Gérard Liger-Belair, enseignant-chercheur à l'Université de Reims, est à la tête d'un laboratoire dédié à l'étude des bulles dans les boissons gazeuses. Cet expert du pétillant nous livre les secrets de ses dernières découvertes. Une interview à lire avant de sabrer le champagne.
Depuis une dizaine d'années, Gérard Liger-Belair perce les secrets des bulles. Cet enseignant-chercheur à l'Université de Reims a créé un laboratoire dévolu à l'étude des bulles dans les boissons gazeuses, en particulier dans le champagne. Dans cet entretien, il nous parle de ses dernières découvertes et de toutes ces choses à savoir avant de déboucher une bouteille au réveillon.
Quelles sont vos dernières découvertes ?
Il y a une dizaine d'années, quand j'ai créé ce laboratoire, nous avons commencé par de la recherche fondamentale, avec la bulle comme objet de science, pour essayer de comprendre les phénomènes physico-chimique. Mais aujourd'hui nous nous sommes diversifiés. Nous cherchons à répondre aux questions que se posent les professionnels. Par exemple, sur la forme des verres ou sur le rôle du vieillissement d’un vin.
Alors quels verres faut-il privilégier ?
Concernant les verres, les formes ont vraiment évoluées ces dernières années. Dans les années 2000, le contenant phare, c’était la flûte longue et étroite. Le seul avantage de ce contenant, c'est l'aspect esthétique, avec des bulles qui remontent pendant longtemps. Mais d’un point de vue dégustation, ce n'est pas bon. Car cela favorise les très grosses bulles qui vont ramener beaucoup de gaz carbonique à la surface, ce qui en trop grande quantité, peut provoquer une piqûre carbonique. Comme lorsqu’on boit d’un Coca Cola au goulot par exemple.
"Finalement, le mieux, ce sont les verres très proches de ceux utilisés pour un vin tranquille."
Quand on a commencé à comprendre cela, on a commencé à élargir les verres, avec un espace de tête (espace entre la surface du champagne et le haut du verre) plus grand. Car plus cet espace est généreux, plus les arômes se libèrent. Finalement, le mieux, ce sont les verres très proches de ceux utilisés pour un vin tranquille.
La coupe plate, bonne idée ?
La coupe plate fait des bulles fines, mais va dissiper les arômes très rapidement car elle n'a pas d’espace de tête pour les contenir. Donc même un champagne excellent sera très déceptif, car peu aromatique au nez.
Sur le débouchage, vous avez fait des découvertes spectaculaires...
En effet, il y a quelques années, nous avions fait une étude poussée sur le débouchage d’une bouteille de champagne. Et nous avons été nous-même extrêmement surpris par les résultats. Il se passe des phénomènes incroyables, notamment visuellement, quand vous laissez le bouchon sauter.
Nous nous sommes rendus compte que dans certaines conditions de pression, au moment du débouchage il y a des choses du même ordre que ce qu’il se passe à l’arrière des réacteurs des avions de chasse. Evidemment, cela dure quelques micro secondes, mais les ondes de chocs sont d’une intensité équivalente, tellement le phénomène est violent. Un chiffre impressionnant : la vitesse des gaz qui le poussent atteint quasiment Mach 2, soit deux fois la vitesses du son. Cette expérience a donné des images incroyables...
Grâce à vos découvertes et vos photos, le marketing du champagne a-t-il évolué ?
Un peu mais pas suffisamment à mon avis. Les premières très belles images que nous avons eu remontent à 20 ans. J'étais alors convaincu que le marketing des maisons de champagne allait s’en emparer, mais il a fallu beaucoup de temps... Cela m'a étonné.
Parfois, j'ai l'impression que le champagne, c’est un énorme paquebot, et qu'il lui faut du temps pour faire des manœuvres. Mais comme je le répète souvent, il faut faire attention. L’AOC ne va pas les protéger de tout. Car des gens hors champagne, utilisent, eux, cette iconographie.
Aujourd'hui, quel type de bulle est à la mode ? Grosse ou petite ?
La petite bulle. Car elle est dans l’imaginaire des consommateurs depuis des décennies. Les bulles fines sont, je trouve, plus agréables à regarder, car la bulle remonte plus lentement. Mais il n’y a pas de corrélation directe entre la qualité d’un champagne et la taille de ses bulles. C’est une légende urbaine cela.
La cuillère dans le goulot de la bouteille, est-ce aussi une légende urbaine ?
Oui. On l’a testé, et ça ne fonctionne pas.
Peut-on regazéifier une bouteille de champagne ouverte ?
Oui, grâce à des outils assez technologiques, qui coûtent plusieurs centaines d’euros. Aujourd’hui, ils sont surtout utilisés par les restaurateurs, qui ne terminent pas toujours une bouteille ou un magnum. Mais peut-être que ça va se démocratiser, s’il y a de la demande.
Pour finir, rappelez nous quel est le rôle de la bulle dans le champagne ?
Le premier rôle est visuel. C'est l'œil qui est capté par les bulles. Quand j’étais enfant, je ne buvais pas de champagne, je regardais les adultes en boire. Mais, autant les dégustations de vins tranquilles me laissaient froid, autant les dégustations de champagne, jamais. Il y a le bouchon qui saute, il y a la mousse, on a l’impression que le liquide est vivant... Ça mousse, ça hypnotise.
Il n’y a évidemment pas que cela. Les bulles, quand elles remontent dans le verre, vont capter les gaz dissous dans le champagne, notamment du dioxyde de carbone et des molécules volatiles aromatiques. Ces bulles, elles vont les ramener à la surface. Et quand les bulles éclatent, elles dispersent tout cela au-dessus du verre. Donc il y a vraiment un vecteur d’arôme, que les vins tranquilles n’ont pas.