Rencontrés dans les rues de Lille, des jeunes de moins de 25 ans nous expliquent leur vote en faveur du Rassemblement National. L’argument qui les séduit le plus : la lutte contre l’immigration et l’insécurité.
S’il faut souligner que ce sont les 18-24 ans qui se sont le moins déplacés pour voter – avec un taux d’abstention avoisinant les 53 % – les scores de l’extrême droite chez les jeunes peuvent toutefois surprendre. En effet, 32% des votants de 18 à 34 ans ont voté pour le Rassemblement National aux élections européennes, selon un sondage Elabe pour BFMTV.
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Dans le centre-ville de Lille, attablé avec une amie dans la "rue de la soif" ce mercredi 12 juin, Romain 22 ans, fait partie des (presque) convaincus par le RN. Pour les législatives 2024, ce professeur de chimie hésite entre l’extrême droite ou la droite (LR). "D’habitude, je suis plutôt RN", précise-t-il.
Intéressé par la vie politique, même s’il n’a pas encore consulté les programmes des différents partis, Romain s’informe grâce aux chaînes d’informations en continu, comme BFM TV, LCI et "rarement" CNews. Surtout, ils trouvent ses informations "sur Twitter". Il ne suit pas de comptes en particulier et se contente de "regarder les tendances".
Les jeunes RN très préoccupés par l'immigration
Alors pourquoi ce jeune homme vote-t-il pour le parti de Jordan Bardella ? "Surtout, à cause de la question des OQTF qui traînent en longueur", explique-t-il. "Un très faible pourcentage est exécuté."
L’OQTF (obligation de quitter le territoire français) concerne les étrangers présents sur le territoire national depuis plus de trois mois à qui on a refusé une carte de séjour ou son renouvellement et les personnes en situation irrégulière, qui sont entrées illégalement sur le territoire ou dont la durée de visa est dépassée. Le sujet du "laxisme migratoire" de l’État est un argument massivement utilisé par le Rassemblement National et ses électeurs.
Il faut rendre la France aux Français ! C’est pas du tout un truc en mode "contre les étrangers" mais c’est par rapport à la sécurité…
Lilou, 18 ans, étudiante en droitélectrice du RN
À la terrasse d’un café, quelques rues plus loin, l’immigration est aussi un sujet qui inquiète Lilou et ses trois copines. Les jeunes femmes, tout juste majeures, s’informent "énormément réseaux sociaux" et via leurs parents. Pour ces étudiantes en droit à l'université catholique de Lille, l’immigration est un enjeu économique et sécuritaire. Hortense, 18 ans, évoque notamment le meurtre de Lola, 12 ans, par une femme sous le coup d’une OQTF en 2022. "Ce n’est pas normal !"
“Des gens qui ne sont pas suffisamment assimilés”
Lilou abonde : "Il faut rendre la France aux Français ! C’est pas du tout un truc en mode ‘contre les étrangers’ mais c’est par rapport à la sécurité… Avec les islamistes dangereux, le terrorisme." Elle pointe aussi du doigt des étrangers "qui profitent du système et viennent se plaindre".
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Même son de cloche pour Edgar, 21 ans, qui prend sa pause devant une école d’ingénieurs lilloise. Il ne s’informe "pas vraiment via les médias traditionnels", mais plutôt "sur Instagram, avec Gonzo News et Occidentis" [deux comptes d'informations d'extrême droite ndlr] et "en regardant les débats".
Il l’affirme : "Il faut plus contrôler, et que les OQTF soient appliquées. Parce qu’on est souvent confronté à l’immigration et à des gens qui ne sont pas suffisamment assimilés et qui font beaucoup de bruit." Le jeune homme relie lui aussi le sujet à une question de sécurité, affirmant avoir été récemment agressé par "un mineur isolé".
Une politique migratoire française pourtant pas si laxiste
D’après les chiffres publiés par la Direction Centrale de la Police Aux Frontières (DCPAF) et par la Cour des Comptes, ces dernières années, le nombre d’OQTF prononcées et exécutées ne cesse de croître. En 2011, sur 59 998 OQTF prononcées, 10 016 ont été exécutées (soit 16,7 %). En 2022, c’était 134 280 OQTF prononcées pour 15 400 exécutées (soit 11,4%, et non 5% comme l'a affirmé Jordan Bardella lors d'un débat face à Gabriel Attal). Ainsi, en 11 ans, le volume de départs a été plus important.
Sur les cinq dernières années, le nombre d’obligations de quitter le territoire français délivrées a augmenté de 60 %.
