De gros chalutiers néerlandais affichant des rendements nettement supérieurs aux navires de pêche français ont été aperçus dans la Manche ces dernières semaines. Après la polémique autour de la présence du "Margiris", ces bateaux-usines inquiètent.
En deux mois à scruter la Manche, Vincent Schmitt a compté pas moins d'une dizaine de chalutiers géants posant régulièrement leurs filets au large du Pas-de-Calais. Leurs allers et venues inquiètent le guide touristique qui les surnomme les "affameurs mondiaux", dénonçant une mise en danger de la biodiversité et des pêcheurs boulonnais.
Alida, Helen Mary, Maartje Theadora, Zeeland... Autant de navires géants, mesurant tous plus de 100 mètres de long, aperçus ces derniers jours dans la Manche. Affichant des rendements jusqu'à 1000 fois supérieur à leurs homologues français, ils appartiennent pour la plupart à des propriétaires néerlandais. "Si les pêcheurs français ne peuvent plus exercer, on se dirige vers une catastrophe sans nom", prévient Vincent Schmitt qui avait déjà alerté, début octobre, sur la présence du chalutier-usine le "Margiris".
Le navire, mesurant plus de 140 mètres de long et pouvant pêcher jusqu'à 250 tonnes de poissons par jour, avait fait grand bruit dans les médias français lorsqu'il était venu pêcher à une vingtaine de kilomètres des côtes anglaises. Contrôlé par les autorités britanniques, le "Margiris" n'enfreindrait pas la réglementation sur la pêche.
La réglementation européenne prévoit que tout navire battant pavillon d'un État membre de l'UE a le droit de pêcher dans les eaux communautaires. "Mais ce n'est pas parce que ces chalutiers ont l'autorisation d'être là qu'il ont le droit de vider la Manche", répond le guide touristique qui s'étonne : "A l'époque, tout le monde avait réagi avec un seul chalutier, aujourd'hui il y en a dix et personne ne bouge."
C'est la première fois que Vincent Schmitt voit autant de chalutiers géants au même moment dans la Manche, et il n'est pas le seul à s'inquiéter de leur présence. Les pêcheurs craignent que leur activité soit "menacée à court terme" par ces navires dont certains récoltent autant de poissons en une journée que soixante petits pêcheurs en un an, rappelle Stéphane Pinto, marin-pêcheur à Boulogne-sur-Mer et vice-président du Comité régional des pêches.
"Est-ce qu'ils sont en train de se préparer à un Brexit dur ?", se questionne-t-il. Car si la Grande-Bretagne sort de l'Union sans accord, les chalutiers européens seraient exclus des eaux territoriales anglaises. "Il va falloir que la commission européenne réagisse", estime Stéphane Pinto qui pointe également les problèmes de préservation de la ressource posés par ces navires.
"Ils détruisent absolument tout"
L'impact environnemental de ces géants des mers reste préoccupant. "Ils vident les réserves halieutiques", reprend Vincent Schmitt qui a notamment interpellé le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, pour lui faire part de ses inquiétudes.
L'édile avait envoyé une lettre au ministre de l'Agriculture et de l'alimentation pour l'alerter de la situation lorsque le "Margiris" se trouvait dans la Manche. Le ministère avait répondu, le 31 octobre, que ces chalutiers feraient l'objet "d'une attention particulière" des services de contrôle mais n'a pas réagi depuis qu'une dizaine d'entre eux se trouve régulièrement dans cette zone.
"Ces grands navires-usines fonctionnent comme des aspirateurs : ils raclent les fonds marins et détruisent absolument tout. Même si ils rejettent une partie à la mer, cette partie est morte, donc il n'y a pas de renouvellement possible du fond marin", explique Laurent, membre d'Extinction Rébellion, pointant un risque de déséquilibre de l'écosystème.
Pêcheurs et écologistes espèrent que ces chalutiers XXL ne prendront pas leurs quartiers dans la Manche. Depuis la polémique autour de sa présence dans les eaux anglaises, le "Margiris" est, lui, resté à quai aux Pays-Bas.