ENTRETIEN. "Nous avons quatre semaines de retard sur le virus" estime Philippe Amouyel, épidémiologiste au CHU de Lille

Alors que le pic de la deuxième vague n'est pas encore atteint dans les Hauts-de-France, le nombre de patients hospitalisés a dépassé les chiffres de mars dernier. Pourquoi notre région est si touchée ? Comment envisager les prochaines semaines et Noël ? Interview du professeur Philippe Amouyel.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Couvre-feu, puis confinement. Hospitalisations plus importantes que lors de la première vague dans la région, services de réanimation quasiment saturés, transfert de patients de la région vers l’Allemagne… Les Hauts-de-France, et particulièrement les départements du Nord et du Pas-de-Calais, subissent de plein fouet la deuxième vague de l’épidémie de Covid-19. Restrictions après restrictions, chiffres plus alarmants les uns que les autres, nous avons voulu faire le point sur la situation actuelle et les perspectives d’évolution dans la région avec Philippe Amouyel, professeur de Santé Publique et directeur du service épidémiologique au CHU de Lille. Selon lui, il faut dès à présent se pencher sur une stratégie claire pour la sortie du confinement et tout faire pour éviter une troisième vague.

Quelle est la situation début novembre dans la région ?

Au 3 novembre, 2706 patients sont hospitalisés dans les Hauts-de-France, dont plus de la moitié dans le Nord. Le département enregistre actuellement près de 60% d’hospitalisations en plus par rapport au pic de la première vague, atteint le 14 avril dernier.
Dans le Pas-de-Calais, un record d’hospitalisations a également été enregistré au tout début du mois de novembre.

Au-delà des hospitalisations "maitrisables" selon Philippe Amouyel, le professeur observe de très près l’occupation des lits en soins intensifs. "On sait que parmi ces gens hospitalisés, un certain nombre vont devoir passer en réanimation. Ils y restent en moyenne 15 jours. Là est le gros problème". Néanmoins, contrairement à la première vague, "les soignants sont mieux préparés à l’accueil des patients dans ces services", dit-il. "Au printemps, les effectifs doublaient en réanimation tous les 3 jours. En ce moment, le doublement a lieu tous les 15 jours environ".

Dotée initialement de 438 lits de réanimation d’après le dernier décompte du gouvernement effectué en 2019, 100% des lits de réanimation dans les Hauts-de-France sont occupés par des patients Covid au 3 novembre. Cependant, ce nombre fluctue dans le temps puisque l’Agence Régionale de Santé (ARS) peut armer de nouveaux lits en fonction des besoins, ce qu’elle vient d’ailleurs de faire pour la troisième fois consécutive en 10 jours : la région dispose désormais de 800 lits de réanimation disponibles.

"Nous avons quatre semaines de retard sur le virus"

Ces données ne cessent d’augmenter et devraient, d’après les prévisions du professeur, "atteindre leur maximum dans une dizaine de jours. Les semaines du 2 au 9 et du 9 au 16 novembre vont être très dures pour nos hôpitaux" prévient-il. Car les patients admis en réanimation depuis début novembre sont "le reflet de la circulation du virus au 6 ou 7 octobre, soit avant la mise en place du couvre-feu, explique Philippe Amouyel, puisque les personnes contaminées à cette date ont mis environ une semaine pour voir apparaitre les symptômes, une semaine supplémentaire pour voir apparaître les complications avant de se rendre à l’hôpital et d’être admis en réanimation." 

Un situation qu’on aurait pu éviter selon lui, car les mesures de restriction ont été mises en place beaucoup trop tard. "Nous avons actuellement quatre semaines de retard sur le virus, et il prévient. On a eu des réservoirs de patients avant l’annonce du confinement. La vague continue à monter.  Si on avait mis en place le confinement un mois plus tôt, on ne serait pas là où on en est."

Pourquoi le Nord et le Pas-de-Calais sont particulièrement touchés ?

Au-delà du retard pris dans les mesures restrictives face au virus d’après le professeur, le département du Nord - l’un des plus touchés en nombre d’hospitalisations et de patients réanimation en France - concentre beaucoup de facteurs propices à la circulation active du virus. "Les départements qui sont les plus touchés sont ceux où il y a des grandes métropoles comme Lille, Marseille, Paris, Lyon ou Grenoble. Il y a un fort brassage de population."

À cela s’ajoute la moyenne d’âge, "jeune dans le Nord", le sexe, l’IMC et le niveau socio-économique. "Je pense bien évidemment à Roubaix, ville la plus pauvre de France", qui enregistrait il y a une dizaine de jours le taux d’incidence le plus important de France et transférait ses premiers patients dans d’autres hôpitaux de la région

"Beaucoup de roubaisiens habitent dans des appartements à plusieurs. Certains n’ont pas les moyens d’investir dans les masques, raconte Philippe Amouyel. Quand on regarde New York par exemple, les points d’alimentation du virus venaient du Bronx et des quartiers pauvres de la ville."Enfin, le professeur pointe du doigt la difficulté pour certains à respecter les gestes barrières, arme la plus efficace contre le virus dans l’attente d’un vaccin.

