RESULTATS Présidentielle 2022. "Les gens qui votent Le Pen se sentent seuls et oubliés " : de l'Aisne au Bassin minier, le Rassemblement national explose ses scores

Alors que Marine Le Pen arrive en tête dans les Hauts-de-France, l'Aisne est le département métropolitain qui a le plus voté pour la candidate du Rassemblement national. Dans le Bassin minier, le RN dépasse les 70% dans plusieurs communes au soir du second tour de la présidentielle.

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Avec 59,91 % des voix, l’Aisne est le département de métropole qui a le plus voté pour la candidate du Rassemblement national. Un score en progression de 7 points par rapport au second tour de 2017.

Seule deux villes importantes du département échappent à l’hégémonie du parti nationaliste : Château-Thierry et Soissons. La ville de Xavier Bertrand, Saint-Quentin a préféré Marine le Pen d’une courte tête avec 50,53 % des suffrages ce qui n’était pas le cas il y a 5 ans. A Laon dans la ville préfecture traditionnellement rétive au RN celui-ci arrive en tête avec 52% des voix.

"Emmanuel Macron se fout de la France périphérique"

Ces résultats électoraux confirment donc la tendance du premier tour qui avait déjà vu l’Aisne offrir à Marine le Pen son meilleur score en France métropolitaine.

L’Aisne est une terre de souffrance passée et présente. Emmanuel Macron est le président des métropoles, il se fout totalement de la France périphérique.

Nicolas Dragon, délégué départemental RN

Le cadre du parti de Marine Le Pen rappelle le taux de pauvreté du département de 30% et son manque d’attractivité. "10 000 Axonais ont quitté leur département ces 5 dernières années". Pour le reste, l'élu municipal de Laon insiste sur le coût de la vie et principalement sur celui du carburant dans un territoire où la voiture est nécessaire pour se rendre au travail.

Malgré son château Villers-Cotterêts reste forteresse du Rassemblement national

Dans la cité du Valois où le président sortant a décidé d’inaugurer la future cité internationale de la langue française, le Rassemblement national reste solidement implanté avec plus de 56% des voix, un score amélioré de 7 points par rapport à 2017.

Pour Franck Briffaut le maire (RN) de la ville : "Cela prouve que les Cotteréziens savent faire la part des choses, on n’achète pas les électeurs avec leur propre argent".

À la lueur des résultats locaux, Franck Briffaut égratigne le rapprochement opéré entre le président du conseil départemental Nicolas Fricoteaux (DVD) et Emmanuel Macron ces derniers mois "On ne soutient que les gens qui s’enfoncent".

Le président du conseil départemental, Nicolas Fricoteaux, dit ne pas s’inquiéter de la progression du parti de Marine le Pen "Le vote est l’expression de la volonté de nos concitoyens, je ne suis pas dans le jugement moral. Les habitants n’ont pas encore conscience du travail réalisé car les résultats tardent à se faire sentir dans le quotidien des Axonais" Nicolas Fricoteaux affirme vouloir poursuivre le travail entrepris avec Emmanuel Macron, un président "à l’écoute" des problèmes.

Jacques Krabal député La République en marche du sud de l’Aisne souhaite que la défiance des électeurs soit entendue.

Il existe une multitude de raison à cette exaspération qui s’exprime régulièrement dans l’Aisne, je ne confonds pas ce vote forcément avec celui de la ruralité car il existe des territoires ruraux où Emmanuel Macron est populaire.

Jacques Krabal, député LREM de l'Aisne

L’élu de la majorité insiste sur le sentiment de déclassement, de ne pas être pris en compte. Il appelle aussi à un changement de méthode rapide : "Il faut cesser avec la verticalité du pouvoir et la personnalité du président interpelle, elle est jugée trop lointaine, trop parisianiste".

À Saint-Quentin, le RN devance d'une courte tête Emmanuel Macron avec 50,5 % des suffrages.

Nous faisons partie des territoires pauvres avec beaucoup de petits revenus. Nous sommes inquiets car l'année 202 s'annonce inflationniste.

Frédérique Macarez, maire LR de Saint-Quentin

40 000 voix de plus en 5 ans dans le Pas-de-Calais pour Marine Le Pen au second tour

Du Valenciennois au Béthunois, la candidate du Rassemblement national a consolidé ses scores depuis 2017. À Bruay-sur-l’Escaut, Marine Le Pen obtient 68% des suffrages exprimés au soir du second tour. 65% dans la ville voisine de Caudry. 60% à Denain, 65% à Liévin et Bully-les-Mines, 67% à Nœux-les-Mines.

