AUCHAN. Hypermarchés boudés, emploi en danger, réformes dans l'urgence... Faut-il s'inquiéter pour l'enseigne nordiste ?

L'annonce des mauvais résultats d'Auchan en 2018 a généré de multiples questions : l'enseigne nordiste vit-elle une crise grave ? Pourquoi est-elle plus touchée que ses concurrents ? Comment se relever ?

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"Je savais que ça n'allait pas bien mais à ce point-là...". Guy Laplatine, délégué CFDT Auchan, reconnaît que le chiffre a fait grand bruit dans l'entreprise nordiste. Auchan a perdu un milliard d'euros en 2018. "C’est la 1ère fois que de telles performances négatives sont annoncées", constate Bertrand Gobin, journaliste, auteur de plusieurs livres sur la famille Mulliez (propriétaire d'Auchan). 

Faut-il s'en inquiéter ? L'entreprise qui emploie environ 355 00 000 salariés dans le monde (73 800 personnes France, dont 13 000 dans le Nord Pas-de-Calais -1er employeur privé) est-elle vraiment en difficulté ? Peut-elle se relever ? Comment ? 
 

Auchan va-t-il plus mal que les autres hypermarchés en France ? 



OUI. Le secteur de la distribution est en crise mais certaines enseignes tirent mieux leur épingle du jeu (Leclerc, Intermarché...). Auchan a vu son chiffre d'affaires en 2018 reculer de 3,2%. 

Le modèle Auchan est spécifique, essentiellement fondé sur un réseau d'hypermarchés, des très grandes surfaces. Celles que justement les consommateurs ont tendance à bouder. 80% de ses ventes se font dans ces hypers. Dans le Top 100 des plus gros hypermarchés en France, 42 appartiennent à Auchan (chiffres 2017). Tous ou presque voient leur chiffre d'affaires baisser régulièrement. Drive, commerces de proximité, ventes en ligne : la concurrence est désormais multiple. 

Contrairement à d'autres enseignes, Auchan a donc peu d'hypermarchés, encore moins de supérettes de proximité (type Carrefour city, P'tit Casino...). "La grande cathédrale de l'hypermarché, les gens n'en veulent plus, analyse Guy Laplatine, délégué central CFDT Auchan. C'est inquiétant. Quel est le devenir des hypermarchés, l'entité principal du groupe ? La réponse, c'est la proximité : supermarchés, supérettes. Mais le problème, c'est que l'espace est déjà occupé par d'autres enseignes. Les dirigeants ont fait les mauvais choix à un certain moment. C'était pas bien malin. Maintenant, ça va être dur à rattraper. "

Le modèle né en France dans les années 60, est en perte de vitesse depuis la fin des années 90. "Le modèle économique de l'hypermarché est un peu mis à mal, mais les Français ont toujours envie de consommer, d'acheter, donc c'est à l'hypermarché de s'adapter", souligne Yves Puget, directeur de la rédaction de l'hebdomadaire LSA (Libre Service Actualités). Avec 10,4 % des ventes de la grande distribution française, Auchan occupe désormais la cinquième ou sixième place nationale après Leclerc, Carrefour, Intermarché, Casino et au coude-à-coude avec Système U. 

 


"Les hypers Auchan sont les plus rentables de la profession. En terme de chiffres d’affaires par m2, ils sont très productifs, confirme le journaliste Bertrand Gobin. Cela explique qu'ils aient mis du temps à admettre qu’il fallait réformer. Ils ont trop tardé à réagir. Ils ont peu raté le virage du drive, ils ont raté la fusion avec Système U qui aurait pu les redynamiser."

Il faut ajouter un élément conjoncturel fort à ces difficultés structurelles : les blocages des accès aux magasins en novembre et décembre 2018 auraient coûté 140 millions d'euros de chiffre d'affaires à Auchan France.

Et à l'étranger, l'année a été mauvaise : Auchan a fermé en Russie 11 magasins et en fermera 30 en 2019. En Italie, 23 magasins déficitaires ont été aussi fermés. Seule la Chine reste un marché en forte croissance pour Auchan. 
  

L'emploi est-il en danger ? 


NON. Pour l'instant. Aucun plan de réduction d'effectifs, notamment en France, n'est programmé, a assuré en fin de semaine dernière Edgard Bonte, le nouveau président du directoire de la société. Aucun plan de licenciement en vue. "On n'en pas à ce point-là, résume Guy Laplatine, délégué CFDT. Mais il y a une inquiétude sourde qui plane. Si les projets de réorganisation ne fonctionnent pas, ça nous pend au nez."

Les syndicats pensent d'ailleurs déjà la suite. Ils veulent faire reconnaître par la justice que les enseignes appartenant à la famille Mulliez forment bien un groupe. "On doit pouvoir recaser les salariés à l'échelle du groupe, dit Guy Laplatine. Economiquement, ils fonctionnent comme ça donc socialement, ça devrait être pareil. C'est de plus en plus urgent."

