Les vendanges ont débuté, il y a quelque jours, en Champagne. Les viticulteurs peinent à recruter. Rencontre avec les petites mains qui, après avoir répondu à l’appel, s’affairent pour récolter les précieux raisins.
Ce lundi matin, c’est ciel bleu et les températures avoisinent déjà les 20 degrés, à 11 h, en haut de l’une des parcelles d’Agnès Cuillier, qui exploite plus d'un hectare de vignes à Pouillon et Taissy. Des conditions climatiques quasi idéales pour les vendangeurs. Mais ne vous y trompez pas, c’est loin d’être le cas tous les jours. Qu’il fasse froid ou chaud, qu’il pleuve ou qu’il vente, la récolte n’attend pas et les conditions de travail sont alors bien plus rudes dans les vignes.
Jean-Marie, Martine, Didier, Nicolas, Mickaël, Hugo et Agnès, ils sont un petit groupe de vendangeurs déjà en place dans la vigne pour la récolte du jour. Pour la plupart d'irréductibles vendangeurs qui répondent présents chaque année.
Un vendangeur par route (rang de vigne) au lieu de deux. Le covid a obligé les producteurs à s’adapter. Une contrainte supplémentaire dans ce métier déjà soumis à de nombreux aléas, notamment la crise sanitaire qui modifie les vendanges. “Tout le monde le respecte, assure Agnès Cuillier, On perd un peu plus de temps, quand il y a des petites grappes à l'opposé, il faut aller les chercher.”
Pénibilité du travail
Les conditions climatiques freinent certains candidats aux vendanges. “Cela fait trois jours qu’il fait beau mais j’ai déjà fais des vendanges, il y a 40 ans, avec treize jours et demi de vendanges et treize jours de pluie”, explique Jean-Marie, vendangeur.
Le Rémois n’en est pas à son coup d’essai. “J’ai commencé en 1972, je prenais des congés pour venir aux vendanges.” Il est onze heures et même si la petite pause est la bienvenue, du haut de ses 73 printemps, l’homme a toujours une bonne condition physique. Il ne manquerait ce rendez-vous annuel pour rien au monde. “J’aime l’ambiance des vendanges et cela me change de ma carrière à la SNCF. Cela permet de rencontrer des gens de toutes les régions. Au début, il y avait beaucoup de gens du Nord, ce sont des gens très sympathiques, des fêtards, des bosseurs aussi.”
"Au début, il y a 40 ans, cela durait plus longtemps, ça me payait mes impôts, aujourd’hui cela ne paie plus rien." A ces mots, la viticultrice fait des bonds. Mais Jean-Marie souligne que les vendanges duraient à l’époque plus longtemps, au minimum 10 jours, et étaient ainsi plus rentables.
Le bouche-à-oreille
Ne vous y trompez pas, ces deux-là sont amis et venir vendanger sur cette petite exploitation viticole, c'est trouver de la convivialité. Faire de la route et travailler chez des personnes qu’il ne connaît pas, ce n’est pas la tasse de thé de Jean-Marie.
D’ailleurs, c’est autour d’un bon café et d’un casse-croûte revigorant, que l’équipe se remémore les histoires de vendange. Chez certains disent-il, pas de pause, on apporte même à boire et à manger sur la route (dans les rangs, ndlr). Pas de chrono ou de pointeuse chez Agnès. “Ils aiment tous l’ambiance familiale.”
C’est aussi ce qui a séduit Martine Liverneaux. Elle aussi vient de Reims pour vendanger. A 69 ans, cette retraitée, auparavant employée dans les collèges, a la forme. Si l’ambiance est source de motivation, le travail est difficile et c’est pour une toute autre raison qu’elle arpente le vignoble.
Je dirais qu’en premier, ma motivation, c’est l’argent, car je suis une retraitée pas très riche, et en second, j’aime l’ambiance.
Une bonne condition physique
Martine connaît déjà les gens qui travaillent ici. Bientôt septuagénaire, c'est une sportive qui fait des compétitions de course à pied avec Jean-Michel. Avoir une bonne condition physique est primordial pour cueillir les grappes, pendant de longues heures dans les vignes. “Si je ne faisais pas du sport et de la musculation, je ne pourrais plus faire les vendanges dans les vignes”, explique Martine.
