Témoignages. Violences faites aux femmes : "sans la maison des femmes, je n’en serai pas là"

Publié le Écrit par Isabelle ForboteauxMélanie Cousin et Isabelle Griffon

La maison des femmes de Reims est ouverte depuis juin 2021 et a accompagné 600 victimes de violences. Depuis le début de l’année 2022, c’est 300 femmes qui ont passé le pas de la porte. Victoire et Corinne (prénoms d'emprunt) ont osé le faire et sans cela, elles n’auraient pas porté plainte ni retrouver la force de s’en sortir.

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"Je vais vous proposer un rendez-vous en fonction de vos disponibilités, en sachant que la juriste est là le mardi matin et le jeudi matin ". Anais Carvenant, coordinatrice de la maison des femmes de Reims, accueille Corinne. Victime de violence de la part de son mari, elle ne va pas bien. En demande le divorce, elle ne comprend pas pourquoi la procédure est si longue et souhaite revoir la juriste de la maison des femmes. Un long dialogue se met en place entre les deux femmes. L’une confiant à l’autre ses angoisses et sa gratitude.

"Je vous remercie infiniment pour tout, dit Corinne, car sans vous… Que ce soit l’avocate ou la juriste, elles sont gentilles. Vous avez reçu déjà de bons conseils la dernière foi ? reprend Anaïs, la coordinatrice. Oui exactement. J’aimerais aussi recontacter la sophrologue, précise la victime. On a des ateliers toutes les deux semaines, le vendredi après-midi. Je vais pouvoir vous inscrire sur le prochain atelier. Et la psychologue, il y a déjà un rendez-vous pris ?  Oui, c’est à la fin du mois".

J’ai de la peine pour lui pour plein de raisons et je m’en veux aussi et en même temps, j’en ai marre, je me sens étouffée.

Corinne, victime de violences conjugales

Corinne, se tord les mains, tire sur les manches de son pull pour se dissimuler un peu plus. Ses émotions affleurent. Ce jour-là, elle a aussi décidé de témoigner auprès des journalistes de France 3, et elle est très nerveuse. "Je n’arrive toujours pas à comprendre que je suis victime, confie Corinne à la coordinatrice de la structure. C’est grâce à vous que je commence à réaliser. C’est normal, ça prend du temps, lui explique Anaïs. Vous allez voir la psychologue et ça va vous permettre de comprendre le mécanisme. Je suis perturbée parce qu’il ne me laisse pas tranquille. Il joue avec les sentiments et c’est terrible", dit encore Corinne.

Peur d’aller au commissariat

La discussion prend la forme de confidences importantes pour le suivi du dossier de Corinne. Anaïs prend alors des notes. 

"Et vous l’avez revu quand ? demande-t-elle. Ces jours-ci, deux fois il m’a accosté dehors. Je ne sais pas comment réagir. Il a même essayé de m’embrasser devant tout le monde. Je l’ai repoussé et il l’a fait quand même. Il dit qu’il est toujours amoureux de moi. Je crois que j’ai toujours des sentiments pour lui, mais je ne sais pas comment dire… c’est bizarre, j’ai de la peine pour lui pour plein de raisons et je m’en veux aussi et en même temps, j’en ai marre, je me sens étouffée".

L’important, ce sont ces mots prononcés. Corinne ose le dire. Elle se sent encore amoureuse de celui envers qui elle a demandé le divorce. Cette fameuse emprise, terribles sentiments de culpabilité. "Aujourd’hui si vous culpabilisez, explique Anaïs, c’est parce qu’il vous manipule dans ce sens. Vous avez pu déposer plainte et on attend que cela puisse donner des résultats pour vous protéger".

Je n’arrive pas à réaliser que je suis victime de viols. C’est difficile. J’ai honte.

Corinne, victime de violences conjugales

Lorsque Corinne se décide à agir, elle est terrorisée. La maison des femmes de Reims est là, comme un refuge. C’est grâce au personnel de la structure que cette femme victime de violences, depuis plusieurs années, va porter plainte. "Merci d’avoir fait venir les policiers à la maison des femmes, dit encore Corinne, parce que j’avais peur d’aller porter plainte au commissariat". "Dans les cas les plus traumatiques, on peut faire se déplacer les enquêteurs de la police, ici, explique la coordinatrice de la structure. Les dépôts de plaintes se font ainsi au sein de nos locaux à la maison de femmes".

