Témoignages - Fessenheim : pro et anti-nucléaires racontent la centrale au moment de sa mise à l'arrêt

Ils ont vu naître, vivre et s'éteindre la centrale nucléaire de Fessenheim. Quatre grands témoins ont accepté de se confier à France 3 Alsace, alors que la centrale sera définitivement mise à l'arrêt dans la nuit de lundi 29 au mardi 30 juin 2020.

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C'est donc la fin. La fin d'une époque. Après quarante-deux ans d'exploitation, la centrale nucléaire de Fessenheim va définitivement fermer. Promise en 2012 par François Hollande lors de sa campagne pour l'élection présidentielle, cette fermeture est effective en 2020. Après la mise à l'arrêt du premier réacteur en février, celle du second intervient dans la nuit de ce lundi 29 au mardi 30 juin 2020. Une page d'histoire se tourne dans le sud Alsace. Nous avons rencontré ceux qui ont vu naître, vivre et s'éteindre la centrale nucléaire de Fessenheim, la plus vieille de France. Des témoins partagés entre soulagement pour certains, incompréhension et amertume pour d'autres. Ils ont accepté de nous raconter "leur Fessenheim".

Jean-Luc Cardoso, technicien d'exploitation à la centrale nucléaire de Fessenheim, militant syndical CGT


"J'ai été embauché en mai 1989, j'ai fait 31 ans de carrière à la centrale. Pour moi à l'époque, l'exploitation c'était un métier qui m'intéressait et la production également. Le nucléaire c'était la cerise sur le gâteau. En quelque sorte, la panacée en terme de production d'électricité. Bien sûr, je comprends les gens qui ont peur. Qui disent que le nucléaire est dangereux. Mais il faut leur apporter des réponses. Expliquer comment ça marche, qu'elles sont les mesures de sûreté. Les gens qui sont pro-nucléaires, ont étudié la question : comment fait-on pour répondre aux besoins en électricité. Et la réponse aux besoins, elle passe aujourd'hui par le nucléaire.
 

Nous avons été sacrifié sur l'autel de l'élection présidentielle"

Jean-Luc Cardoso, technicien d'exploitation


Quand François Hollande a annoncé la fermeture de Fessenheim en 2012 lors de sa campagne pour l'élection présidentielle. Je me suis dit qu'est-ce qu'il a dans la tête? On ne peut pas dire aux gens : on ferme votre usine par ce qu'on a décidé de la fermer. Il faut des raisons! Aujourd'hui, il n'y a aucune raison, ni de sûreté, ni de sécurité, ni d'environnement, ni financière, ni sociale. C'est incompréhensible. Nous avons été sacrifiés. Un sacrifice sur l'autel de l'élection présidentielle.

L'impact de cette fermeture est énorme sur les salariés notamment. Longtemps, nous avons eu du mal à nous projeter. Durant près de 8 ans, nous avons eu différents sons de cloche : on ferme, puis on ne ferme pas, ou pas tout de suite. Et cette question en ce qui me concerne, militant syndical, qu'est ce que je fais? Je m'engage ou je ne m'engage pas? A partir du moment où la fermeture est devenue inévitable, il a fallu se battre pour gagner des choses. Nous le devions aux 1.200 salariés de le centrale. Pour qu'ils puissent se reconvertir, trouver un autre emploi, partir dans de bonnes conditions. Moi, compte tenu de mon âge et du temps d'exploitation qui reste, n'oublions pas qu'arrêter une centrale ça ne se fait pas comme ça, moi je partirai en retraite en étant à Fessenheim.

Aujourd'hui à quelques heures de l'arrêt officiel du second réacteur, je ressens une grande injustice, de l'amertume, c'est du grand n'importe quoi. Il n' y a pas de mots, en français ou dans une autre langue, pour exprimer ça."
 

Jean-Marie Rohé, employé d'exploitation à la centrale de 1974 à 1993

 

"Quand j'ai démarré en 1974, nous devions tout apprendre ou presque. Nous avions besoin d'acquérir la connaissance du matériel, de tous les circuits, et du nucléaire car la plupart d'entre nous venait de l'industrie du charbon. C'était une nouvelle aventure. On nous disait bien que le public était partagé, que les écologistes étaient contre. L'exploitant-ERDF- attendait de nous que ça se passe de la meilleure manière possible. Nous n'avions pas le droit à l'erreur.

 

On avait l'impression que l'installation pouvait durer, se prolonger, se donner une seconde vie et en fait : non

Jean-Marie Rohé, ancien employé de la centrale



Le 3 mai 1975, un attentat a lieu sur le chantier de la centrale. J'étais de service ce jour-là. La direction a été prévenue par téléphone que des charges explosives avaient été disposées dans l'enceinte du réacteur. Et vers 14h00 la première charge a explosé, suivie d'une deuxième. J'ai eu très peur. Et les dégâts étaient considérables. Il y en a eu pour 20 millions de francs de dégâts. Cela a retardé le démarrage de la centrale de 10 mois. 45 ans après, on ne sait toujours pas qui est à l’origine des deux explosions et quel était l’objectif recherché.

