaincre à nouveau les renforts des autres services durant la seconde vague. Un constat également fait par Justine et Claudia, toutes les deux infirmières en réanimation. "La première vague a été compliquée pour moi" reconnaît Justine. Maman de jeunes enfants, ses jours de repos n'en étaient pas vraiment. "Je sortais pour faire les courses, car je ne voulais pas que d'autres personnes prennent de risques et ensuite, je m'occupais de mes enfants, du coup la fatigue s'accumulait vite" admet-elle. Infirmière depuis 12 ans, elle n'avait pas encore vécu un rythme de travail aussi intense. Pour Claudia, ses enfants étant grands, elle n'avait pas le même souci, mais la fatigue s'est installée tout de même. "Cela fait 35 ans que je suis infirmière, mais il faut reconnaître que ces vagues successives nous ont tous touchés". 
 


Ceci étant, l'équipe reste en alerte. Même si 90 % du personnel est vacciné et que la population se vaccine de plus en plus. À la question d'une 4ème vague? "On n'espère pas, mais on fera le nécessaire comme toujours. Ce n'est pas au niveau organisationnel ou matériel que je suis inquiet, mais plus au niveau du moral du personnel, avoue David. Au début, les infirmières réa qui venaient des autres services, à savoir du bloc opératoire, des salles de réveil et les infirmières anesthésistes, étaient très motivées aujourd'hui elles sont un peu affectées. Elles aimeraient retrouver leurs univers de travail." 

Autre réalité que David souligne, c'est le caractère inédit et urgent de la situation. "Il a fallu s'adapter en permanence au flux des patients et des vagues. Nous n'avions pas le temps de former des infirmières en réanimation. Il faut au minimum 6 mois pour une formation. Chaque jour, nous nous adoptions", rappelle David. Les équipes font face à la surcharge de travail et tiennent le rythme. Une situation qui aura permis de montrer l'envers du décor. "Tous les ans, les tutelles ont réduit les moyens, cela a révélé des insuffisances et des manques", avance le directeur de la polyclinique.

"Au niveau des tutelles, il était temps de réinjecter des moyens financiers, mais aussi des moyens matériels et des effectifs", précise Artus De Saint-Pern. "Avec les moyens actuels, nous sommes tout de même parvenus à apporter une qualité des soins importante, mais par contre cela a clairement permis de déceler que nous sommes dépendants en approvisionnement de médicaments et de matériels d’autres pays comme la Chine et qu’à la fermeture des frontières, c’est devenu très compliqué", rappelle-t-il.

"On est piloté par des tutelles avec une marge de liberté relativement restreinte. Pendant la crise, les tutelles sont très peu intervenues pour nous guider et finalement, nous avons fait preuve d’une grande autonomie et d’une importante agilité. Les hôpitaux publics et privés ont aussi démontré une saine collaboration avec pour unique objectif de mettre en place un dispositif pour accueillir tous les patients et c'est le principe de notre mission", rappelle-t-il.

La réa, ça passe ou ça casse 

Durant la première vague, le cadre infirmier est contraint de reporter les congés de ses équipes. "Le rythme était soutenu et tout le monde a compris", précise David. Les soignants ont pu prendre leurs congés reportés après la fin de la première vague. Même si cela a permis de souder les équipes et les services entre eux. "Cela a permis de faire découvrir notre monde de la réanimation qui est plutôt un monde fermé. Notre service est le dernier maillon avant la fin", admet David. Ça passe ou ça casse." Et le cadre infirmier d'ajouter : "Quand on arrive dans notre service, les proches des patients en sont conscients." "Quand on prend son service, on reste à l'intérieur de l'unité, on suit les patients en permanence qui sont sous machine.  On ne peut pas se permettre de partir et revenir", souligne David.

"Nous avons demandé l'aide des infirmières formés à la réanimation des autres services uniquement sur la base du volontariat ", précise le directeur de la polyclinique. Nous avons organisé les équipes, de sorte à mettre ensemble des infirmières formés à la réanimation et des infirmières pas formés à cette spécialité rajoute le directeur. De sorte que celles qui n'étaient pas formées ne prenaient pas, des postes d'infirmières réa, mais des postes d'aides soignantes précise le directeur.

Les roulements des soignants sont intensifs donc il faut tenir confie David . Les plannings qu'il réalise sur 8 semaines alternent 2 journées de 12 heures suivies de 2 jours de repos et enchaînent 3 jours de journées de 12 h suivies de 3 jours de repos. David n'a jamais eu peur d'aller au travail. " Personne d'ailleurs n'a eu peur de venir travailler. La seule inquiétude était de ramener la covid au sein de leur foyer" explique David. Une inquiétude qu'il n'a jamais eue, car les mesures barrières comme leurs tenues de protections étaient optimales. Et cela est toujours d'actualité, car même si on aimerait que la crise soit derrière nous, nous restons en alerte. " Vous savez notre service est un peu le service qui est en bout de course ". Les situations d'urgences sont le quotidien de ce service. Même s'il a fallu tripler d'efforts parfois. " A un moment donné, nous sommes passés de 10 à 30 lits durant la première vague" se souvient David. Dans ce genre de situation, pas vraiment le temps de réfléchir, on fait. On a tous découvert une situation inédite enchaîne-t-il.