Pas question de leur dire que les jeunes sont plus costauds. Même si les clichés fusent un peu, tous s’accordent à dire que la bonne condition physique et la bonne technique de récolte s’imposent.
La première journée, c’est très dur. Mais après ça passe
“Samedi, on avait des Parigots, des jeunes, des chercheurs, des intellectuels..., on leur a tous mis une demi-route dans la vue. Au bout de deux heures, ils sont cassés, ils ont mal aux genoux, au dos, ils travaillent assis en traînant le panier par terre", s'exclament Martine et Agnès. Tous s’accordent à dire qu’ici le respect des autres prime sur le rendement ce qui ne semble pas être le cas chez tous les viticulteurs. “Si vous allez dans une grosse boîte, il y en a où cela marche au sifflet”, s’insurge Agnès.
Un revenu d’appoint
Se sentir à son aise, en pleine nature, un autre vendangeur y trouve son compte. Mickaël Langiny, 22 ans, intérimaire de Reims est l’un des petits nouveaux du groupe. “Je cherchais du travail à droite et à gauche et un ami m’a parlé des vendanges. C’est la deuxième fois que je viens. C’est un revenu d’appoint, mais même si c’est une petite paie, cela va m’aider à payer l’assurance de ma voiture”, explique le jeune vendangeur.
Tous sont encore une fois unanimes. Les vendanges ce n’est pas une partie de plaisir même si l’ambiance allège les difficultés de l’exercice.
Le mal de dos, il est là mais on fait avec.
Des difficultés à recruter
Alors est-ce une raison de la désaffection des candidats depuis quelques années ? Agnès a son idée sur la question. “Le problème pour les vendangeurs, c'est qu'ils suppriment leur chômage s’ils font les vendanges, ils préfèrent rester chez eux”, décrypte-t-elle. La courte période des vendanges y est peut-être pour quelque chose.
Cette année, malgré le chômage, personne n’a trouvé de vendangeurs.
"C’est un travail d’appoint qui dure 8 jours et jamais au-delà de trois semaines", précise Agnès. Et cette année, la période est encore plus courte. Il faut cueillir vite pour éviter que les raisins ne pourrissent. “Ce week-end, on a cueilli Taissy sur une journée et demie avec mes enfants et leurs copains. On pourrait faire les vendanges avec l’équipe qui est là mais on va mettre 15 jours au lieu de 5 et, une année comme cela, où le raisin va pourrir, ce n’est pas possible", constate la viticultrice.
Un certificat de taille
Pourtant, la profession s’est structurée et des diplômes et certifications sont délivrées. “Je suis monitrice de la corporation des vignerons de Champagne, je fais passer le certificat de capacité à la taille champenoise. On leur apprend à tailler, un certificat reconnu par le Ministère de l’agriculture”, explique Agnès Cuillier. Une formation qui s’étale de mi-décembre jusqu’à la fin de la taille en mars.
Pour les vendanges, il y a d’autres diplômes proposés par la corporation ou le lycée d'Avize, où ils apprennent le travail de la vigne de A à Z.
Mais pour ces récoltes-ci, les seniors sont autant présents que les jeunes diplômés. Une récolte 2021 particulière et qui demande beaucoup plus de temps. Les gelées et le mildiou ont endommagé les vignes. “Comme le raisin est très mauvais, on perd énormément de temps à trier. A Taissy on l’a déjà fait en sept heures. Là, on a mis quatorze heures avec le même nombre de personnes”, déplore Agnès Cuillier.
Les raisins de la Champenoise, récoltés ce matin, vont poursuivre leur chemin dès le début de l’après-midi vers la coopérative pour être pesés.
À Taissy, sur 1 hectare, j’ai fait 6.777 kg au lieu de 10.000 donc j’ai une perte de 3.230 kg. Cela va m’être débloqué sur ma réserve de 8.000 kg
Cuvée de champagne Canard-Duchêne ou des 6 côteaux, les bouteilles se retrouveront sur les étals et les tables des anniversaires et réveillons.
Une boisson qui ne sera pas forcément savourée par toutes les petites mains qui auront œuvré pour sa fabrication.