Toutes ces villes font partie de l’ex-bassin minier, correspondant aux arrondissements de Béthune, Lens, Douai et Valenciennes à cheval sur les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Dimanche, Marine Le Pen y a obtenu 60,4% des suffrages exprimés, soit quasiment 20 points de plus que son score national.

En 5 ans, elle a récolté 40 000 voix de plus au soir du second tour de la présidentielle. Dans le même temps, Emmanuel Macron en a perdu 25 000. 

Dans son fief d’Hénin-Beaumont, ville gérée par le maire RN Steeve Briois depuis 2014, elle dépasse le 67%. Dans la ville voisine de Bruay-la-Buissière, passée sous l’escarcelle du RN aux dernières élections municipales, elle fait encore mieux avec 69,27%.

Un constat : dans toutes les communes du Bassin minier, les scores de la candidate RN sont en nette augmentation. Au lendemain des résultats, nous avons sollicité les maires des communes où Marine Le Pen a réalisé ses meilleurs scores pour comprendre pourquoi de plus en plus d’électeurs glissent un bulletin d’extrême-droite dans l’urne au fil des élections présidentielles.

Un mot revient systématiquement dans la bouche des édiles : l’abandon. Qualifiés d’invisibles ou d’oubliés, ces électeurs votent en grande majorité pour Marine Le Pen. 

"Ils ne croient plus en rien"

Dans le Pas-de-Calais, c’est à Marles-les-Mines que la candidate du Rassemblement national a obtenu son meilleur score avec 76,74% des suffrages exprimés (1 999 voix). Alors qu’elle a gagné 250 voix en cinq ans, Emmanuel Macron en a lui perdu quasiment 200 par rapport au scrutin de 2017.

Ici pourtant, contrairement aux communes voisines d’Hénin-Beaumont et de Bruay-la-Buissière, le maire n’est pas d’extrême-droite. Éric Edouard a été élu sur le fil en 2020 à la tête d'une liste divers gauche face au candidat RN. L'édile n'a aucun doute : "le vote d’hier est un vote de contestation".

Lorsque nous lui demandons pourquoi le score de Marine Le Pen est si élevé dans sa ville, il répond du tac au tac. "Nous avons une concentration de populations pauvres présentant des difficultés sociales (la commune compte 72% de logements sociaux, ndlr). Ils ne croient plus en rien. Ils nous font confiance à nous, les petits maires, parce qu’ils voient qu’on ne fait pas semblant et qu’on travaille tous les jours pour eux. Mais les scrutins nationaux sont l’occasion pour eux de dire : on n’est pas contents".  

87,17% pour Marine Le Pen dans un quartier populaire de Calonne-Ricouart

Dans la commune voisine de Calonne-Ricouart – 5 400 habitants – les résultats sont quasi-identiques : 74,33% pour la candidate RN, 26,67% pour Emmanuel Macron. "Marine Le Pen enregistre 170 voix de plus qu’en 2017, ce n’est pas une surprise pour moi-même si la progression est plutôt faible, réagit le maire divers gauche. C’est surtout le président réélu qui enregistre un recul net du soutien des habitants"Le candidat LREM a perdu 430 voix en cinq ans.  

Selon Ludovic Idziak – réélu maire en 2020 dès le premier tour avec 83,5% face à une liste RN - les habitants des quartiers populaires n’ont pas été entendus pendant le quinquennat qui vient de s'achever. "Ce sont des quartiers où il y a des difficultés sociales, où l’habitat est dégradé et où les gens ont l’impression d’être abandonnés. Quand vous ajoutez à ça l’impression du recul des acquis sociaux de nos anciens, voilà comment la colère s’exprime".

Un exemple concret : la cité 5. Dans ce quartier prioritaire situé à l'est de la commune, le taux de pauvreté dépasse les 40%. Au fil des ans, les commerces de proximité ont baissé le rideau les uns après les autres.

Sélectionnée pour être rénovée dans le cadre de l’Engagement pour le Renouveau du Bassin Minier (ERBM) en 2017, la cité 5 n'a pourtant pas évolué depuis. Conséquence dans les urnes : Marine Le Pen y a recueilli 87,17% des suffrages. "Les quartiers qui sont les plus populaires ont réagi de la manière la plus épidermique qu’il soit en opposition à Emmanuel Macron", résume le maire.  

