Les scientifiques du GIEC annoncent une élévation de deux degrés de la température en France d'ici 2050. Une augmentation qui jouera en faveur du vignoble lorrain. La Lorraine a tous les atouts pour devenir la future grande région viticole française.
Les scientifiques du GIEC (le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) et les analystes de Météo France annoncent une augmentation de deux degrés de la température en France en 2050. Afin de mieux saisir les conséquences sur notre environnement, les scientifiques expliquent que : un degré supplémentaire fait remonter le climat du sud de cent kilomètres vers le nord. Dans 40 ans, Metz et Nancy connaîtront le climat actuel de Montpellier (Hérault).
La Lorraine, considérée comme région froide, a toujours cultivé la vigne. En 1880, elle s'étendait sur environ 40 000 hectares. Aujourd'hui, le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire en recense 248, essentiellement en Moselle, Meuse et Meurthe-et-Moselle, pour une production de 10 500 hectolitres. Une petite goutte dans l'océan de vin produit en France où la production totale s'élève en 2021 à 790 470 hectolitres.
Cette augmentation de la température de deux degrés a des répercussions importantes sur la culture de la vigne. Selon Eric Duchêne, directeur de l'unité santé de la vigne et qualité du vin à l'INRAE Grand est-Colmar, les nouvelles conditions climatiques se révèlent très favorables pour le développement de la viticulture en Lorraine : "la Lorraine n'était pas connue pour être une région viticole, car il y faisait trop froid. Qui dit réchauffement climatique, dit plus de facilité à faire mûrir des raisins dans une région qui était impropre à la culture de la vigne jusqu'à présent. Donc, je pense que les surfaces en vigne pourraient augmenter en 2050."
Des vins plus riches et plus denses
Les côtes de Meuse, de Toul et de Moselle bénéficient de sols argilo-calcaires bien orientés, propices au développement de la vigne. Thibault Liénard exploite le domaine de Muzy à Combres sous-les-côtes (Meuse).
Il constate l'évolution rapide du climat et son impact sur ses vignes : "on fait des vins plus riches, plus denses avec des typicités qui sont légèrement modifiées par rapport à ce que l'on pouvait faire dans les années 80-90, même encore dans les années 2000. On a une augmentation des alcools naturels, les taux en sucre sont plus élevés. On vendange beaucoup plus tôt, en moyenne 15 jours par rapport à ce qui se faisait auparavant."
Un ensoleillement plus important oblige aussi à une adaptation des pratiques culturales et d'élevage du vin. Thibault Liénard laisse par exemple l'herbe pousser entre les rangs afin de préserver un taux d'humidité satisfaisant en période de grande sécheresse. Le métier de vigneron oblige à observer en permanence l'évolution de la vigne afin de prendre les bonnes décisions car tous les paramètres comptent pour produire des vins de qualité.
Les températures qui flirtent avec les trente degrés pendant des étés qui s'étirent jusqu'au mois d'octobre, provoquent une accélération des fermentations des moûts dans les cuves. Un emballement jamais vu en Lorraine et qu'il faut freiner. Thibault Liénard s'est équipé d'une unité de refroidissement pour calmer la fermentation, limiter le taux d'alcool et au final, préserver la typicité de ses vins : " à l’époque de mon père, lorsqu'on vendangeait au mois d'octobre, on était content de voir des températures plutôt douces qui nous donnaient une certaine dynamique dans la fermentation des jus. Aujourd'hui, il faut tout de suite refroidir et calmer les choses pour que ça ne s'emballe pas."
La famille de Stéphane Vosgien cultive la vigne sur les pentes de Blénod-lès-Toul (Meurthe-et-Moselle) depuis 1640. Il observe aussi les effets du réchauffement climatique sur son domaine. L'ensoleillement plus important va lui permettre d'exploiter des surfaces jusqu'à présent délaissées, car moins bien orientées.
Il faut qu'on réussisse à s'inspirer de ce qui se fait dans d'autres régions voisines, je pense à la Bourgogne, à l'Alsace, à la Champagne également.
