"Une vraie fierté" : le renouveau de l’ancienne usine Tissel, sous le signe de l'économie circulaire à Roubaix

Une dizaine d'entreprises ont installé leurs chaînes de production au sein de l'usine Tissel, à Roubaix. Entre recyclage, relocalisation et innovation, de nouveaux pionniers de l'économie construisent l'avenir dans ce lieu historique, symbole de l'industrie textile.

Une surface de 11 000m2, et donc, un immense espace à exploiter. Pourtant, les toitures en dents de scie de l'ancienne usine textile Tissel ont failli l’ajouter à la longue liste des friches industrielles abandonnées… Fermée pendant un an, Tissel, devenue temple de l’économie circulaire, écrit une nouvelle page de l’Histoire roubaisienne.

Ici, on récupère, on répare, on détourne, on fabrique, on innove… Rien ne se perd, tout se transforme. Un collectif d’une dizaine d’entreprises occupe aujourd’hui l’essentiel des locaux de Tissel, nouveau tiers-lieu productif.

À lire aussi >>> "C’est une part de notre passé, c’est important" : une marche pour sauver la briqueterie Chimot de Marly

Réinventer une filière textile française

Augustin Deridder était le premier résident de la manufacture. Créateur de Juin Fait Le Lin, le jeune homme montre que l’innovation est au cœur du projet de renouveau de l’usine Tissel. Cet ingénieur textile invente un nouveau tissu en tricotant le lin, fibre magique et locale. “70% de la production mondiale actuelle de fibres est issue directement de l’industrie pétrolière”, explique-t-il. Second constat : “70% du lin qui pousse actuellement en France est envoyé directement en Asie. En résumé, on porte du plastique et on exporte nos matières naturelles textiles.”

Avec son lin made in France, Augustin entend ainsi “participer à réinventer une filière textile française plus vertueuse, de bon sens, en travaillant le plus localement possible et avec les matières les plus naturelles possibles.” 

C’est hyper satisfaisant de se dire qu’on revient ici pour refaire du textile après toutes les souffrances qu’a eu Roubaix à cause de ça.

Victor Legrain

cofondateur des Trois Tricoteurs

Plus loin, les fondateurs de l’entreprise Les Trois Tricoteurs, formés à Roubaix, ont eux aussi choisi d’entreprendre dans l’ancienne capitale textile française. Au sein de l’usine Tissel, ils relocalisent la production de vêtements : chaussettes, pulls, cardigans, bonnets, écharpes... “C’est hyper satisfaisant de se dire qu’on revient ici pour refaire du textile après toutes les souffrances qu’a eu Roubaix à cause de ça”, affirme Victor Legrain, le cofondateur.

À lire aussi >>> Des vélos 2 à 3 fois moins chers qu'en magasin : bienvenue chez ReCycle-Moi, une association économique, écologique et solidaire

En trois ans, l’entreprise a créé dix-sept emplois. “Une vraie fierté”, pour Victor. Objectif : doubler ce nombre dans les années qui viennent. La particularité des Trois Tricoteurs ? Tout est tricoté à la demande, pour éviter les surstocks et les invendus.

Le mot d'ordre : économie circulaire

Dans tout l’entrepôt, l’esprit “zéro déchet” domine. Plus loin, la marque La Vie est Belt donne une seconde vie à des détritus : “Plus de 10 millions de pneus de vélo sont incinérés chaque année en Europe”, explique le fondateur, Hubert Motte. “Ici, 60 000 pneus de vélos sont transformés en 60 000 ceintures.”

À quelques mètres, on trouve le Parpaing, un comptoir de matériaux de seconde main, puis l’atelier ReCycle moi, une association qui retape des vélos ou encore Dagoma, la plus grande ferme d’impression 3D en Europe. Dans ces Manufactures Tissel, un centre de formation aux métiers du bâtiment a même pris ses quartiers. 150 apprentis y sont sensibilisés à l’économie du réemploi.

Autant d’acteurs différents, qui non seulement cohabitent, mais interagissent les uns avec les autres. L’animation du tiers-lieu a été confiée à l’association Les Manufactures Tissel. Dimitri Broders, le directeur, fait le lien entre les entreprises. La clé de voûte : l’économie circulaire, avec ses trois R, Réduire, Réutiliser et Recycler. “On a envie d’être aventuriers en inventant un nouveau modèle autour de l’économie circulaire”, explique ainsi l’homme à la tête des Manufactures Tissel.

La plus ancienne usine de Roubaix encore debout

Une envie d’être précurseurs dans le domaine qui ne sort pas de nulle part. Car si l’économie du futur se construit ici, elle n’est pas sans s’inspirer de l’épopée industrielle d’une grande famille du textile, débutée en 1840 dans ces hangars.

À lire aussi >>> "Ici, on a trois ou cinq vêtements pour 15€" : bienvenue dans la deuxième plus grande boutique de seconde main de France

 “C’est vraiment incroyable !”, affirme Dimitri Broders – aussi garant de l’Histoire de Tissel.  Il raconte ainsi que trois fils, les frères Ternynck, ont possédé trois usines dans le quartier. Leurs étoffes de laine leur vaudront une renommée mondiale. “Ils innovent tout le temps, ce sont des aventuriers”, explique Dimitri Broders, archives en main.

Les frères Ternynck innovent tout le temps, ce sont des aventuriers.

Dimitri Broders

directeur de l'association Les Manufactures Tissel

Au sein de l’usine Tissel, les médailles obtenues par les Ternynck ont été conservées. “Ces tableaux relatent les différentes expositions universelles auxquelles les frères Ternynck ont participé.” Les entrepreneurs, à l’époque, traversent le monde. “En 1893, Chicago. Monsieur Ternynck traverse l’océan Atlantique et va remporter cette médaille !”, conte Dimitri Broders.

L’empreinte des machines à tisser se lit encore sur les sols. L’épopée des Ternynck a pris fin en 2002. L’usine est alors devenue Tissel, un centre de logistique et de stockage pour des marques de prêt-à-porter.

Tissel est ainsi la plus ancienne usine roubaisienne encore debout. Aujourd’hui, de nouveaux pionniers en ont pris les commandes. Et Roubaix l’industrieuse renaît.