Problématiques "plus fortes" qu’ailleurs

L’opposition à Emmanuel Macron, longtemps présenté comme le "président des riches", a-t-elle gonflé davantage les scores de la candidate d’extrême-droite dans le bassin minier ? Sans aucun doute, pour le maire communiste de Billy-Montigny.

Dans sa ville, Marine Le Pen obtient 72,01% soit 45 points de plus qu’Emmanuel Macron. Comme à Marles-les-Mines ou Calonne Ricouart, elle a récolté davantage de voix qu’en 2017 contrairement au président sortant qui en a perdu 200 dans la commune.

"Dans le Bassin minier encore plus qu’ailleurs, les habitants sont confrontés à des problématiques plus fortes en termes de chômage, d’espérance de vie et de difficultés sociales en général, avance Bruno Troni. Macron nous a fait la misère pendant 5 ans et avant lui, Hollande n’a pas tenu ses promesses. Les gens en ont marre et veulent autre chose. Avant, on appelait ça des votes de colère mais il faut peut-être se poser la question de savoir pourquoi ces gens désespérés votent Le Pen".

Un vote sanction ?

Dans le Pas-de-Calais, Auchel est la commune de plus de 10 000 habitants qui a offert son meilleur score au Rassemblement national. Avec 71,39% des suffrages exprimés, Marine Le Pen a gagné 7 points en cinq ans. Pourtant le maire sans étiquette de la ville l'assure : "la population d'Auchel n'est pas plus à droite qu'ailleurs"Philibert Berrier en veut pour preuve les scores du parti d'extrême-droite oscillant entre "13% et 15%" aux élections municipales "quand ils présentent une liste".

Dans sa commune, le taux de chômage avoisine les 20%. Selon lui, la population "résignée depuis plusieurs décennies (...) et assez marginalisée socialement revendique beaucoup de choses mais reste frustrée par rapport à l’inaction des pouvoirs publics". L'élection présidentielle apparaît alors comme un "vote contestataire" mais le vote en faveur de l'extrême droite reste un "épiphénomène", selon le maire. "C’est l'illustration d'une réaction épidermique mais qui ne trouve pas sa continuité dans la vie de tous les jours. Pour exemple, le car de propagande de madame Le Pen a traversé notre ville mais ne s’est pas arrêté pour autant, sachant très bien que personne n’allait monter dedans".  

C’est l'illustration d'une réaction épidermique mais qui ne trouve pas sa continuité dans la vie de tous les jours.

Philibert Berrier, maire SE d'Auchel

Un constat partagé par le maire divers gauche de Mazingarbe, Laurent Poissant. Dimanche soir, Marine Le Pen a atteint les 73% dans sa commune. "Dans les deux quartiers prioritaires de la ville, la majorité des habitants touche des minimas sociaux très bas et la plupart sont au chômage. Parallèlement, tout augmente et leur pouvoir d’achat baisse. Les gens qui ont voté pour Marine Le Pen se sentent oubliés et seuls. C’est, selon moi, un vote sanction".

En Picardie le grand chelem inédit de Marine Le Pen

Marine le Pen à l’inverse du second tour de 2017, ou seule l’Aisne l’avait placée en tête, parvient à l’emporter dans les deux autres départements picards. Dans la Somme 51% des électeurs se sont exprimés en sa faveur bien qu’Emmanuel Macron arrive largement vainqueur dans sa ville natale à Amiens en réunissant plus de 67% des suffrages.

Le programme de la candidate du RN a séduit 52,8% de électeurs de l’Oise, département le plus peuplé de Picardie. Elle améliore son score de 6 points en comparaison des résultats de 2017. Audrey Havez la déléguée départementale RN de l’Oise se satisfait de ces résultats : "Globalement la partie rurale du département nous est très favorable, nous obtenons de bons scores dans des cantons comme Nanteuil-le-Haudouin ou Betz, dans les villes les scores restent plus mitigés".

Un capital électoral que le Rassemblement national espère bien faire fructifier lors des prochaines échéances législatives. Une perspective que les cadres du parti de Marine Le Pen abordent avec prudence tant l’alchimie électorale peut varier selon la nature de l'élection et le niveau d’abstention. Les dernières élections régionales l’avaient démontré.

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