À quand une baisse des hospitalisations et de l’accueil des patients en réanimation ?

Ces baisses interviennent toujours après une baisse des contaminations, c’est-à-dire du taux d’incidence : les restrictions mises en place ont un impact sur le nombre de contaminations, donc sur les hospitalisations moins nombreuses, les admissions en réanimation et les décès.

"Quand on prend un décision, il faut attendre un certain temps avant qu’il y ait un impact, c’est l’inertie du système." Au regard des études menés sur lors de la première vague, cette durée incompressible équivaut trois semaines.

L’évolution du taux d’incidence de la métropole européenne de Lille (MEL), qui compte plus de la moitié des habitants du département du Nord, en est l’exemple : 
  • le 10 octobre dernier, la MEL bascule en alerte maximale. Les bars sont totalement fermés, un nouveau protocole sanitaire est appliqué dans les restaurants et les rassemblements sont interdits.
  • le 17 octobre, un couvre-feu de 21 heures à 6 heures est instauré dans les 95 communes de la MEL, puis étendu à tout le département du Nord.
  • le 30 octobre, le confinement est décrété sur l’ensemble du territoire.
Au 1er octobre, le taux d’incidence atteint 284 pour 100 000 habitants dans la MEL. Quatre semaines plus tard, il frôle le cap des 1000 contaminations pour 100 000, soit une personne positive à la Covid-19 sur 100. Entre ces deux données, différentes mesures restrictives - dont le couvre-feu, puis le confinement - ont été mises en place.
Et depuis le début du mois de novembre, soit quasiment trois semaines après la mise en place du couvre-feu, on observe une légère baisse des contaminations, qui devra être confirmée dans les jours à venir. 

Concernant les hospitalisations et les admissions en réanimation, Philippe Amouyel prédit les premiers signes de baisse "autour du 20 novembre, si tout va bien". Soit entre trois et quatre semaines après la mise en place du confinement.

Vers un déconfinement avant Noël ?

Alors l’objectif initial d’un déconfinement au 1er décembre fixé par le gouvernement est-il envisageable ? Impossible de faire des prédictions pour le moment avancée professeur. Néanmoins, au printemps dernier, "les admissions en réanimations baissaient de 40% chaque semaine au bout de la 3ème semaine de confinement", rappelle Philippe Amouyel. 

À cette donnée s’ajoutent les mesures restrictives prises en amont de l’annonce du confinement, contrairement à mars dernier. "Les vacances scolaires de la Toussaint et le couvre-feu devraient freiner les contaminations. Il faut espérer que ces deux facteurs, associés au confinement, cassent le modèle de projection. La machine des contaminations pourrait ainsi être bien refroidie à la mi-décembre."

"Ce n’est pas parce que les chiffres von augmenter ces deux prochaines semaines que les mesures ne sont pas bonnes."

Philippe Amouyel, professeur et épidémiologiste au CHU de Lille

Pour autant, même si les mesures restrictives seront peu à peu levées, le cap des 5000 hospitalisations quotidiennes fixé par Emmanuel Macron ne devrait pas être atteint de si tôt. Le professeur tient à apporter une précision. Si l’évolution de l’épidémie. permet de passer des fêtes de fin d’année en famille, "Noël ne sera de toute façon pas normal puisqu’on devra à minima porter un masque et rester à bonne distance de nos parents et grands-parents."

Tester, tracer, isoler… la bonne solution pour la suite ?

Comment garder espoir ? Alors même que le pic de cette deuxième vague n’est pas encore atteint dans les hôpitaux de la région, Philippe Amouyel pense déjà à l’après confinement avec un mot d’ordre : casser l’épidémie sans quoi "nous allons nous prendre une troisième vague en février."

"Le personnel de santé ne tiendra pas une troisième vague. Si j’ouvre des lits, je combat l’épidémie par ces complications pas par la cause. Il faut aller stopper la progression de l’épidémie en amont."

Philippe Amouyel, professeur et épidémiologiste au CHU de Lille

Une expérimentation attire d’ailleurs toute son attention. Le week-end dernier, la Slovaquie a mis en place un dépistage massif de toute sa population. Soit 5,6 millions de personnes testées sur deux jours. "Pour faire ce genre de stratégie, il ne faut pas qu’il y ait trop de cas, donc la sortie du confinement avec 5000 contaminations par jour correspond bien à cette objectif, explique-t-il. Ainsi, on identifie les cas positifs, les cas contacts, on les isole et on casse la progression. On répète le dépistage massif deux à trois fois, le virus est mort dans l’oeuf et ça nous permet de tenir jusqu’au vaccin sans enchaîner les confinements." Certes, un pays comme la France et ses 66 millions d’habitants n’est pas comparable avec la Slovaquie, mais cet. argument est infondé selon le professeur. "Ça n’est pas impossible (de tester massivement) en France. Même si ça coute cher, c’est toujours moins que ce qu’on dépense lorsque tout un pays est placé sous cloche."
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité