TEMOIGNAGES - Coronavirus : la communauté chinoise d'Alsace, doublement touchée, se mobilise pour acheter des masques

Les Chinois installés en Alsace ont doublement subi le coronavirus : d'abord inquiets pour leurs proches dans leur pays d'origine, ils ont ensuite été frappés dans leur région d'adoption. Confidences d'une communauté parfois discriminée, qui se mobilise pour faire livrer des masques en Alsace. 

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Alors que dans le Bas-Rhin et le Haut-Rhin, la plupart des habitants ne se sont réellement préoccupés du coronavirus que mi-mars, la communauté chinoise établie dans la région est tourmentée depuis début janvier. Car c'est en Chine que le covid19 a d'abord fait parler de lui : les images de la construction d'un hôpital en temps record, à Wuhan, le 28 janvier, ont beaucoup inquiété les Chinois d'Alsace. Tous ont évidemment toujours des proches dans leur pays d'origine, où les premiers cas dateraient en réalité de novembre 2019.

C'est difficile de vivre la crise à distance
- Jie Zhong, président de l'association France Chine Alsace

Il faut n'avoir jamais été éloigné de sa famille pour rester insensible à ce genre de situation, quand sentiment d'impuissance et peur se mélangent. "Depuis le début, j'appelle mes parents à Shanghai chaque semaine même si ce n'était pas la région la plus touchée, confie Jie Zhong, le président de l'association France Chine Alsace. C'est difficile de vivre la crise à distance, j'avais besoin de savoir si des personnes de ma famille étaient touchées."
 

Insultes et regards blessants, les Chinois discriminés

Le manque des siens, d'une part, et le rejet, de l'autre. Car comme si ça ne suffisait pas, la communauté chinoise a aussi parfois été victime de discriminations partout dans le monde. La France et l'Alsace n'échappent pas à la règle. Parmi les membres, le sujet est tabou : raconter, c'est donner de l'écho, alors on préfère se taire. Mais tous l'admettent, ils ont été confrontés à des remarques ou regards blessants. Les autorités ont parfois dû intervenir pour lutter contre les fausses informations menant à des comportements racistes, comme en Meurthe-et-Moselle (voir tweet).
   
Jie Zhong, marié à une Alsacienne et dans la région depuis 16 ans, s'est fait traiter de "porteur de virus". Ma Lei, étudiant chinois à Strasbourg, raconte comment certains ont hurlé sur quelques-uns de ses camarades à coups de "dégage" ou "rentre en Chine".

On s'est sentis obligés d'enlever nos masques
- Shan Shu Bian, président de l'association des Chinois d'Alsace

Et puis il y a le masque, catalyseur de toutes les angoisses. "Dès fin janvier, les personnes d'origine chinoise commençaient à en porter, car culturellement, elles ont cette habitude et cette connaissance de l'utilité de se protéger à l'avance. Mais les réactions en ville nous gênaient et on s'est sentis obligés de les enlever", témoigne Shan Shu Bian, le président de l'association des Chinois d'Alsace. Il n'a pas oublié l'attitude d'une femme dans un supermarché au moment où elle a croisé son masque du regard : "Pour elle, cet objet signifie virus", excuse-t-il presque. 

Dans les commerces asiatiques, l'affluence a baissé ces dernières semaines et le chiffre d'affaires, avec. Un effet du confinement, pourrait-on affirmer, mais pas seulement. La fréquentation avait déjà diminué avant. "Les gens veulent éviter la population asiatique, ils ont peur de croiser des clients ou du personnel d'origine asiatique", regrette Kien Thai, le gérant du supermarché "Indochine" à Mulhouse. D'autres boycottent les produits importés d'Asie.
 

20.000 masques achetés en Chine pour l'Alsace

Des mauvaises expériences, à mettre sur le compte d'individus isolés, insiste la communauté chinoise : "Ce n'est de loin pas une généralité ici, on s'en sort plutôt bien." Elle assure avoir aussi été très soutenue par les Alsaciens. En janvier, des collectes de dons ont été lancées : quelques milliers de masques ont été envoyés en Chine, submergée, et des repas financés pour des médecins chinois.

Quand le virus est arrivé en Europe et notamment en France, Haut-Rhin et Bas-Rhin en première ligne, la mobilisation a continué, mais dans l'ordre inverse cette fois. Trois associations se sont unies - celle des Chinois d'Alsace, celle des étudiants et chercheurs chinois et l'Institut Confucius d'Alsace - elles ont rassemblé 10.000 euros de dons, bien plus qu'espéré, et acheté 20.000 masques chirurgicaux en Chine. Une initiative qui s'ajoute aux achats effectués par la région Grand Est et à la fabrication de masques par des entreprises de textile locales. "Un juste retour des choses", estiment les membres.
  

Un premier arrivage de 16.000 pièces a été distribué à la région Grand Est (14.000, répartis par l'agence régionale de santé dans des EHPAD et hôpitaux), au CHU d'Haguenau (1.000) et à la maison de retraite de Truchtersheim (1.000). Une deuxième commande de 4.000 masques est en cours d'acheminement et sera livrée à l'Eurométropole de Strasbourg (transports, école...).
 

Mobilisés pour témoigner leur attachement à l'Alsace

"Cette mobilisation, c'est une question de bon sens, car notre région est l'épicentre de l'épidémie. Nous sommes d'origine chinoise, mais nous sommes aussi Alsaciens. Nous formons la famille franco-chinoise, nous avons maintenant autant d'attachement à cette région qu'un autre Alsacien", assure Shan Shu Bian.
 

À travers une autre action, Jie Zhong et son association ont eux offert près de 2.000 masques à l'hôpital de Molsheim : "L'une de nos membres, aide-soignante dans cet établissement, m'a appelé car ils étaient dans une situation très compliquée, ils manquaient de masques. On avait déjà envie d'aider et là, on a senti qu'on pouvait faire quelque chose. J'en suis très fier."
 
Tous ont mis à profit leurs réseaux en Chine pour trouver des fabricants et des logisticiens, capables de faire parvenir très rapidement du matériel de qualité malgré le peu de vols. Il est arrivé en moins de quinze jours. Les différents groupes ont le sentiment du devoir accompli.

La France me permet d'étudier comme peut le faire un Français. J'avais envie de rendre un peu de ce que je reçois, en quelque sorte.
- Ma Lei, président de l'association des chercheurs et étudiants chinois

"On avait à cœur de prendre nos responsabilités, livre le président de l'association des chercheurs et étudiants chinois, Ma Lei, la voix pleine d'émotions. Je vis à Strasbourg, en Alsace. Je bénéficie de l'université et des services de santé, comme tout le monde. La France me permet d'étudier comme peut le faire un Français. J'avais envie de rendre un peu de ce que je reçois, en quelque sorte."
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