Stéphane Vosgien, viticulteur à Blénod-lès-Toul.
Il estime qu'une réflexion doit être menée sur l'encépagement dans le Toulois. Les principaux cépages de l'AOC (Appellation d'origine contrôlée) "côtes de Toul" sont l'auxerrois et l'aubin pour les blancs, le pinot noir et le gamay pour les rouges :"on réfléchit depuis déjà un certain temps à pouvoir intégrer des nouveaux cépages et ça passe par une modification du cahier des charges de l'AOC."
Avec ses 248 hectares, le vignoble lorrain, encore très confidentiel, n'a pas les moyens des grandes terres viticoles pour financer des recherches sur les encépagements.
Stéphane Vosgien à l'instar de ses collègues, mesure le risque, car planter une variété de raisin engage pour quarante ans, sachant qu'il faut patienter cinq ans avant d'espérer vendanger. La Lorraine est connue pour être une terre de vins blancs, mais le viticulteur parie sur un développement prometteur des rouges : "depuis quelques années, les rouges commencent à être vraiment très sympas. Donc c'est une gamme qui va se développer. On vit une période de grands changements : nouveaux cépages, développement du rouge, adaptation des pratiques de taille et d'élevage."
Réchauffement climatique et viticulteurs tempérés
Norbert Molozay exploite le château de Vaux au-dessus de Metz (Moselle). Si pour lui, le réchauffement climatique est une bonne chose pour la qualité des vins de Moselle, il est aussi facteur de nouveaux risques. Des températures douces plus tôt dans l'année entraînent un débourrement (explosion des bourgeons) plus précoce et exposent les vignes au danger des gelées tardives. Ce que confirme Eric Duchêne de l'INRAE à Colmar : "c'est un risque qu'on a du mal à appréhender. Le réchauffement climatique fait qu'à partir de fin mars, le risque de gel diminue, mais la date du débourrement, de l'apparition des feuilles, a tendance à reculer elle aussi et beaucoup plus vite que le dernier jour de gel, avec le risque d'avoir des vignes plus exposées au gel de printemps."
L'institut national a mis en ligne une plaquette explicative très détaillée sur l'évolution du climat en France et ses répercussions attendues d'ici la fin du XXIe siècle. Le projet LACCAVE ( Nathalie Ollat, Jean-Marc Touzard. La vigne, le vin, et le changement climatique en France) fédère les scientifiques de l'INRAE et les laboratoires associés (CNRS et Universités) afin de mettre en commun les ressources des chercheurs et proposer les solutions indispensables aux transformations de la filière viticole confrontée au changement climatique.
L'irrégularité des pluies est aussi un motif d'inquiétude pour le propriétaire du château de Vaux : "cette année, après un été idéal, la pluie est tombée en excédent fin août. Ça nous a anéanti 50% de notre récolte touchée par les maladies. C'est le problème qu'on va avoir à gérer dans les années qui viennent."
Le réchauffement climatique engendre des phénomènes atmosphériques plus violents. Météo France explique que les sols plus chauds concentrent beaucoup plus d'énergie avec, au menu, des vents, des averses violentes, des orages et des grêles.
Oui, la zone de production remonte vers le nord, mais attention, ça ne va pas être simple à gérer.
Norbert Molozay, domaine du Château de Vaux en Moselle.
Pour limiter les dégâts et donc les traitements, Norbert Molozay estime comme d'autres viticulteurs lorrains qu'il faut se tourner vers les cépages hybrides. L'INRAE propose depuis peu des plants résistants qui diminuent de 90% les traitements des maladies de la vigne.
Viticulteur franc-tireur
Sébastien Régnier cultive la vigne depuis une vingtaine d'années à Pagny-sur-Moselle. Certifié bio depuis 2017, il plante du cabernet cortis N, un cépage hybride résistant.
