Il a été le premier à se lancer dans la campagne pour ces régionales. Fort d'un premier essai en 2015 sous l'étiquette Debout la France, Laurent Jacobelli a changé d'écurie. Et cette fois, il joue clairement la gagne avec le RN. L'ex-cadre de TF1 avance discrètement tout en pensant à 2022.
Sécurité et proximité, deux mots clés du programme de Laurent Jacobelli. Deux mots qu'il martelait (déjà) lorsqu'il était candidat à la mairie d'Allauch dans les Bouches-du-Rhône en 2020. "Comptez sur moi pour qu'à Allauch la coiffe provençale ne soit jamais remplacée par le voile islamiste", promettait celui qui était aussi le porte-parole du Rassemblement national lors de cette campagne municipale.
Allauch, la commune de 21.000 habitants avait mis l'extrême droite en tête aux européennes et le parti de Marine Le Pen comptait bien y faire fructifier ce capital. Une ville et un département taillés sur mesure pour une parfaite mise en orbite de Laurent Jacobelli, transfuge de Debout la France. Patatras. Malgré la venue de Marine Le Pen à Allauch, la liste de Laurent Jacobelli termine finalement en troisième position, ne récoltant que 15,91% des voix. Lors de la "convention municipale" du Rassemblement national en janvier 2020, l'homme y était pourtant présenté comme un de ces profils synonymes de “dynamiques locales”. Terrible désillusion pour Laurent Jacobelli, par ailleurs patron du RN départemental.
? Aujourd’hui à #Allauch pour soutenir @ljacobelli et son équipe.
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) March 6, 2020
Laurent Jacobelli s’engage à préserver l’esprit de village et l’identité provençale qui font tout le charme d’Allauch ! #Municipales2020 pic.twitter.com/2148nV8pqr
Le boulevard est finalement une voie sans issue pour celui qui a migré des Vosges vers les Bouches-du-Rhône quelques années plus tôt, en 2017. Changement de paysage mais aussi d'écurie pour celui qui dirigeait la communication de Nicolas Dupont-Aignan. Ex-Debout la France, Laurent Jacobelli est imposé comme candidat Front national dans la dixième circonscription des Bouches-du-Rhône qui inclut notamment Gardanne. Dans le langage politique, on appelle cela un parachutage. Le premier de sa carrière auprès de Marine Le Pen.
Une récompense pour celui qui a toujours prôné l'alliance avec la patronne du RN. Un petit pas de plus et le voilà propulsé au comité national en tant que délégué en charge de la communication, secrétaire en charge des élus et enfin porte-parole. Une ascension rapide au sein de l'appareil. La fausse note, c'est sur le terrain. Car sur ces terres très favorables au vote RN, Laurent Jacobelli ne parvient pas à s'imposer. "C'est quelqu'un de brillant, analyse cet ancien militant de Debout la France, mais ce côté énarque, rigide, sûr de lui, donneur de leçon, ça ne plaît pas à tout le monde, surtout dans les Bouches-du-Rhône." Laurent Jacobelli s'éclipse. Le parachutage se révèle finalement comme un plantage, un passage éclair. Erreur de casting.
L'Aubois des Vosges
Retour à la case départ pour Laurent Jacobelli qui souhaite rebondir au plus vite. Avec la bénédiction de Marine Le Pen, ce sera le Grand Est pour celui qui a élu domicile à Troyes (Aube) et qui a passé trois années de sa vie à Epinal (Vosges). Retour dans cette région où, avec des bouts de ficelle, il a fait merveille lors des régionales de 2015 sous la bannière Debout la France. Près de 5% des voix et des scores parfois étonnants au regard des moyens dont disposait le parti de Nicolas Dupont-Aignan (7% dans la Meuse ou encore 7,7% dans l'Aube).
Il a fait son stage chez Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen lui a offert un CDI
Laurent Jacobelli récolte 84.000 voix et prend là, sans doute, conscience de son "destin" sur le plan politique. Celui qui se déclarait "gaulliste" et affirmait que DLF "offrait une vraie alternative à ceux qui ne se reconnaissaient pas dans les Républicains ni dans le Front national", se lance dans un reset total. Il accompagnera Marine Le Pen dans la refondation de son parti. "Il a fait son stage chez Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen lui a offert un CDI" ironise cet ancien militant RN.