 

Un message pour toutes les victimes

"Je n’arrive pas à réaliser que je suis victime, insiste encore Corinne lorsqu’elle répond aux questions des journalistes de France 3 Champagne-Ardenne. Ici, elles m’aident à le réaliser. Moi, j’ai porté plainte pour violences conjugales, et plus. Je n’ose pas parler de cela… que j’ai porté plainte pour viol conjugal. Je n’arrive pas à réaliser que je suis victime de viols. C’est difficile. J’ai honte. Et ici, à la maison de la femme, elles m’aident à comprendre que si, c’est bien un viol conjugal et que ce n’est pas bien ce qu’il a fait. Il ne fallait pas qu’il me force à faire des choses que je n’avais pas envie de faire".

Il croit que je lui appartiens pour toujours. Il est infernal et il me stresse, il m’étouffe, il m’angoisse. Je n’en peux plus et il faut que cela cesse.

Corinne, victime de violences

Silences et grands soupirs ponctuent le témoignage de Corinne. "Peu de temps après le mariage ça a commencé. Il m’a frappé violemment. Dès qu’il commençait à me prendre par les bras brutalement, à me tirer les cheveux ou à m’insulter, je me taisais, je ne répondais pas parce que je ne voulais pas qu’il me frappe comme cette fois-là. Je ne suis pas une femme soumise, ce n’est pas mon style, mais ce n’est pas une vie de s’écraser tout le temps pour éviter des coups.

Je lui ai demandé de partir, nous sommes séparés mais c’est compliqué, il ne me lâche pas. C’est pour cela que j’ai porté plainte, parce qu’il croit que je lui appartiens pour toujours. Il est infernal et il me stresse, il m’étouffe, il m’angoisse. Je n’en peux plus et il faut que cela cesse. Il faudra qu’il comprenne un jour que je ne suis pas sa propriété.

La maison de la femme nous aide, mais il faudrait que la justice bouge un peu plus. La police prend nos plaintes, mais après qu’est-ce qui se passe ? Je suis en instance de divorce depuis plusieurs années mais ça n’avance pas, je ne comprends pas pourquoi et c’est perturbant. Quand votre mari vous dit que vous lui appartenez jusqu’à la mort et que tant que je ne suis pas divorcée, je ne fais pas ce que je veux, c’est l’horreur. Tant que je n’aurai pas le jugement de divorce à lui mettre sous le nez, je ne serai pas tranquille…

Il y a quelque chose que je voudrais dire, aux jeunes filles, qui se font frapper par leurs conjoints. Il faut partir. Jamais il ne faut rester, parce qu’ils recommenceront toujours. Même si on est amoureuse, même si on a des sentiments forts, ce n’est pas un homme bien. Un homme bien, il ne frappe pas. Des hommes biens, il y en a, ils existent, il faut avoir la chance de tomber dessus. On ne frappe pas une femme. Il faut dire à toutes les jeunes filles, même les femmes de n’importe quel âge : vous avez un homme comme cela, quittez-le. Bien sûr, il faut se faire aider. Il y a une psychologue à la maison de la femme, c’est gratuit et il faut en profiter parce qu’elle va vous permettre de réaliser que vous êtes victime".

Du courage pour s’en sortir

"Si je n’avais pas eu la maison de la femme, je crois que je n’aurais pas porté plainte. Il ne faut pas rester avec quelqu’un de violent. Déjà pour soi-même, pour se sauver la vie. Et pour les autres. Il faut porter plainte aussi pour qu’il ne le fasse pas subir à quelqu’un d’autre après. Je ne pense pas qu’à moi, mais aussi aux prochaines victimes. Moi, je suis séparée depuis plusieurs années mais je le croise tout le temps. Il ne me frappe plus, mais il me menace, il me harcèle, me retient par le bras ou me tire les cheveux.