Il est aussi le seul en Lorraine à planter de la syrah, un cépage typique du sud de la France : "la syrah a le gros avantage de résister à la chaleur, on le voit bien au sud de Lyon où j'ai des collègues qui ont connu des températures de 40 degrés et qui ont pu vendanger sans problème de rendements."
Avec ses choix radicaux, le vigneron franc-tireur s'affranchit des contraintes du cahier des charges de l'AOC "Côtes de Moselle". Une liberté assumée : "l'AOC ne permet pas de planter des hybrides, il y a d'autres viticulteurs qui le font en Alsace et dans d'autres régions, alors oui, les lignes bougent."
Autorisés en France en 2017, les cépages hybrides représentent aujourd'hui 20% des six hectares du domaine Régnier.
Si ça marche, j'aurais gagné 10 ans d'avance sur mes collègues. Si ça ne marche pas, j'aurais perdu 30 ares de syrah.
Sébastien Régnier, viticulteur à Pagny-sur-Moselle
Sébastien Régnier a une devise : "ne pas aller contre la nature, mais avec la nature". Il anticipe les aléas climatiques engendrés par le réchauffement climatique en investissant dans des systèmes de protection. Il a notamment investi dans des filets anti-grêle. Coût : 25 000 euros par hectare. Le prix de la tranquillité.
Le vigneron voit la Lorraine comme une future grande région viticole française. Eric Duchêne de l'INRAE partage son optimisme : "les régions du nord de la France ont des aptitudes, un vrai potentiel viticole. La Lorraine possède, comme la Bourgogne, de bons terroirs calcaires adaptés pour faire de bons vins."
Le réchauffement climatique entraîne déjà des modifications importantes dans les pratiques des viticulteurs lorrains : taille des vignes, choix des cépages, méthodes d'élevage, autant de paramètres qui engendreront aussi une modification du goût des vins.
Préserver la typicité des vins de Lorraine
L’enjeu pour les viticulteurs de Lorraine est de s'adapter sans perdre la typicité des vins de Lorraine en route. S'il s'agit au final de faire les mêmes vins que dans le sud de la France, cela n'a aucun intérêt résume Stéphane Vosgien : "l'équilibre des vins va changer, ils seront plus alcoolisés, moins acides donc si on veut retrouver la fraîcheur qui fait la typicité des vins de Lorraine, on sera amené à rechercher des cépages avec une acidité plus élevée pour pouvoir faire un assemblage et retrouver un équilibre recherché." C'est pourquoi l'aubin, une variété un moment délaissée, va retrouver son rang dans les vignes lorraines.
Thibault Liénard au domaine de Muzy dans la Meuse partage la même préoccupation : "que ce soit sous IGP (Indication géographique protégée) ou sous appellation d'origine contrôlée, les cahiers des charges sont là pour garantir aux consommateurs un certain niveau de qualité avec des typicités qui sont clairement décrites. Aujourd'hui, il faut arriver à préserver tout ça en respectant la ligne qui est décrite dans les cahiers des charges."
Si le soleil et ses deux degrés supplémentaires alliés aux terroirs argilo-calcaires sont déjà de sérieux atouts pour autoriser la Lorraine à entrer dans la cour des grands de la vigne française, reste à évaluer les surfaces disponibles.
Sur ce point, Norbert Molozay enfile sa casquette de président de l’Organisme de défense et de gestion (ODG) de l’AOC Moselle et répond sans hésitation : "entre 10 et 15% de notre territoire classé en AOC est planté en vigne. Donc on a un potentiel de développement de 85% ce qui est énorme ! Et sur la zone IGP de Lorraine, on a un aussi un potentiel de développement de plusieurs milliers d'hectares."
Les vignerons de Meuse, de Moselle et du Toulois ont bien saisi l'opportunité que peuvent représenter pour la filière viticole lorraine ces deux degrés supplémentaires attendus à l'horizon 2050. Ils se sont unis pour créer la marque "Vins de Lorraine" afin de mieux faire connaître leurs productions aujourd'hui encore très confidentielles.