“Quand on a un gars comme ça, on peut lui laisser une seconde chance, explique ce spécialiste de l'extrême droite, Jacobelli peut se révéler utile. Il n'est pas par hasard dans le staff de Marine Le Pen. Elle en a besoin. Il a une certaine expertise politique, organisationnelle et médiatique. C'est rare au Rassemblement national, mais c'est surtout quelqu'un qui va attirer et convaincre une partie de la droite d'accompagner le RN. Le Grand Est, c'est une forme de laboratoire pour le RN."
Une forme d'union dès le premier tour
Car dans la pratique, Laurent Jacobelli excelle là où Florian Philippot faisait preuve d'arrogance. Il préfère être accompagné que seul. "Nous avons une liste d'union des divers droites" répète t-il et "dès le premier tour." Et ses prises se révèlent fructueuses : le sénateur non-inscrit Jean-Louis Masson (ex-RPR, ex-UMP) en Moselle, Philippe Morenvillier (ex-UMP) en Meurthe-et-Moselle, Bruno North, le président du CNIP (Centre national des indépendants et des paysans) dans les Ardennes, Thierry Hans, le directeur du magazine alsacien Heb’di... Laurent Jacobelli voit haut et très large.
"Au RN, il y a une volonté évidente de mettre en avant ce type de profils pour dire et affirmer qu'ils sont la droite nationale, explique Arnaud Mercier, politologue, professeur à l'IFP, Université Panthéon Assas, spécialiste en communication politique, chercheur associé au Laboratoire communication et politique du CNRS et ancien enseignant à l'université de Lorraine, Laurent Jacobelli ne fait qu'appliquer une politique. Au RN, il y a une volonté depuis bien longtemps de refuser l'appellation extrême droite en disant qu'ils incarnent la droite nationale, une droite de gouvernement. Il y a des transfuges de Debout la France ou des Républicains, ce n'est pas nouveau et ils sont contents de le mettre en avant. Laurent Jacobelli est très malin sur le sujet."
"C'est la dédiabolisation que mène Marine Le Pen, ajoute Jérôme Pozzi, maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université de Lorraine, il ne faut pas oublier qu'il y a eu le changement de nom du parti et cette volonté d'ouvrir vers des personnalités établies. Et Laurent Jacobelli est plutôt habile en la matière."
✍?Lettre ouverte à Nadine Morano, refusée aux #Régionales par Jean Rottner : « Dans la mesure où au sein de votre famille politique certains ne vous laissent pas exprimer vos idées, je peux vous garantir que vous pourriez le faire au sein de la liste que je conduis » #GrandEst ⤵️ pic.twitter.com/51Mu3WRC8L
— Laurent Jacobelli (@ljacobelli) April 15, 2021
Son échec, c'est Nadine Morano. Ecartée de la liste du président LR sortant Jean Rottner, l’ex-ministre et députée européenne Nadine Morano ne fera pas campagne aux côtés de Laurent Jacobelli malgré les nombreux appels du pied. "Jean Rottner préfère travailler avec les macronistes qu'avec vous ? Dont acte ! Moi, je serai ravi de compter sur votre vote", avait tweeté le candidat du parti d'extrême droite. "Je ne voterai pas pour la liste de Jean Rottner" a répété Nadine Morano. Une forme de victoire malgré tout pour Laurent Jacobelli. Pendant que la droite se déchire et sème le trouble dans son électorat, lui avance.
2015-2021 : un programme quasi "copié-collé"
"Nous voulons qu'il y ait trois vice-présidents en tout et pour tout pour que les territoires soient vraiment représentés. Stop aussi aux dépenses et aux projets pharaoniques." Voilà comment s'exprimait Laurent Jacobelli... en 2015 ! (La Semaine, 12 novembre 2015). Aujourd'hui, la proposition est identique. Un pur copier-coller ripoliné cependant à la sauce RN. "Il faut revenir aux trois régions historiques : l'Alsace, la Lorraine et la Champagne-Ardenne. On a vu que le Grand Est, ça a coûté plus cher, +51% en frais de déplacement, +25% en masse salariale... Et pourtant, on n'a pas plus de service, on a des gares qui ferment, des usines et des villages qui ont de moins en moins de services publics." Son leitmotiv : la fin du Grand Est au travers d’un référendum consultatif des citoyens.
Un peu de chiffres, histoire de muscler le propos et quelques rappels sur des thématiques propres au RN et le tour est joué. Laurent Jacobelli adore fustiger le train de vie de la région Grand Est qu'il juge démesuré et adore parler... sécurité. "Dans le Grand Est, plus personne n'est à l'abri" dit-il, "lorsqu'on lit tous les jours la presse régionale, on voit des agressions, des cambriolages, des attaques,... il faut que cela cesse."