Justine comme Claudia ont attrapé la covid 19. La fatigue est toujours là. C'est le stress de la situation aussi qui a rajouté au moral.Claudia et Justine, comme toutes les infirmières et aides soignantes du service  de réanimation, ont accueilli, comme elles pouvaient les renforts des autres services. Mais elles devaient gérer leur travail et aussi surveiller ce que les nouvelles recrues faisaient. " Nous avons expliqué rapidement dans l'urgence ce qu'il fallait faire, car on était dans une ambiance de renfort, mais il y avait formation à faire importante " précise Justine. C'était aussi stressant, enchaîné Claudia, car on était responsable de nos patients et on devait être attentifs à passer après les renforts pour s'assurer que le protocole sanitaire soit très bien assuré.  Heureusement que les renforts venaient de service habitués aux situations d'urgence." La plupart venaient du bloc opératoire ou des salles de réveil donc la formation a vite été assimilée et elles ont été immédiatement opérationnelles " rajoutent Claudia et Justine. Pour le manque d'engouement de la part de certains soignants pour revenir en renfort pour la seconde vague, Claudia et Justine comprennent. " Notre monde est fermé et le protocole est strict. La fatigue et le stress, c'est ce que beaucoup ont retenu et elles avaient envie de retrouver leur service aussi ". 


 

Pour l'heure, le service de réanimation accueille ses patients habituels. Des patients de post opérations ou des patients qui ont eu un infarctus.  " " On retrouve notre quotidien de la réa pour nous  et on est plutôt soulagé " avoue David."Aujourd'hui, on respire enfin, il n'y a plus de cas covid chez nous et on espère que cela va durer ", espère-t-il. Le service commence à se remplir, mais plus par des cas de covid.


La réa, à bout de souffle

Le moral du personnel a également été affecté face au désarroi des proches. "Comme d'habitude, nous sommes à l'écoute et dans l'accompagnement des familles. Mais la première vague a été très difficile pour ces proches, car le protocole à l'époque était très strict et c'était vraiment difficile de devoir dire aux familles qu'elles ne pouvaient pas voir leurs proches ". Ensuite le protocole s'est allégé et "heureusement" reconnaît-il, "car pour les familles, c'est toujours très difficile de se retrouver dans notre service. En réa, on est en bout de chaîne pour un patient. Heureusement, nous n'avons pas eu beaucoup de pertes humaines " confie David.

Aujourd'hui, David aspire à partir en vacances. "C'est un peu loin, mais en août, on part au Portugal" se réjouit-il. Le Portugal est également frappé par la covid . David va retrouver une partie de sa famille. "Aujourd'hui, c'est calme  on va dire, un peu comme en France, toute ma famille est vaccinée mes parents surtout plus âgés " dit-il rassuré.  Durant la crise, les familles s'appelaient plus souvent que d'habitude." Ma petite sœur est infirmière aussi donc on était dans le même bateau " explique David. Pour l'heure, le service de réanimation accueille ses patients habituels.  David espère épouser sa conjointe l'année prochaine normalement.

Que racontera David à ses petits ou arrières les petits enfants qui liront cette pandémie dans leurs salles de classe ?  " J'avoue que je n'y ai pas réfléchi. Je dirais que d'un point de vue professionnel, c'était une expérience très enrichissante et qu'il faudrait que cela serve de leçon pour qu'on ne se retrouve pas dans les mêmes problématiques".

 

Une expérience unique

De cette situation, Claudia comme Justine retiendront une expérience unique et très enrichissante d'un point de vue professionnel. Un sentiment que partagent également Perrine et David. "C'est un bon souvenir entre guillemets bien sûr d'un point de vue professionnel, car on a vécu une situation inédite même si on est formé aux situations d'urgence. D'ailleurs pour la seconde vague, on était davantage préparé et nous le serions s'il le fallait à nouveau" avance Perrine. Un regret pour cette maman, celui d'avoir été absente pour sa grande fille qui s'est retrouvée à la sortie de la première vague, déconcertée, car la plupart de ses camarades de classe avaient appris à lire durant le confinement avec leurs parents. "Aujourd'hui, c'est oublié, mais c'est toujours difficile de s'entendre dire par son enfant, c'est parce qu'eux avaient leurs parents à la maison pour leur apprendre à lire. Maman et papa étaient là pour soigner et aider les gens voilà la seule réponse que j'ai pu lui donner. Une réponse qui est la simple et unique vérité." 
 

Personne au sein de son service ne veut penser à une prochaine vague, mais tous restent prudents. "Pour l'instant, on pense juste à retrouver notre rythme de travail avant cette crise sanitaire exceptionnelle. On ne veut pas trop penser à ce qu'il pourrait se passer après l'été" avoue David.  En effet, même si la baisse des indicateurs épidémique ces derniers jours permet de se relâcher, il ne faut pas tout abandonner. L'abandon du port du masque à l'extérieur risque d'ouvrir la porte à un relâchement général, pas forcément de bon augure selon certains épidémiologistes. La prudence reste de mise afin d'éviter une quatrième vague tant redoutée après l'été.
 

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