Un procès est en cours mais dans cette période difficile pour Auchan, la CFDT (qui est le 2ème syndicat derrière la CFTC) se dit être dans une attitude très constructive : "On ne veut pas tirer sur l'ambulance. Il faut tout faire pour préserver l'emploi. Recréer une dynamique. On perd des clients. A moyen terme, on espère que le plan mis en place va avoir de l'effet."

"Auchan n'exclut pas certains renoncements, c'est-à-dire de vendre certains magasins non rentables. Dans ce cas, les conséquences sociales ne seraient pas directement dans l'entreprise", explique Bertrand Gobin. 

 

Que va faire Auchan pour se relancer ?
 



Les mauvais résultats étaient dans l'air depuis quelques mois. Et ont au déjà eu des conséquences. En novembre 2018, Régis Degelcke, à la tête d'Auchan Retail depuis seulement un an, a été débarqué avec son directeur général Wilhem Hubner. Edgard Bonte, le gendre de Patrick Mulliez (le frère de Gérard, fondateur d'Auchan) a été chargé du plan "Renaissance". "C’est quelqu’un qui est dans la sphère d’influence de Gérard Mulliez (NDLR : le fondateur)", analyse Bertrand Gobin qui rappelle que la famille Mulliez est connue pour son pragmatisme dans les situations de crise.

"Je suis de la famille ce qui me permet d'être libre de mes actes et de mes prises de position",  soulignait Edgard Bonte la semaine dernière. 
 
De nombreux projets ou hypothèses ont été évoqués la semaine dernière par la direction d'Auchan devant la presse. Edgard Bonte dit vouloir aller vite. Le temps presse. De nombreuses pistes ont déjà été évoquées. 

Tous les hypers, supers et drives vont passer sous l'enseigne Auchan, une opération qui est déjà en cours depuis plusieurs mois. Le développement du "phygital" (combinaison des ventes sur internet et en magasin) avec notamment l'utilisation des hypermarchés comme points de stockage pour les livraisons de plusieurs enseignes de la galaxie Mulliez (Decathlon, Boulanger, Leroy Merlin, Norauto ou Kiabi). Auchan a récemment ouvert un "drive-piéton" dans le centre de Lille, et installé des casiers automatiques à côté d'entreprises

D'autres entreprises de la galaxie Mulliez vont vendre dans les hypermarchés Auchan. Des "corners" qui existent déjà dans d'autres enseignes ((Darty chez Carrefour, Cdiscount chez Géant Casino) mais Auchan veut aller plus loin. On pourra bientôt acheter des articles de sport Decathlon ou des télés Boulanger dans les allées d'un hypermarché. Ces partenariats, qui donneront accès aux "meilleurs spécialistes" du non-alimentaire aux clients de l'enseigne, seront testés dans cinq magasins au second semestre en France. "Si Auchan diminue la taille de ses magasins tout en utilisant l'espace pour des entreprises qui sont dans la famille, on peut penser qu'il y aura moins de conséquences sur le plan social", analyse Bertrand Gobin.

Auchan va baisser "de moitié" les investissements, ce qui génèrera "plusieurs centaines de millions d'économies en année pleine". Baisser les investissements, c'est notamment retarder la modernisation des magasins. "Or les clients n’aiment pas les magasins vieillisants, rappelle Bertrand Gobin. Dans certains magasins où le niveau d’investissement est trop faible, cela se fait déjà sentir. Ce n’est pas de bon augure."

L'enseigne nordiste qui a décidé de s'allier avec Metro, Casino et Schiever espère aussi récolter les effets de cette grosse centrale d'achat (la 2ème plus importante au monde). 

Beaucoup de projets, pour quelle réussite ? "Auchan est une entreprise très bien organisée, structurée, précise Bertrand Gobin. Mais du coup, c'est aussi une machine très lourde à faire bouger. En ces temps difficiles, cette structure n’est pas un gage d’agilité."
 
Dans cette masse de projets ambitieux, une voix s'est fait entendre la semaine dernière et a surpris tout le monde. Celle de Gérard Mulliez, 87 ans, fondateur d'Auchan. "Les professeurs aujourd'hui ont constaté que les maladies sont la conséquence d'une malbouffe beaucoup plus que d'autres choses. Aujourd'hui, beaucoup de médecins commencent à comprendre que le meilleur moyen de guérir un cancer, c'est de bien manger, de la nourriture saine", a raconté M. Mulliez, 87 ans, devant quelque 380 dirigeants d'entreprises, lors d'un déjeuner à Marcq-en-Baroeu (Nord). Comme aujourd'hui, ça commence à se savoir (...) Tout le monde sera obligé de faire de la permaculture comme les ouvriers il y a 50 ans avaient leurs jardins potagers", a poursuivi celui qui régna jusqu'en 2006 sur un empire familial créé à partir du tout premier magasin français de "hard discount".

"Je souscris totalement, sourit Guy Laplatine, délégué CFDT. Les gens n'achètent pas des prix, ils veulent du bon. Moi, je suis d'accord, ça me va bien. Mais les Mulliez ont développé tout le contraire." "C'est le paradoxe extraordinaire de Gérard Mulliez, insiste Bertrand Gobin. Il a des postures écolos alors que c'est le modèle industrialisé dont il est l'inventeur qui a produit ce qu'il dénonce...". 


 
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