Et en expert des médias, Laurent Jacobelli qui a notamment été directeur des programmes de TV5 Monde, sait quels thèmes choisir pour se faire entendre et surtout comment en parler. "Moi, je propose un pacte de la sécurité régionale avec un budget de 150 millions d'euros par an pour financer la vidéo protection dans les communes, des polices municipales et une brigade dans les transports ferroviaires pour protéger les gens ainsi que les abords des lycées. La sécurité a été le parent pauvre de ces six années qui viennent de s'écouler." Et peu importe le champ de compétences de la Région. "Rien n'empêche de faire. Demain, si une commune investit 1 euro, nous en ferons autant avec elle. Nous souhaitons aussi mettre en place des chèques sécurité pour que les gens s'équipent dans des zones à haut risques de cambriolage." Ces nouvelles dépenses, le diplômé de l’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (Essec) souhaite les mettre en place en réalisant des économies sur les maisons de région par exemple.
Un pro de la com et du système aux côtés de Marine Le Pen
Laurent Jacobelli n'est pas un novice dans le milieu. Son domaine, c'est l'audiovisuel. Il a travaillé à TF1, TV5 Monde, avant de fonder sa propre société de production télévisuelle, Sunny Prod. Lors des élections présidentielles de 2017, il s'était fendu d'un courrier à la direction de la chaine qui avait fait le choix de ne pas inviter Nicolas Dupont-Aignan lors d'un débat. Dans cette "Lettre ouverte à mes anciens collègues de TF1" où il a tout essayé "Mes chers amis, j'ai toujours considéré faire partie de la grande famille de TF1, j'ai toujours eu à cœur de la défendre. J'ai cet attachement à ce grand média où tant de beaux projets ont vu le jour, tant de succès et de records ont été réalisés. Mais pour la première fois depuis 20 ans, je sens que ce lien pourrait se briser." Il s'est brisé. TF1 n'a pas levé le petit doigt.
Laurent Jacobelli en est persuadé. "Les listes Rottner et Klinkert fusionneront, c'est un secret de polichinelle. Moi, je joue la transparence et la clarté d'entrée avec notre liste." Au vu des sondages et du contexte social et politique, sa présence au second tour ne fait pas de doute. "C'est prévisible, le Rassemblement national va faire de très bons scores" analyse le politologue Arnaud Mercier, "ça ne signifie pas qu'il va augmenter considérablement ses voix. Mais l'électorat de base va rester mobilisé et la participation va être très faible."
Le Grand Est fait partie des régions qui peuvent basculer
"Le Grand Est fait partie des régions qui peuvent basculer" explique Jérôme Pozzi, maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université de Lorraine, "on parle beaucoup moins de Laurent Jacobelli que de Thierry Mariani en PACA, mais dans le contexte actuel, il peut faire un coup. Il a une bonne carte à jouer. Jacobelli est un personnage moins médiatique mais ce n'est pas plus mal pour lui. Il a su rallier à lui des personnalités, parfois clivantes comme Jean-Louis Masson, c'est un signal fort. Sa victoire dépendra bien évidemment de la répartition des voix sur les autres listes et de l'abstention mais l'électorat du RN sera mobilisé pour ce rendez-vous."
"En 2012, François Hollande avait très bien compris qu'il fallait se contenter de capitaliser sur le rejet de Nicolas Sarkozy" ajoute Arnaud Mercier, "la campagne, c'était de ne pas en faire trop et surtout, pas faire de fautes. Tout tomberait tout seul. Et là, pour ces régionales, c'est exactement ce que fait le Rassemblement national en capitalisant sur la colère, le désespoir, la pandémie du Covid, Macron... Nous sommes le parti refuge des frustrations. Les Républicains sont divisés, la gauche est exsangue et LREM est aux abois... C'est une stratégie de ne pas trop s'investir. Inutile de s'agiter pour Jacobelli, il suffit d'attendre."
Suffisant pour offrir sur un plateau la région Grand Est à Marine Le Pen ? Tout dépend maintenant des scénarios de second tour. Mais ces quelques semaines de campagne permettent à Laurent Jacobelli, admirateur à la fois d'Astérix et du général de Gaulle, d'envisager un avenir tout autre que dans les Bouches-du-Rhône avec un investissement dans la durée. Ici, le parachutage semble réussi pour celui qui va envoyer définitivement aux oubliettes un certain Florian Philippot et qui, pour la présidentielle de 2022, espère jouer un rôle de premier plan dans la campagne de Marine Le Pen.