Lors du démarrage en 1977, nous avons vécu un moment unique. Il y avait beaucoup de concentration, de silence. Chaque personne avait son rôle et il fallait absolument que tout soit sous contrôle et réussi. Aujourd'hui, alors que la fermeture définitive est imminente, on ressent forcément une certaine tristesse. D'autant que les autorités de sûreté avaient donné leur feu vert pour que la centrale puisse continuer 10 ans de plus. On avait l'impression que l'installation pouvait durer, se prolonger, se donner une seconde vie et en fait : non."


Claude Bender, maire (sans étiquette) de Fessenheim depuis 2014

 

"Je suis un enfant de Fessenheim. Depuis plusieurs générations, ma famille habite la commune. J'ai connu Fessenheim avant la centrale, pendant la construction et les 42 ans de l'exploitation. Avant l'arrivée de la centrale, Fessenheim était une petite commune de 900 habitants. En 10 ans, la population a plus que doublé. Soyons clairs, les centrales nucléaires ont permis une montée en gamme des territoires reculés, ruraux comme celui de Fessenheim. Nous étions dans les années 70, dans une des régions les plus pauvres d'Alsace : la Hardt. Cette centrale a boosté le territoire sur le plan économique, sociétal et des infrastructures.
 

Je ressens de la haine, rien n'a été préparé pour l'après-Fessenheim

Claude Bender, maire (SE) de Fessenheim



Personne n'imaginait qu'on puisse fermer une centrale. Surtout qu'elle a été régulièrement entretenue. C'est une des premières à avoir intégré toutes les recommandations post-Fukushima. On ne pouvait pas concevoir qu'avec tous les millions investis pour la porter à un tel niveau de sécurité qu'on puisse la fermer. C'est une décision purement politicienne. Et bien évidemment, la colère ne retombe pas. C'est même de la haine que je ressens. C'est injuste. Nous n'avons pas été préparés, nous ne sommes pas accompagnés et nous nous heurtons régulièrement à un mur, administrif et politique. On pouvait quand même espérer une suite électrique sur Fessenheim avec une nouvelle génération de centrale nucléaire, ou même d'autres sources de production. Mais rien n'a été fait.

Le coup est rude. Nous avons tout perdu. Déjà 1.200 emplois directs sur le site. Et 2.400 emplois induits. Les collectivités territoriales vont perdre 15 millions d'euros de fiscalité et ce n'est pas neutre. C'est un défi sans précédent qui nous attend désormais pour ce territoire. Ce dernier doit changer totalement de vision. Nous sommes passés d'une zone de confort à une zone de non confort. Voilà, 50 ans qu'on vit avec la centrale. D'ailleurs, dans le langage courant Fessenheim c'est la centrale et la centrale c'est Fessenheim. On nous arrache une partie de nous même."

 

André Hatz, président de Stop Fessenheim, militant anti-nucléaire depuis 1975

 


"Je suis allé à quelques manifestations au début en 1975 contre l'ouverture de la centrale. A l'époque, nous étions plus de 10.000 personnes réunies pour dénoncer la construction de la centale. Pour moi, le nucléaire représentait forcément un danger pour les populations, à court terme et à long terme. Nous avons compris à l'époque que le gouvernement a cherché à développer un parc nucléaire insensé. Il devait y avoir en tout 16 réacteurs de part et d'autre du Rhin. La moitié du côté allemand, la moitié côté français. On envisageait à l'époque 4 réacteurs à Fessenheim et à Gerstheim. Vous rendez-vous compte? Grâce à la pression populaire, nous avons réussi à faire annuler Gerstheim, et Fessenheim est restée à 2 réacteurs. Mais ce n'est pas une victoire entière puisque deux réacteurs ont été construits. 
 

Soit on l'arrête, soit elle nous pétera à la figure un jour

André Hatz, président Stop Fessenheim


J'ai trouvé une grande justesse dans l'analyse de François Hollande en 2012. Il a invoqué deux raisons : le fait qu'elle soit trop vieille. Elle a été prévue pour 30 ans et en 2017, elle a eu 40 ans. Et puis le fait qu'elle soit située sur une faille sismique. Il a mis en avant la sécurité de la population ! Il y avait derrière cette décision sans doute d'autres raisons électorales et je ne le nie pas.

Je ressens du soulagement et je parlerai de joie quand le combustible sera totalement sortie des piscines et évacué, là, je serai heureux. Je pensais le vivre un jour parce que je pensais soit on l'arrête soit elle nous pétera à la figure un jour. On l'a arrêtée, c'est tout de même la meilleure des solutions."

 
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