Le 6 mai 2024, la région a fêté les trente ans de l’inauguration du tunnel sous la Manche, par François Mitterrand et la reine Elisabeth II. Les constructeurs du tunnel avaient filmé toutes les étapes du projet et recueilli, au fil des ans, la parole des ouvriers et leurs familles et des architectes du projet. Découvrez un documentaire stupéfiant et des récits inédits.
Pour le trentenaire de l'ouverture du tunnel sous la Manche, un documentaire, "15 000 hommes pour un tunnel", livre les archives, souvent inédites, de l’Amicale des Bâtisseurs du Tunnel et permet aux acteurs du chantier du siècle, ouvriers, ingénieurs, dirigeants et politiques, de revenir sur cette aventure, faite d'espoirs et d'audaces partagés.
Un projet qui arrive à point nommé dans une région sinistrée économiquement
Trois industries avaient fait la richesse du Nord et du Pas-de-Calais, le charbon, le textile et la sidérurgie. Les fermetures des mines, des usines de textile et des aciéries dans les années 1970 et 1980 ont généré un taux de chômage bien supérieur à partout ailleurs en France.
Le chantier du tunnel sous la Manche, conclu en 1987, a apporté un nouveau souffle. Les opérateurs promettaient 75 % d'embauches auprès des habitants, notamment auprès des nombreux anciens mineurs. De fait, la motivation était très forte pour les travailleurs engagés sur le projet et le taux d'absentéisme très bas.
Il y a une sorte de relance européenne au travers de la relance bilatérale [avec] le tunnel sous la Manche, qui pourrait cesser d'être un "serpent de mer", si je puis me lancer dans cette image un peu audacieuse.
François Mitterrand, septembre 1981
Extrait 1/3 : un chantier pharaonique
Le démarrage a cependant été compliqué, avec des défaillances des outils et des perturbations liées à la géologie, des infiltrations d'eau, etc. Il a fallu créer des machines prototypes qui n'existaient pas pour ce chantier aux tailles inédites. Les tunneliers fonctionnaient en mode fermé, un peu comme dans des sous-marins. Le montage financier a été tout aussi complexe que le chantier lui-même. Les retards et dépassements budgétaires ont été nombreux.
Bruit, chaleur, poussière, manque de lumière, les conditions de travail dans le tunnel étaient très difficiles. Plus qu'à la mine ? Les ouvriers travaillaient dans une atmosphère avec 100% d'humidité et 35° de chaleur. Il y a eu des centaines de blessés et trois ouvriers français sont morts dans des accidents sur le chantier. On déplore sept morts du côté anglais.
Extrait 2/3 : des conditions de travail difficiles
Embauches, formation, reclassements à la fin du chantier. Les promesses furent-elles tenues ?
"Il y a eu deux grèves, seulement", raconte Philippe Vandebrouck, ancien directeur technique des travaux du tunnel (TML TransManche Link). L'une sur le puits de Sangatte et l'autre sur l'usine de pré-application, en contestation des différences de primes versées aux employés selon leur affectation. "Dans les médias, on ne parlait que du tunnel, mais jamais du puits, ou des personnes qui fabriquaient les voussoirs (NDLR : les morceaux d'anneaux destinés au revêtement du tunnel), ni du terminal". Ce manque de reconnaissance a accentué le ressentiment, en plus des revendications sur les salaires et l'amélioration des conditions de travail.
Extrait 3/3 : un travail plus ou moins dur que la mine ?
Philippe Cozette, ancien ouvrier du tunnel, raconte : "Au départ, le tunnel sous la Manche, c'est un gigantesque trou, un puits plus précisément, de 65 mètres de profondeur et de 55 mètres de diamètre et dans lequel on aurait pu placer l'Arc de Triomphe". Le puits a permis de mettre en place l'ensemble des installations qui permettaient de faire fonctionner les tunneliers, comme le traitement des boues et des déblais et déchets.
L'ouvrier retraité poursuit son récit, que l'on écoute avec intérêt. "Un tunnelier, c'est une énorme machine cylindrique, avec une tête de coupe, et un train suiveur de 300 mètres de long. Chaque wagon du train représente un chantier. Au fur et à mesure que le tunnel est creusé, les tunneliers, car on appelle également les ouvriers ainsi, doivent poser le cerclage du tunnel et les rails du chemin de fer".
C'est lui, Philippe Cozette, qui fut désigné pour être l'ouvrier qui ouvrirait la jonction entre les deux parties du tunnel, creusées par les Français d'un côté et par les Anglais de l'autre. Cela eut lieu le 1ᵉʳ décembre 1990, à 12 heures, 12 minutes et 12 secondes précisément, moment où le Calaisien put serrer la main de son homologue britannique, Graham Fegg.
Après le chantier, certains ouvriers n'ont pas trouvé de nouveaux chantiers et l'amertume fut grande. Philippe Cozette, lui, s'est reconverti. Il est devenu conducteur du Shuttle, le train qui relie la France et l'Angleterre via le tunnel sous la Manche.
"15 000 hommes pour un tunnel", un documentaire inédit à voir jeudi 12 décembre à 22h50 sur France 3 Hauts-de-France et france.tv.
Grâce à des archives inédites, nous revivons l’histoire de cet ouvrage pharaonique, guidés par les hommes qui ont imprimé sur les terres du Calaisis un morceau de leur vie.
Réalisation : Stéphanie Roussel
Coproduction : Arturo Mio / BFM Grand Lille / Pictanovo / France Télévisions / TV5 Monde