Mais de toute façon, il faut prendre son courage à deux mains. S’il doit arriver quelque chose, cela arrivera. Il faut avoir le courage de sortir, mais j’avoue avoir peur de le faire. Si je n’étais pas venue à la maison de la femme, je n’aurais sans doute pas vu la sortie du tunnel. Il faut agir avant qu’il ne soit trop tard. Il ne faut pas se laisser faire". Corinne est fatiguée par toute cette violence qui continue, mais elle a décidé d'aller au bout. De ne plus se laisser faire.

La maison des femmes de Reims est ouverte depuis juin 2021. C’est la première structure de ce style dans la région. Installée dans le quartier du Chemin Vert, elle a accueilli, depuis son ouverture, 600 femmes. "C’est vraiment un lieu unique de prise en charge des femmes et des enfants victimes, explique Anais Carvenant, coordinatrice. Ils peuvent y trouver un accompagnement social, juridique, psychologique. Cette maison a été initiée par l’association Le Mars". Depuis le 1er janvier 2022, environ 300 nouvelles personnes sont accompagnées.

Ce lieu unique rassemble l’ensemble des professionnels utiles à la prise en charge globale des victimes de violences. "Si certains rendez-vous étaient à l’extérieur, elles ne prendraient peut-être pas la peine d’y aller" explique Anaïs, ou aurait peut-être peur de s'y rendre. "C’est important d’avoir tous les rendez-vous dans un lieu où elles se sentent bien. La maison des femmes est ouverte en journée, mais on a une astreinte pour les femmes victimes de violence sur le secteur de Reims. Et on peut être appelé par le CHU ou les services de police pour les accompagner pour faire un dépôt de plainte, voir le médecin légiste ou être mis à l’abri le plus vite possible. L’astreinte est joignable de 18h à minuit la semaine et de 13h à minuit le week-end et jours fériés".

En dehors de ces horaires, le 3919 est le service violence femme info ouvert en permanence.

"Sans la maison des femmes, je n’en serai pas là"

Victoire a eu cette chance. Après d’énième coups reçus, elle est allée au CHU de Reims pour être soignée et faire constater ses blessures. Elle a été rejointe par la psychologue de la maison des femmes qui lui a proposé une mise à l’abri immédiate.

"Lors de la dernière agression, qui date d’il y a quelques mois, j’ai été placée tout de suite dans un appartement pour être protégée. Me mettre en sécurité, le temps que la personne soit mise en garde à vue. Sans elle, je crois que je serai repartie chez moi et les choses se seraient sans doute passées différemment".

Victoire est une femme battue depuis de longues années.

"J’ai subi des violences physiques et psychologiques. Il avait une grande emprise. Les violences physiques étaient très très fréquentes et m’ont amené au fur et à mesure du temps à avoir un nez cassé, des dents cassées, la mâchoire déplacée, un traumatisme crânien, un hématome crânien et le corps qui avait souvent beaucoup d’hématomes, de cocards. Je suis venue pour la première fois à la maison des femmes par l’intermédiaire de l’association le Mars, suite à des violences conjugales. On m’avait proposé d’y venir, pour discuter avec d’autres femmes. J’ai porté plainte plusieurs fois et je l’ai repris aussi". Son compagnon réussissait, à ce moment-là, à la récupérer en jouant avec ses sentiments, sa culpabilité.

En 2019, Victoire réussit à lever cette emprise et elle s’éloigne de lui. "A ce moment-là je reçois 800 sms et appels anonymes en trois semaines. Je porte plainte et là, les choses commencent à se décanter réellement. La police prend un peu plus au sérieux l’histoire et moi je comprends que je n’ai plus besoin d’avoir peur de lui, d’avoir peur qu’il se suicide. C’est terminé".

Victoire vient alors plus souvent à la maison des femmes. Elle s’y sent en sécurité. "J’ai enfin l’impression d’être comprise, on se sent très soutenues. Je participe au cours de sophrologie, à certains ateliers. Je continue encore à venir. Ça me donne de la force. Je me dis : c’est encore une étape de passée, de pouvoir m’exprimer. Et à chaque fois, on gagne en confiance en soi. On l’a tellement perdue. S’habiller le matin, ne plus être en jogging, reprendre soin de soi et des siens, ne plus avoir peur de sortir, retravailler et avoir des perspectives, des projets. Sans la maison des femmes, je n’en serai pas là".

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