La Cour des Comptes
"Sur les cinq dernières années, le nombre d’obligations de quitter le territoire français délivrées a augmenté de 60 %", affirme même la Cour des Comptes dans un rapport publié en janvier 2024. Toujours selon la juridiction, la France est le premier pays de l’Union Européenne en termes d’OQTF (prononcées et effectives). La politique migratoire n’est donc pas si laxiste, malgré les discours de l’extrême droite et les impressions de ces jeunes électeurs.
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Au-delà des chiffres des OQTF, quid de ce sentiment d’insécurité persistant, qui serait en lien avec l’immigration ? D’après Statista, "près de 60% des Français déclarent ne pas se sentir en sécurité". Ce thème figurait ainsi “parmi les quatre thèmes” qui ont le plus compté pour les Français au moment de voter aux élections européennes.
Pas de véritable lien entre délinquance et immigration
Edgar, Lilou et leurs camarades sont donc loin d’être les seuls à craindre pour leur sécurité… Est-ce pour autant "la faute des étrangers" comme l’un d’entre eux l’affirme ce mercredi à Lille ?
Dans une chronique de juin 2023, le politologue Clément Viktorovitch revenait sur une statistique souvent mise en avant par l’extrême-droite pour faire le lien entre immigration et délinquance : "oui, les étrangers représentent bien, en France, 7% de la population totale, mais 23% des individus en prison".
Moi je veux pouvoir dire et penser ce que je veux sans être une facho.
Lilou, 18 ans, étudiante en droitélectrice du RN
Expliquant les biais statistiques et citant de nombreuses études (notamment du Défenseur des droits), il met cependant en lumière que "les études concluent unanimement à l’absence d’impact de l’immigration sur la délinquance." La principale raison de la surreprésentation des étrangers dans la population carcérale est "la conséquence d’un traitement discriminatoire tout au long des chaînes policières et judiciaires".
Un vote de “curiosité”
De façon plus diffuse, les jeunes rencontrés à Lille évoquent aussi d'autres arguments en faveur du Rassemblement National. Comme le manque de considération du gouvernement actuel pour eux : "par exemple, je trouve ça honteux de devoir dégager des étudiants de leurs appartements pendant les JO", explique Romain. Mais aussi "la propagande woke et LGBT", pour les filles de La Catho : "il y a des drag queens dans les écoles !", s’inquiète Hortense.
Lilou est aussi agacée par "toutes ces personnes qui touchent les aides sociales". "Moi je vais me taper 7 ans d’études", explique-t-elle. "Et demain je vais donner de l’argent à des gens qui ne travaillent pas et à des gens qui ont tout dans la bouche…"
Je serais curieux de voir le RN au pouvoir pendant 2 ans… Est-ce qu’ils vont se casser la gueule ou pas ?
Edgar, 21 ans, étudiant en école d’ingénieurélecteur du RN
Pour Edgar comme pour Romain, dans le vote RN, il y a aussi l’intérêt de la nouveauté : "Je serais curieux de voir le RN au pouvoir pendant 2 ans… Est-ce qu’ils vont se casser la gueule ou pas ?", dit le premier. "Bardella et Le Pen n’ont pas encore eu « la chance » d’aller au pouvoir et donc de mettre les directives politiques de leur parti en place…", estime le second.
Pas de crainte sur un potentiel recul des droits
Concernant les craintes exprimées par certains électeurs de voir leurs droits reculer, Lilou estime que "c’est de la désinformation !" "On essaie de faire passer Jordan Bardella pour un monstre", glisse-t-elle. Lasse de ces idées reçues, elle ajoute : "moi je veux pouvoir dire et penser ce que je veux sans être une facho".
Si on me demande "est-ce qu’il y a encore un politique en qui on peut vraiment avoir confiance ?" Je dirais que non.
Romain, 22 ans, professeur de chimieélecteur du RN
Edgar est d’accord : "J’ai des potes qui sont homos et lesbiennes et je ne veux pas que leurs droits reculent ! Et pour le coup, je serais le premier à ne pas voter pour le Rassemblement National si je savais que ma copine aurait moins de droits avec le RN". Le jeune homme affirme ensuite être "plutôt contre la PMA" et préfère "ne pas se prononcer au sujet de l’IVG".
Romain, lui, "ne pense pas qu’il y ait lieu de s’inquiéter" mais estime que "c’est très difficile" d’en être sûr. "Si on me demande : est-ce qu’il y a encore un politique en qui on peut vraiment avoir confiance ? Je dirais que non", conclut le jeune homme, qui, finalement, ne croit pas vraiment non plus en Jordan Bardella et Marine Le Pen.