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REPLAY. Dérèglement climatique dans les Vosges : à quoi ressembleront les forêts quand tous les sapins auront disparu ?

Dans le massif vosgien, mais aussi dans le reste de la Lorraine, la forêt souffre. Sécheresse et insectes parasites font des ravages. Pour lutter contre ces phénomènes, une solution : introduire de nouvelles essences d'arbres. "Biodiversité : il n'est pas trop tard", une enquête à voir ou à revoir.

En France, la surface des forêts s'étend de plus en plus : 30 % aujourd'hui, contre 19 % il y a un siècle. Et pourtant, les arbres du massif vosgien – affaiblis par la sécheresse – ne vont pas bien. Ils sont de plus en plus vulnérables aux parasites et aux maladies. Et le paysage forestier qu'on connaît aujourd'hui pourrait bien disparaître. Pour laisser place à quelles espèces ? C'est une des problématiques abordées dans notre magazine Enquêtes de région, consacré à la biodiversité dans le Grand Est, à voir en replay et sur France 3 Grand Est, un mercredi par mois à 23h05.

Dans la plaine vosgienne à Maxey-sur-Meuse, le hêtre manque d'eau et dépérit. Certains arbres commencent à mourir, la sève ne circule plus et les cellules ne sont plus alimentées. Le phénomène est observé depuis 2021 par les forestiers dans l'ouest vosgien. Le dérèglement climatique menace la survie du hêtre dans ce secteur. "Selon les études qui sont faites, les hêtres seraient très menacés dans les décennies à venir", raconte Sébastien Malfer, technicien forestier. Les symptômes sont toujours les mêmes, le tronc noircit et le sommet de l'arbre se dépouille de ses feuilles. Affaibli, le hêtre devient alors la proie des insectes. Sauf qu'il n'est pas la seule essence de la plaine à être victime du climat.

À Moriville (Vosges) entre Épinal et Nancy, le chêne y est l'essence majeure, avec un arbre sur trois mort ou condamné. Le directeur de l'office national des forêts Ouest Vosges (ONF), Denis Dagneaux, s'inquiète depuis quelques années de l'accélération de la situation. "On voit très bien le périssement des chênes qui restent, ils n'ont quasiment plus de feuilles. Ils ont souffert de la coupe des arbres environnants, ça donne un effet coup de chaleur au suivant. La canicule a attiré des chenilles processionnaires qui ont consommé les feuilles et complètement affaiblies les arbres." 10.000 hectares de forêts sont ainsi en souffrance dans cette chênaie.

Les arbres ont chaud et soif

Ces arbres qui sont parfois âgés de plus de 200 ans ont adapté leur système racinaire au niveau de la nappe phréatique. Ces cinq dernières années, la nappe est brusquement descendue. Le système racinaire n'a pas suivi, ce qui explique ces phénomènes de dépérissement.

Selon les scénarios du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), la température de la planète pourrait augmenter de deux à plus de quatre degrés, d'ici la fin du siècle. Les forestiers de l'agence de l'ONF Vosges Montagne sont particulièrement inquiets quant à la survie de la forêt de Girmont-Val-d'Ajol (Vosges).

Il faut s'attendre à la disparition du sapin en basse altitude. [...] C'est impressionnant, un arbre qui vit un siècle et demi peut mourir en trois mois.

Gilles Oudot, responsable de l'unité territoriale de l'ONF Vosges Montagne

"Le Giec a un objectif de limiter l'augmentation de la température de deux degrés au niveau mondial, mais ici, au piémont des Vosges, on a déjà atteint ces deux degrés, commente Gilles Oudot, responsable de l'unité territoriale de l'ONF Vosges Montagne. Il faut s'attendre à un changement progressif de nos paysages forestiers et à la disparition du sapin en basse altitude, d'ici à 2050."

Le sapin, l'essence emblématique du massif vosgien, pourrait disparaître du paysage en dessous de 700 mètres d'altitude en 2050. Le Val-d'Ajol est à 600 mètres d'altitude, mais déjà depuis 2020, le sapin est en grande souffrance. Jean-François Colle, exploitant forestier constate l'ampleur du drame : "tous les sapins autour de nous dépérissent, ce n’est pas normal. Ça fait quatre ans qu'on ne fait que de l'abattage. Si je suis égoïste, c'est très bien pour mon travail, j'ai du boulot toute l'année. Mais pour nos enfants, il faut s'inquiéter."

Les insectes font des ravages

Les sapins ont souffert des sécheresses successives et des longues périodes de canicule. "Face à cet affaiblissement, le pissode – un petit coléoptère – se développe. En se développant sous l'écorce, il empêche la circulation de la sève et l'arbre meurt très rapidement, constate Gilles Oudot. C'est impressionnant, un arbre qui vit un siècle et demi peut mourir en trois mois."

Avec ces coupes rases et ces attaques de scolytes à répétition sur l'épicéa, les forestiers sont traumatisés depuis 2018. Dans les Vosges, 3.500 hectares de forêts ont été coupés, soit 2 % de la surface gérée par l'ONF. Par vigilance, le scolyte est aujourd'hui observé de très près, grâce à des pièges mis en place par le département santé de la forêt.

"Le piège à scolytes nous donne une idée de l'impact des insectes. Les larves se développent, puis au bout de six semaines, l'écorce tombe et les insectes vont envahir d'autres arbres, raconte le responsable de l'unité territoriale de l'ONF Vosges Montagne, Gilles Oudot. Le scolyte s'envole à une température comprise entre 18 et 20 degrés. Avec le climat actuel, au lieu de s'envoler à la fin du mois d'avril et de mai, il s'envole aujourd'hui plus tôt dans l'année."

Le scolyte sur l'épicéa, comme le pisote sur le sapin, prolifère avec le réchauffement climatique. Les prédateurs naturels comme le clairon ne suffisent pas à avaler les milliers d'insectes. Il faut alors couper ces arbres contaminés et replanter des essences résistantes à la sécheresse et la chaleur, tout en laissant la forêt se régénérer seule. "Le maître-mot de tout ça, c'est la diversité. On s'en sortira et on s'adaptera à ce dérèglement climatique, grâce à des forêts plus diversifiées", conclut Gilles Oudot.

Des centaines de milliers d'arbres replantés

La forêt domaniale de Verdun (Meuse), est la plus impactée par le scolyte en Lorraine. L'ONF tire les leçons du passé, face à une monoculture comme l'épicéa aujourd'hui ravagé par l'insecte. Les forestiers ont été contraints de s'adapter.

Guillaume Rouard, technicien forestier à l'ONF Verdun l'admet, "on fait beaucoup de tests, puisque le changement climatique est très aléatoire, on ne sait pas comment ça va évoluer. La monoculture est un échec. Des surfaces complètes sont à nu. Maintenant, l'objectif, c'est de venir implanter des essences diverses – essentiellement du bassin méditerranéen – au milieu de ce qui peut éventuellement régénérer naturellement."

Tous les ans, on doit replanter ce qui va peut-être mourir. Moralement, c'est usant. On veut que les arbres poussent bien.

Yannick Vera, responsable environnement à l'ONF Verdun

Près de 350.000 arbres ont été replantés sur l'agence de Verdun, des cèdres de l'Atlas, des pins d'Alep, des sapins de Céphalonie, et tant d'autres. À raison de 10.000 euros l'hectare, les forestiers n'ont guère droit à l'erreur. Confrontés non seulement à l'évolution du climat, ils doivent aussi faire face à un autre problème : le gibier qui vient se nourrir des jeunes plants.

"C'est un gros problème le gibier, regrette Guillaume Rouard. Sur des plantations de plusieurs centaines de milliers de plans par an, le gibier s'est développé avec toutes ces zones ouvertes. Les sangliers peuvent se reproduire plus facilement. On se retrouve avec des populations exponentielles de sangliers et de chevreuils, d'où l'augmentation forcée des plans de chasse." Des plans de chasse qui ne sont pas toujours faciles à obtenir, mais il faut malgré tout persévérer, et planter la forêt de demain. Des plans que les pépiniéristes fournissent parfois avec difficulté à l'ONF, tant la demande est forte.

Les forestiers poursuivent le combat

Accompagner une forêt en souffrance face au dérèglement climatique, est devenu le nouveau quotidien des forestiers. "Ce n’est pas le même métier qu'il y a quelques années, constate Guillaume Rouard, forestier. Je pense qu'on est plus dans le doute et dans l'incertitude sur ce qu'on fait au quotidien." Son collègue Yannick Vera, responsable environnement à l'ONF Verdun, déplore lui aussi la situation. "On en a encore pour au moins douze ans de plantation. Tous les ans, on doit planter beaucoup d'arbres, et en plus, on va recommencer et replanter ce qui va peut-être mourir. Moralement, c'est usant. On veut que les arbres poussent bien."

La forêt finira par s'adapter au climat futur. Avec plus de lumière dans ces replantations. Davantage de biodiversité dans cette forêt nouvelle et mosaïque. Elle deviendra résiliente. Seule certitude, elle ne ressemblera en rien à celle d'aujourd'hui.

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